PvE
PvE est un travail de documentation et de veille informationnel, couplé à une série d’interventions urbaines menées par une frange de la communauté skateboard de Rennes. Ces multiples expériences de déplacement et de réaménagement d’éléments architecturaux, réfléchies comme des critiques ouvertes, collectives et en actes, sont documentées, compilées et mises en tension avec un corpus de recherches iconographiques et théoriques, dans l’intention d’interroger les notions d’urbanisme participatif et de droit à la ville. Une attention particulière est portée sur les tactiques d’apparition, de déploiement et de disparition de ces pratiques, afin de révéler les savoirs «profanes» que développent les réseaux informels agissant au sein d’une ville en voie de métropolisation.
Un travail d’enquête, aussi utile en termes de préméditation que d’analyse de pratique, s’ajoute à chaque “actes” ou “gestes” avancés sur le terrain. Veille, collecte, découpage, montage, démontage, remontage, … Ce sont autant de procédés pour consigner des faits, à la manière du scribe, que pour ré-assembler des fragments d’histoires tantôt microscopiques (tel que celle d’un “anti-skate”), tantôt faramineuses (comme les liens entre ”fabricants de villes” et mondes de la finance, ou encore l’artifice d’un urbanisme dit “participatif”) mais jamais sans lien.
VANDALISM AS A PRODUCTIVE FORCE
« Le confort nous tue progressivement, il atrophie nos corps. La tension avec son environnement est une condition pour l’habiter. » Claude Parent, Vivre à l’oblique
La diminution progressive et la réduction en terme de durée de vie de ce que l’on pourrait nommer « angles morts », interstices, délaissées (lieux vacants, friches, terrains vagues…) et autres failles ouvertes au sein de « non-programme », a ainsi orienté des praticiens vers des actions davantage discrètes, opportunistes, fugaces. Cela modifie, entre autres, leurs fréquences mais réoriente également leurs terrains d’action, souvent limités à des espaces périphériques, vers des centres. En puisant de plus en plus ses gestes dans un héritage laissé par des mouvements insurrectionnels, les communautés issues des subcultures urbaines ont ajustés leurs modes opératoires pour se jouer des nouvelles contraintes et dépasser les pièges que produit la ville arrivée au stade de métropole, acte finale de l’encastrement du capitalisme dans l’urbain. Souvent impossibles à déceler aux yeux d’un public non-averti, ces gestes d’acupuncture sur le territoire, parfois spontanés, dérisoires, d’autres fois mûrement planifiés, risqués, constituent en quelque sorte une application de la « théorie des termites » du géographe David Harvey : « Grignoter, atrophier, infliger des dégâts souvent impossibles à déceler, car dès que les dégâts causés deviennent trop visibles et menaçant, les pouvoir de l’État feront office de service de désinfection. […] La formule n’a rien de méprisant : les termites peuvent infliger de terribles dégâts, souvent impossibles à déceler. Ce n’est donc pas le manque d’efficacité potentiel qui pose problème ; c’est que, dès que les dégâts causés deviennent trop visibles et menaçants, le capital est à la fois capable et tout à fait désireux de faire appel aux services de désinfection - les pouvoirs de l’État - pour y remédier. »
Riot Bank
Le soir du 13 mai 2016, lors d’échauffourées opposant manifestant.es et CRS sur la Place Saint-Anne à Rennes, un groupe d’opposant.es à la Loi Travail extrait du chantier de la ligne B du métro divers éléments afin de former une barricade et se protéger des forces de l’ordre. Abandonnée à l’issue des affrontements, une grande pièce de coffrage est déplacée par le biais de planches à roulettes jusqu’à la Place Hoche, située à 300 mètres de là. Elle restera une semaine, déménagée à différents emplacements et servant à la fois de forme de repos comme de support à diverses activités, avant d’être évacuée par les services municipaux. Coïncidence, cet objet comporte des dimensions et une inclinaison similaires avec un élément architectural significatif pour les pratiquant.es de la place, “le plan incliné de Hoche”.
Photographies numériques, dimensions variables
Captures d’écrans issues du reportage Rennes : la bataille pour le centre-ville (Part 6 : le soir du 13 mail 2016)
Chèques postaux
En 2009, la ville de Rennes lance une consultation pour la restructuration du Mail François Mitterrand dans l’optique de transformer ses parkings en un « espace apaisé » privilégiant des voies de circulations douces. Les premiers travaux débutent mi 2012 et, à l’automne 2014, les 750 mètres du mail rénové disposent de nouveaux éléments architecturaux ainsi que divers mobiliers dédiés au repos, dont des bancs massifs en bois équipés d’arêtes métalliques. À l’apparition de ces derniers, et entraîné par la diffusion instantanée de l’information via les réseaux sociaux, de nombreux skaters investissent quotidiennement le lieu jusqu’à ce que des anti-skates ne soient ajoutés au début du printemps 2015. Suite à cette décision, motivée par des plaintes de riverains à propos de nuisances sonores, également remontées à la municipalité via les réseaux, la communauté skateboard disparaît de cet espace.
Peu de temps après, un initié décèle que les deux bancs situés dans le parc de jeux pour enfants, dont le sol est recouvert de gazon synthétique (empêchant donc toute utilisation lié à la glisse), n’ont pas subi de “corrections”. Le mobilier en lui-même ne peut pas être déplacé, pour autant les arêtes métalliques y sont simplement vissées : il est donc possible d’intervertir celles comportant des anti-skate avec celles laissées vierges avec un simple tournevis.
Mail Fr. Mitterrand, plan de masse, crédits : MUTABILIS Paysage, 2012
Photographies numériques, dimensions variables
Général Hoche (et ses 88 galons)
Approuvé lors du vote du Budget participatif dans le cadre de la première Fabrique citoyenne, une plate-forme en acacia de 230 mètres carrés, est installée sur la place Hoche en septembre 2017 avec la vocation de « créer du lien, favoriser la convivialité et l’animation de la place ». Inauguré de manière officielle le 5 octobre 2017, l’événement réunira une vingtaine de personnes et quelques élus, dont l’adjoint au maire, accompagné d’une fanfare et de la pluie. La totalité de la structure est ornée de pièces dites « anti-skate », angles métalliques visant à dissuader les éventuels patineurs et skaters. Au nombre de 114, vissés dans le banc tous les 80cm, ils représentent un budget d’approximativement 2000 euros (le calcul est basé sur les tarifs de l’entreprise de sécurité Seton, qui propose le lot de 20 pièces au prix de 400 euros HT). En réaction, l’idée est émise de retirer 88 de ces pièces (dont la largeur est de 3cm) afin de les assembler, ce qui permettrait de créer une arête pleine et recouvrir intégralement le plus petit côté du banc (d’une mesure de 256cm), pour ainsi fournir une surface de glisse adéquate. Le 23 février 2018, une pancarte, siglé des logos de la ville de Rennes et du Budget participatif, titrant « Pensez aux riverains ! » et sous-titré par « Espace interdit aux rollers et aux planches à roulettes ».
Photographies numériques, dimensions variables
88 anti-skate, dessin technique, crédit : D. Riollier
Copycat
Un copycat est un imitateur commettant une infraction à la manière d’un autre criminel.
Intervention urbaine, béton, peinture
Photographies numériques, dimensions variables
Photos : Tristan Deplus