Ce diaporama photographique porte sur l’une des formes paysagères les plus courantes en France et en Europe, le champ.

L’enjeu de ce travail est de questionner notre perception des paysages banals et fonctionnels voués à la production agro-alimentaire de masse.

Habiter, circuler, travailler, telle est l’utilisation que nous faisons de ces territoires, machinale c’est à dire à la fois mécanique mais aussi sans réflexion pérenne car prise dans l’engrenage d’un système économique productiviste. Cette mise à plat de nos modes de vie tend à souligner le lien étroit existant, entre l’industrialisation massive du paysage et la pauvreté biologique, visuelle et culturelle qu’il en résulte.

Mono-tonie.

Le point de départ de cette série, c’est cette image de champ.

J’étais alors encore étudiante à l’ENSP Arles, en stage au Domaine de Kerguehennec. Chaque matin avant de rejoindre le centre d’art, je partais marcher dans la campagne tout autour. Il y a quelque chose dans ce paysage, avec cette petite maison posée sur la ligne d’horizon, quelque chose dans sa construction même, qui m’a semblé extrêmement commun. J’ai pris l’image sans vraiment comprendre ce qui était en jeu, j’ai pris l’image pour comprendre, plus tard.

Au château, étaient exposées des œuvres de l’artiste conceptuel Mel Bochner. Son travail sur les normes, les mathématiques, la géométrie, je pense que cela a aussi nourri mon regard. Il y avait aussi de la géométrie dans cette surface au premier plan aplatie par la machine.

De là est parti ce projet.
 J’ai sillonné la France, pour en photographier un peu partout les surfaces agricoles, les champs, et au loin les lotissements. Et j’ai placé la ligne d’horizon au milieu de mes images :je souhaitais dans la construction même de l’image traduire quelque chose de l’ordre, de la géométrie, du rationnel, des surfaces de rendement.

Pour comprendre ce qui était en jeu dans ces paysages, j’ai beaucoup lu : des livres d’histoire, de géographie, de sociologie sur l’agriculture, sur la transformation du monde paysan en monde agricole, et avec elle toutes les mutations d’un système économique, de la relation au temps et au sol. Ces paysages ruraux sont désormais pensés à l’échelle européenne, régis par la Politique Agricole Commune, voir mondiale. Pour les photographier, je faisais des repérages depuis des images satellites. Puis, à pied, je longeais des routes assez passantes, de grosses départementales ou des nationales. Depuis l’accotement étroit, entre la route et le fossé, je me faisais souvent klaxonner et j’expérimentais physiquement quelque chose de troublant : ce paysage, fabriqué par la machine, n’avait pas été pensé pour le piéton, il m’était hostile.

Il n’y a d’ailleurs personne dans ces paysages, sauf dans une image, celui d’une femme qui court en longeant elle aussi la ligne d’horizon.

Il y a beaucoup de post production dans ces images, j’ai choisi pour cette série d’annihiler beaucoup des différences météorologiques en choisissant globalement des ciels plats gris, blanc. D’autre part, je ne voulais pas montrer la récolte, qui aurait donné un sentiment peut être d’opulence mais bien au contraire les sols plus ou moins mis à nu par les labours ou ras.

De longs fondus enchaines

Le projet a d’abord existé sous forme de tirages photographiques grands formats, mais il manquait une durée : c’est en manipulant les images sur Photoshop que j’ai finalement trouvé la forme du diaporama, du montage. À travers de long fondu enchainé, je traduis un mouvement, celui de la transformation des sols, celui de la ligne d’horizon qui file à travers la fenêtre d’un train ou d’une voiture mais plus lent, et la monotonie de ces paysages.

En réalisant ce premier projet, j’ai compris que photographier un paysage c’était aussi en quelque sorte faire le portrait des sociétés qui l’habitent et le regardent.

Bibliographie

• Henri Mendras, La fin des paysans, 1967.
• Georges Bertrand, « Pour une histoire écologique de la France rurale » in Duby G.(dir.), Histoire de la France rurale, 1992.
• Alain Roger (dir.) Histoire et théorie du paysage en France (1974-1994), 1994.
• Anne Cauquelin, L’invention du paysage, 2000.