Entretien Julie C. Fortier & Gabrielle Herveet
Comment l’histoire des plantes influence- t-elle votre démarche ?
Julie C. Fortier : Mes projets débutent presque toujours par une rencontre avec une ou des plantes. Cette rencontre est motivée par un usage gourmand ou médicinal, ou par un ravissement esthétique de son apparence, son odeur, son histoire. Tous ces aspects entremêlés concourent à construire un contexte à partir duquel j’essaie de faire affleurer une forme de poésie.
Gabrielle Herveet : À l’invitation de Julie pour cette exposition, je me suis demandée comment faire se rejoindre l’ethnobotanique et mes recherches sur le temps. Rapidement, il m’est apparu que les plantes sont intimement liées aux calendriers. Les astres ont permis la mesure du temps, certains peuples ou civilisations ont privilégié tel astre en fonction de nécessités pratiques, de manière de vivre et de rapport à la nature. Les calendriers, comme le langage, sont des formes sédimentaires, ils conservent des traces d’anciens rites ou croyances. Notre calendrier est parsemé de coutumes, mettant en relation un jour de l’année et une plante, à cueillir ou à offrir.
L’expérience scientifique, traitée en laboratoire ou de manière empirique, structure votre travail. Comment opérez-vous la symbiose entre arts et sciences ?
GH : La science et l’histoire des sciences sont des éléments centraux dans ma vie. Je lis beaucoup d’ouvrages qui expliquent comment les connaissances scientifiques sont apparues au fil des âges. J’aime savoir comment les gens percevaient leur monde, et l’art comme la science en fournissent des représentations possibles. Mon travail tente de faire le lien entre connaissances « abstraites » et phénomènes réels, de les faire apparaître simultanément dans des formes simples et poétiques.
JCF : Je travaille avec Olivier RP. David, un chimiste qui a une grande sensibilité et une capacité d’émerveillement extraordinaire ! Il me donne des conseils et parfois pointent des caractéristiques chimiques qui peuvent avoir un intérêt esthétique. Par exemple, il a relevé que certains ingrédients utilisés en parfumerie sont fluorescents lorsqu’ils sont éclairés à la lumière noire. Cette caractéristique m’a permis de concevoirLes fleurs amoureuses, ces dessins qui rendent visibles à nos yeux d’humains les guides à nectar des fleurs. Ces caractéristiques chimiques particulières donnent lieu à des recherches qui débouchent sur des mises en forme esthétiques et conceptuelles. Ce qui est intéressant c’est que la chimie modifie complètement ma manièrede composer mes parfums. Plutôt que de choisir mes ingrédients en amont pour arriver à une odeur que j’imagine, je me laisse surprendre par ce que donne le mélange d’une liste d’ingrédients imposés par la caractéristique qui m’intéresse. Je ne m’ennuie donc jamais car j’apprends sans cesse !
Quelle plante, quelle odeur ou quel lieu a retenu votre attention durant la préparation de cette exposition ?
JCF : J’associerais la préparation de l’exposition davantage à une balade olfactive et gustative. Pour moi le processus de création est en mouvement constant. Je suis partie des soins de la bouche, car Nanterre a abrité une usine de dentifrice. J’ai bifurqué vers le clou de girofle qu’on associe à l’anesthésie dentaire, mais qui au Japon est aussi une couleur en teinture. Puis sont venues toutes les résines d’arbres, certaines sont utilisées pour se nettoyer les dents. De cette balade de plante en arbre, j’ai choisi des ingrédients qui souvent avaient plusieurs usages : esthétiques, cosmétiques, médicinales et techniques à partir desquels j’ai construit les différents projets. Une épice que l’on cuisine, avec laquelle on se parfume et colore les tissus ou une résine qui soigne la bouche, guérit les maux de l’hiver et sert de vernis, par exemple.
GH : De mon côté, je me suis rendue dans trois jardins à Nanterre. Tous très différents, ils sont pensés, occupés, choyés par celles et ceux qui les façonnent saison après saison. Ces jardins sont des entités vivantes et évolutives dans un environnement urbain. J’ai pu y cueillir des plantes, sauvages ou cultivées, médicinales ou ornementales. Ces végétaux racontent des histoires, évoquent des usages, que peu à peu on redécouvre aujourd’hui. J’ai retrouvé beaucoup de plantes « anciennes » qui font la base des prairies et jardins sauvages. Ce fut aussi l’occasion de chaleureux moments de rencontres avec les habitant.es. Je pense que l’art comme les jardins sont des endroits de liberté, d’attention à l’autre et au non-humain, de partage d’expériences sensibles et esthétiques.