Pascal Jounier
Tremelo

21.12.2022

SLUMP TEST

Richard Guilbert, responsable des expositions, PHAKT - Centre culturel Colombier Rennes, 2015.

A partir de la technique du moulage d’art, habituellement utilisée pour reproduire à l’identique des œuvres d’art et des objets rares, l’artiste Pascal Jounier Trémelo développe une pratique singulière de la sculpture. Appliquant ces techniques de moulage, non pas à des pièces classiques de l’histoire de l’art mais à des objets du quotidien, il explore conjointement les questions de la représentation ou de la copie et les enjeux de la matière.
L’exposition « Slump Test », proposée par Pascal Jounier Trémelo s’intéresse au répertoire formel suscité par les contextes du chantier, que ce soit à travers les matériaux, le matériel, ou encore les dispositifs de stockage. De cet « atelier extérieur », l’artiste extrait le caractère transitoire de situations propices à la construction de formes. Anonymes et éphémères, ces accumulations de matériaux ne sont pas sans rappeler le vocabulaire de la sculpture contemporaine.

Dans l’immédiate après-guerre, les besoins liés à la reconstruction ont vu apparaître un ensemble de nouvelles techniques de construction, d’ornementation d’édifice architecturaux et de voirie dans l’espace public.
Initialement destiné au gros œuvre, des matériaux comme le béton, le ciment ou le gravier ont fait une mutation esthétique en usant de différents artifices de surface pour donner l’illusion de matériaux naturels ou plus nobles. Sous la dénomination de brutalisme, sous entendu « béton brut », les architectes ont développé entre les années 50 et 70 un style architectural basé sur des techniques d’habillage par parement dans une tentative de rendre désirables ces grands ensembles massifs, ingrats et standards.

A partir de plâtre, ciment, béton, Pascal Jounier Trémelo insuffle dans son processus une part de hasard et d’accidents. Là ou la reproduction d’une œuvre en moulage requiert une grande maîtrise et un soin minutieux, l’artiste oppose une autre excellence. S’émancipant des contraintes et des prédéterminations auxquelles ces matériaux sont habituellement dévolus, l’artiste ne cherche pas à soumettre sa matière mais s’attache à son caractère entropique en la laissant s’auto-organiser. Là ou l’oeuvre se conçoit comme solide, résistante, Pascal Jounier Trémelo exalte l’informe, la mollesse d’une matière flexible, en mouvement réagissant à la température et à l’humidité. Ni solide ni fluide, la matière se fige davantage à la manière d’un magma volcanique captant la dimension organique et vivante du matériau.

Le béton est un mélange constitué de graviers, de sables et de poudre de ciment faisant office de liant. En surface, on peut lui donner toutes les structures, tous les dessins, toutes les couleurs possibles. L’artiste peut le couler, le mouler, le travailler à la truelle par appositions de couches successives…

Pour son exposition au PHAKT – Centre Culturel Colombier, Pascal Jounier Trémelo réinvestit les techniques et les matériaux directement issus du champ de la construction comme par exemple en déplaçant les codes couleurs d’un mur en briques pour le transformer en un ensemble de pavement aux couleurs laiteuses.

Un film à bulles, habituellement réservé à l’emballage devient le sujet d’un jeu sériel d’estampage sur un parement béton. A la fois sculpture et cimaise d’exposition, le caractère massif, dominant et frontal contraint le visiteur à une stratégie de déambulation. Jouant de la trame, simultanément dans la continuité du motif et dans la discontinuité du détail, L’attention du visiteur se déploie dans une tension plastique entre la dimension globale de l’installation e sa microstructure.

De l’informe à l’antiforme, Pascal Jounier Trémelo propose à partir d’une simple serpillère, un jeu d’hybridation de deux surfaces antagonistes, le tissu et le béton.
De la forme contrainte à l’informe, la matière s’émancipe du processus dans l’idée de laisser aller pour explorer un jeu d’épuisement du dispositif. La matière arrachée lors du démoulage enrichit la surface du matériaux coulé pour révéler des jeux de texture inattendus : velouté, soyeux, vibrant… Tel un tag, la ligne colorée vient zébrer la surface évoquant le caractère rugueux du béton dans l’espace public.

A cet endroit, peut-être, se tente un contrepoint à l’esthétique globale du propos par la présence de formes organiques qui tenteraient un dialogue entre le vivant et le matériau… Comme une lointaine mémoire préhistorique qui bouclerait la boucle… ?

Longtemps considérée comme inerte et stable, la matière chez Pascal Jounier Trémelo investit un processus de moulage dynamique amenant le spectateur dans une posture de reconstruction mentale d’une forme en creux. Il ne s’agit plus d’imiter ou de simuler la nature mais de déconstruire un processus du charnel à l’immatériel, de la forme au concept.

NB : Le slump test (essai d’affaissement) est un test d’élasticité d’un béton ou d’un ciment, effectué sur un moule tronconique rempli de béton frais. On apprécie ainsi la consistance, donc l’ouvrabilité du béton.