Les assemblages du caméléon
« La terre,
sous mes pieds,
n’est qu’un immense
journal déplié.
Parfois une photographie passe,
c’est une curiosité quelconque
et des fleurs monte uniformément
l’odeur,
la bonne odeur
de l’encre d’imprimerie. »
André Breton, Poisson soluble, 1924.
Les personnages d’Hervé Le Nost prennent de multiples formes. Partout, on perçoit des regards, des rictus, des attitudes faites de marabouts ou de bouts de ficelles. Aux antipodes d’une représentation humaine, les objets semblent pourtant animés d’un souffle absurde et décalé. Ils exultent, prêts à éclater d’un rire grinçant. Ce réalisme n’est pas le fait du hasard. Chaque assemblage provient d’une rencontre entre l’artiste et une information extérieure : un film, une conte, une ville. La recherche se développe à partir d’une pratique déambulatoire et photographique. À l’affût, l’artiste glane structures, couleurs, matières et agencements observés autour de lui. Les photographies constituent un réservoir, une boîte à outils. Ce carnet de voyage est remanié lors de la seconde étape : la sculpture. Après avoir puisé dans son florilège d’images, Hervé Le Nost assimile, digère et ré-investit les formes dans l’espace. Les sculptures parfois monumentales se composent par empilement ou accumulation. Leurs modes de fabrication empruntent au bricolage une spontanéité devenue résistance. L’artiste s’engage dans un processus assumé de perte de contrôle. Aussi, la céramique, le verre ou le plastique sont autant d’outils déployés au même titre que la photographie elle-même. Les matériaux et les sujets sont détournés, déroulant une succession de corps étranges, parfois anthropomorphes. Par ces jeux formels, l’artiste explore sans cesse une infinité de possibles combinaisons. Il transfigures les échelles, les modes de représentation. Ici, on aperçoit la proue d’un bateau, là, le cabinet de curiosités d’un probable récit de science-fiction.
Déconstruction et reconstruction deviennent le leitmotiv de la pratique artistique. S’il renverse les codes de la statuaire classique, Hervé Le Nost renoue aussi avec la technique du modelage. Ses bustes et vases présentés sur des promontoires démantèlent les codes esthétiques. Dans un aller-retour constant entre les mondes du jeu et de la fête, maquettes et origamis côtoient puzzles et boules à facettes. Ces monstres trop colorés pour être effrayants prennent la forme d’un Puissance 4 géant, d’un Rubik’s Cube, d’un LEGO ou d’un canard gonflable. Les œuvres sont des farces, des fictions inspirées tour à tour de la bande dessinée ou de la télévision. En 2014, Hervé Le Nost évoque la célèbre série Le Prisonnier. Au festival de l’Estran à Trégastel, il rejoue l’imagerie des années 1970 en réalisant le polyèdre qui hante le personnage principal, un agent secret britannique enfermé dans une mise en scène surréaliste. La symbiose de la culture dite « populaire » et de sujets historiques comme Les Songes drolatiques de Pantagruel1
de Rabelais, ancre la pratique d’Hervé Le Nost dans une rupture continuelle.
Enfin, il revient sur ses pas et investit l’espace public de sculptures joyeuses grandeur nature, catapultées par un esprit bizarroïde. L’imaginaire caustique aux couleurs tranchées côtoie les univers bétonnés des cités scolaires ou autres bâtiments publics. Dans un monde qui tend à développer les usages immatériels, Hervé Le Nost reste en première ligne de la matière modelée à l’infini. Il poursuit son irrémédiable envie de kitsch, de légèreté, de poésie fantasque.
- Les Songes drolatiques de Pantagruel constituent une série de 120 gravures publiées par Richard Breton en 1565 sous le nom, usurpé, de François Rabelais. Les planches représentent une série de figures hybrides, monstrueuses et grotesques, évoquant parfois les peintures de Bosch ou de Bruegel. ↩