Lise
Dua

NEW . 22.10.2024

Conversation pièce :

Gilles Verneret

« Je n’écris plus pour moi seule »
Lise Dua

Avec son titre affirmatif « Je n’écris plus pour moi seule » Lise Dua affiche son ambition personnelle d’apporter, une fois n’est pas coutume dans ce genre très couru en photographie, des lettres de noblesse au travail d’autobiographie.Elle utilise à cette fin le mode d’archive familiale, qu’elle nous ouvre comme un album de famille sur les traces de millions de personnes de par le monde, livrant une œuvre d’écriture textuelle et photographique, qui dépasse le témoignage amateur pour se hisser à celui d’œuvre. Dans la pré adolescence il est de bon ton d’admettre que la jeune fille confie ses secrets à un journal intime, qui ne concerne que son auteur, à la différence de Lise Dua qui le destine au public, se revendiquant comme artiste, maître des codes de représentation et de narration.

Elle confère donc à ses images et aux textes qui les accompagnent sans les illustrer, une qualité esthétique formelle à fleur de mur ou réunie dans un livre conçu comme ouvrage à portée e main et de regard. Ce livre feuilleté dans l’intimité qui permettra au spectateur une identification à sa propre histoire, si tant est qu’elle

recoupe des codes culturels semblables.La subjectivité est ici mise en avant comme un étendard, la volonté de Lise ne cherchant pas à décrire un milieu social, ou des liens avec l’histoire d’un territoire ou d’un passé généalogique: elle nous parle du cercle proche du noyau parental original, et aime dire à son propos que son protocole de création a mis en avant la transmission inconsciente entre parents et enfants.

« Le rôle de la famille est non seulement elle est le lieu originel celui des premières paroles que l’enfant pourra entendre sur ses origines. Lui même ne peut rien en dire et ne peut entendre le récit de ses origines que de la parole d’un autre. L’origine institue d’office l’altérité…Transmettre à un enfant ses origines est donc une fonction essentielle de la famille. » N.Prieur

Lise marque sa place dans la structure familiale initiale auprès du père, dont elle a hérité du don de prises de vues, de la mère avec son sens du récit et de sa petite soeur, son modèle favori qui la suit de quelques années: miroir fidèle de son propre vécu, activateur de la mémoire oubliée.Les photographies qui font figure de «paroles », sont l’aboutissement d’une mise en relation de différents points de vue émanant des échanges avec ses parents. Elles ont donc souvent été conçues en interactivité, les unes

avec sa mère, en mettant en scène des éléments de son journal ou des extraits retranscrits, d’autres avec son père en utilisant des images pré existantes, les reliant ensemble dans un portrait de famille très proche de l’esprit d’une conversation pièce 1

L’universel n’existe que dans le particulier mais en fouillant la texture de ce dernier, le photographe documentaire parvient au moyen du constat biographique, à nous intimer ce recul nécessaire, parfois analytique sur notre vécu personnel, nous renvoyant à la case départ du cliché photographique garant depuis le 19ème siècle de la mémoire familiale. Il s’étale de la petite enfance avec ses dizaines de photographies témoins de l’émerveillement des premiers pas dans la vie, des sautes d’adolescence jusqu’à l’âge adulte.

Ainsi Lise Dua dans la lignée de grandes aînées de Cindy Sherman, à Nan Goldin en passant par Francesca Woodman nous dresse un portrait concis à la fois émouvant et réfléchi, qui documente l’intime.Elle contourne le narcissisme, inhérent à ce genre de démarche sans y échapper complètement mais en le dominant, et présente avec talent, ce constat mémoriel au long cours, qui saute sans cesse ou s’assemble du noir et blanc connoté d’ancienneté à la couleur rayonnante de vécu présent.

Et comme toujours dans l’archive, ce travail s’achève et s’incarne en bout de course dans l’objet livre, qui le porte au côté de l’exposition éponyme.

  1. L’expression anglo-saxonne conversation
    pièce qualifie en histoire de l’art une peinture de genre, représentant un portrait de groupe, de famille
    ayant un caractère intimiste. et qui se développa surtout au XVIIIe siècle en Angleterre.