Hervé
Le Nost

30.07.2018

Hervé Le Baroque, œuvre composite et nomade

Dominique Marchès

DM-Comme étudiant tu as eu la chance de partager l’enseignement de Bernard Lamarche- Vadel. Au début des années 1980, celui-ci défendait une vision pluraliste, historique et inter- nationale de l’art opposée à l’enseignement, souvent dogmatique, pratiqué à l’époque dans nombre d’Ecoles d’art où l’art conceptuel et analytique était dominant. Je me souviens de tes sculptures abstraites d’esprit déconstructiviste : des assemblages qui soudaient le minéral, le ciment, le plâtre, des bois de récupération et des couleurs vertement appliquées, dans une ges- tuelle débridée. La philosophie et poétique de BLV et ta pratique alerte et joyeuse de l’art semblent perdurer depuis quarante ans pour constituer l’œuvre paradoxale qui te caractérise ?
HLN- Juste après le diplôme en 1983, en résidence à Cologne, j’y avais rencontré Bernard Lamarche-Vadel grâce à Barbara Thaden. Il m’a fait partager sa vision de l’enseignement de l’art, une remise en cause des modèles, il attendait des artistes une radicalité, l’invention de langages. Son écriture, je l’ai mieux connue à Paris en pratiquant sa bibliothèque. L’idée du paradoxe induit une réflexion sur la part du sensible et de la mise à distance dans le travail1 , l’imbrication de contraires, cette réflexion, je l’adopte effectivement dans la conception de mon travail.
DM-Ton œuvre est traversée par des formes, des couleurs, des objets, des images, des figures qui empruntent et utilisent des matériaux, des supports, des techniques multiples, des arts du feu aux techniques numériques. Il en résulte des propositions qui font le grand écart entre su- jets de mémoire, de cultures non occidentales, d’archaïsme…et des objets bien contempo- rains, anthropomorphes, voire usuels relevant de l’imagerie populaire. Par quel processus de pensée, de production, de rencontre, ce baroque s’impose-t-il ?
HLN- Des étapes et des contextes fondent mon travail. J’ai grandi avec la décolonisation, mai 68, la guerre au Vietnam… le monde me parvenait en partie sur mon transistor, par les livres, la musique, les vacances, les cours de dessin du mercredi, les amitiés. Une adolescence mar- quée par la campagne où je réside encore, m’a permis de vivre dans une ruralité que décrivent bien les films “Farrebique”, “Biquefarre” puis maintenant “Au nom de la terre” 2 . Lors d’un séjour étudiant à Leicester, j’ai suivi le cours de Richard Wentworth qui renouvela mes repères, comme le fît plus tard la visite de monuments et jardins baroques en Allemangne, et en Italie. J’y ai aussi rencontré à Turin le contexte de l’arte povera. En 1988, avec le soutien d’Arman et de François Rouan, j’ai obtenu la Villa Médicis hors les murs à New York. Antoni Muntadas que je connaissais m’a fait découvrir alors la banque d’images de la Bibliothèque de New York. Cela a précisé le statut que je donne à l’image, elle peut être un support et une matière à concevoir en amont de mes projets. Mon baroque est composite, nomade, local, constitué de pays, de l’archipel des Antilles, il définit un “usage du monde” 3 , porte une joyeuse défiance à l’égard des appartenances.
DM-Pour travailler la céramique ou le verre, tu voyages à la source ou à la rencontre de sa- voir-faire proches ou lointains. La transmission et le partage des techniques traditionnelles
seraient-ils de l’ordre d’une permanence artisanale, culturelle et universelle, opposée à l’im- médiateté et l’immatérialité des valeurs productives d’aujourd’hui ?
HLN- Etudiant, je m’intéressais à ces matériaux proscrits, considérés trop artisanaux. Je les ai introduits dans mon travail avec des pièces en terre résinée en 1987, puis en porcelaine pour l’exposition “Ile, terre, eau, ciel » à ton invitation à Vassivière en 1994. Depuis 2010, j’ai testé leurs possibilités comme à l’Académie des Beaux-Arts de Chine à Hangzhou en 2017 et à Taoxichuan Céramic International Studio à Jindezhen en 2018, et au Centre International des Arts Verriers à Meisenthal en Lorraine depuis 2012. Leurs temporalités incontournables les séparent de l’immédiateté, mais n’excluent pas des points d’intersections inattendus entre un cheminement et des lignes droites plus immatérielles en créant des rencontres fortuites. Mon travail s’appuie sur des étapes et des contextes constitués d’archives photographiques, de né- cessités d’humour, de techniques lentes ou directes, de paradoxes …

  1. “Le paradoxe du comédien”, 1830, Denis Diderot.
  2. « Farrebique »,1946 et « Biquefarre »,1983 de Georges Rouquier . « Au nom de la Terre », 2019 d’Edouard Bergeon.
  3. “L’usage du monde”,1963, Nicolas Bouvier.