Lise
Dua

NEW . 22.10.2024

Je n’écris plus pour moi seule

Frédéric Martin

Le lien. Cet élément si ténu qui unit les familles, les relie d’une génération à une autre, quel est-il ? Parfois fragile, quelques fois rompu, il semble indéfinissable, immatériel. Lise Dua à travers Je n’écris plus pour moi seule se penche, sur ce qui le tisse. Ou plutôt cherche ce qui a tissé celui-ci tout au long de son histoire familiale et personnelle.

En 2018, Lise redécouvre les photographies qu’elle a prises de sa sœur cadette et constate des similitudes troublantes entre ses images et celles que son père fit d’elle enfant. Échos, ressemblances, le temps fige des éléments distants de plusieurs années dans des situations malgré tout semblables. On pourrait parler de coïncidences, mais ce serait tout réduire à un hasard qui n’existe pas. Viennent les questionnements : que nous proposent ces photographies sur les liens familiaux ? Que transmet-on ? Que reste-t-il d’elles ? L’écho se propage peu à peu : ici une enfant et l’ombre du père, là une sœur et l’ombre de l’aînée.

Un homme, une femme, des parents.

Se plonger dans les détours de la parenté suppose de revenir sur sa propre enfance et sur ceux qui la firent.

Père, mère, grands-parents.

Suppose de repenser, retrouver dans sa mémoire les disparus, les souvenirs et les traces.

Construit avec ce corpus photographique, le livre de Lise Dua est agrémenté d’extraits de journaux intimes : le sien, mais aussi celui de sa mère.

A la lecture, nous sommes face à plusieurs impressions.

Celle déroutante de la similarité entre les clichés que séparent dix années. Singularité que n’a pas manqué d’exploiter et de questionner Lise. Vient ainsi la question de son rôle dans cette histoire, de sa place puisqu’elle prend la place de celle qui transmet, qui fait le pont entre les générations, plus largement entre les femmes. Rôle important et lourde charge.

Mais s’ouvre aussi deux autres interrogations.

Quelle place a le cliché de famille dans la photographie ?

Toutes ces images, témoignages intimes d’époques révolues, de moments disparus portent en elles une forme d’universalité. Nous avons toutes et tous regardé, conservé, stocké ces moments d’enfances, ces gâteaux aux bougies bariolés, ces moues boudeuses de l’adolescence. Ces photos, qui nous appartiennent de prime abord, ont finalement un fond commun beaucoup plus vaste formant un ensemble qui résonne à nos yeux et à nos cœurs.

Quel est le rôle exact du photographe ?

C’est celui, celle, qui devient le passeur d’histoires, de mémoires. Fonction essentielle, lourde de responsabilité. Pas nécessairement parce que ce qu’il ou elle a photographié doit refléter la réalité, mais bien parce que justement en ne la reflétant pas il ou elle témoigne bien plus profondément de ce que furent ou non ceux qui sont représentés.

Je n’écris plus pour moi seule mérite une attention toute particulière. Par son apparente simplicité et sa construction thématique, il va à l’essentiel et permet au lecteur de s’interroger bien au-delà des idées préconçues sur ce qu’est la photographie vernaculaire, sur le pouvoir et la place de celle-ci dans nos histoires, nos vies, nos familles. C’est une force que peu d’ouvrages ont.

Par ailleurs, il invite à se questionner plus avant sur ses proches, or, il semble que soulever des questions soit essentiel en photographie, même si finalement pas assez de livres le font.