Hervé
Beurel

UP . 11.09.2025

L'image au défi

Texte d'Étienne Hatt, artpress 473, janvier 2020

Qu’est-ce qu’une image ? Pour tenter de répondre à cette question, on pourrait lire bien des livres. On pourrait aussi se contenter de regarder une photographie, par exemple celle-ci, issue de la série Sans laisser de trace (2013) d’Olivier Amsellem. Elle montre un mur qui, un temps couvert d’images, n’est plus aujourd’hui animé que par leurs empreintes et des restes de ruban adhésif. Ces traces sont

plus ou moins claires et plus ou moins nettes, elles se superposent et renvoient à des temporalités différentes. Mais toutes montrent en négatif qu’une image, avant d’être un sujet, est d’abord un cadre et un support, donc un objet. Produire une image, c’est cadrer dans le réel ou l’imaginaire, dans le figuratif ou l’abstrait, et faire de cet extrait une réalité tangible.

LA REPRÉSENTATION EN QUESTION

Deux travaux permettent d’étayer cette approche matérialiste de I’image qui insiste sur ses caractéristiques physiques et structurelles. Le premier est Collection publique d’Hervé Beurel. Commencée en 2003, cette série au long cours présente des compositions géométriques évoquant l’art abstrait français d’après-guerre. Il ne s’agit pourtant pas de peintures anachroniques mais de photographies de décors muraux d’immeubles construits dans les années 1960-80 que Beurel a cadrés — et éventuellement retouchés afin d’effacer des détails qui en perturbent l’homogénéité — pour les extraire de leur contexte et en faire des tableaux. Collection publique confirme le rôle du cadrage dans le travail de Beurel qui a, à plusieurs reprises, utilisé l’appareil photographique pour sectionner le réel et tendre vers l’abstraction.

Le second est Vacances rupestres d’Olivier Crouzel. Réalisée en 2009 en projetant des photographies de vacances à la plage sur les parois extérieures de la grotte ornée des Combarelles, en Dordogne, cette série repose sur le contraste entre la légèreté des images, dans tous les sens du terme, et la matière de la paroi lestée du poids des millénaires. Sensible au moment de la projection qui est partie intégrante de l‘œuvre, cette dimension symbolique devient concrète lorsque l‘on se trouve face aux photographies que Crouzel en a tirées. Il a joué des anfractuosités de la roche mais aussi de la végétation pour donner de la matière, et aussi un aspect ancien, à ses instantanés qui en semblaient dépourvus. S’interroger sur la notion d’image justifie ainsi que l’on pointe ses composantes matérielles. Cela permet de la distinguer de l’image mentale et de la rapprocher de la notion anglaise de picture. Malheureusement sans équivalent en français, cette dernière nuance le terme image qui, toujours en anglais, désigne avant tout une représentation, hors de ses conditions matérielles. Peut-on pour autant évacuer la question de la représentation, qu’il s’agisse d’un véritable sujet ou d’un simple motif abstrait ? En d’autres termes, une banale planche de bois, qui est aussi à sa manière un cadre et un support, peut-elle être une image ?

LES SEUILS DE L’IMAGE

C’est la question que semble poser Sébastien Maloberti. Sur des planches usagées, ce dernier pratique des impressions si diaphanes qu’elles ne sont pas toujours perceptibles. Certaines comprennent des signes géométriques, parfois des photographies, mais d’autres se réduisent à des faisceaux ou à des halos à peine colorés, voire à des traces issues d’autres planches. L’artiste dégrossit et blanchit ses supports, mais guette les accidents d’impression qui laissent des marques aléatoires. Pour I’un des Sans titre (2014) présentés dans l’exposition La Fille de l’air à Bikini, à Lyon, en 2015, Maloberti s’est même contenté de laisser une planche traitée à la résine acrylique et à la javel prendre le soleil tout un été sur le toit de son atelier, pour un résultat que I’œil a du mal à distinguer. En 2016, à la Galerie municipale de Tuttlingen, en Allemagne, dans l’exposition Nouvelle coutume, l’œuvre The New Custom’s Day est une plaque d’aluminium gravée partiellement et légèrement peinte au spray afin qu’elle évoque un calendrier mural. La partie basse dessine.