Jean-François
Leroy

NEW . 07.05.2025

Bricoler l'industrie

Pédro Morais
Texte paru dans le Le Quotidien de l'Art, 1er juillet 2016

Jean-François Leroy explore le minimalisme assimilé par l’industrie dans une tension avec le corps et la forme-fonction de l’objet. Refusant la dimension métaphorique, ses installations se situent du côté d’une pratique amateur do-it-yourself qui n’exclut pas l’instabilité et la projection anthropomorphique. 11 expose ce week-end aux ateliers portes ouvertes des Beaux-Arts de Paris, dans le cadre du doctorat ARP-SACRe, et a participé au 54è Salon de Montrouge en 2009.

Beaucoup a été dit ces dernières années sur la réactivation, par une génération actuelle d’artistes, de formes abstraites issues des avant-gardes du modernisme (de la même façon que les minimalistes des années 1960 avaient pu débattre du constructivisme russe). S’agiterait-il d’une simple nostalgie des périodes de rupture ou d’une tentative spéculative visant à explorer les contradictions de la modernité ? Les réponses sont multiples, allant d’une envie de remettre en question sa prétendue rationalité progressiste - les expositions du curateur Alexis Vaillant autour des liens ambivalents avec le symbolisme ou les sociétés secrètes -, à l’exploration d’un minimalisme désormais assimilé par l’industrie culturelle et le design (l’exposition « À moitié carré à moitié fou » de Vincent Pécoil, Lili Reynaud-Dewar et Elisabeth Wetterwald à la Villa Arson à Nice en 2007). Jean-François Leroy peut s’inscrire dans cette dernière piste de réflexion, avec une passion pour les matériaux industriels qui s’imbrique dans une logique do-it-yourself proche du bricolage. « J’ai grandi à Dunkerque, une région industrielle où même à la plage on voit des usines métallurgiques », se souvient-il. Son attachement au monde industriel entraîne chez lui le refus de l’idéalisation d’un paysage ou d’une forme esthétique, pour explorer la richesse contradictoire de la réalité construite. Dans ce sens-là, oui, il est possible de parler de constructivisme et de Bauhaus plutôt que de ready-made. Si Jean-François Leroy cherche à reconfigurer (ou défigurer) l’objet à travers le langage de la sculpture, ce n’est pas pour établir une barrière entre l’art et le fonctionnalisme, mais pour réfléchir précisément au rapport forme-fonction et au rôle des objets dans nos vies, à leur façon de conditionner nos corps et I’espace. « La table me permet de travailler l’idée de socle, à la fois comme un outil spécifique à l’exposition et comme prothèse pour accouder le corps, un objet béquille. C’est la forme par excellence de l’utilitaire car elle sert à toutes les activités : manger, écrire, socialiser ». Il peut donner à ses tables une souplesse tout ondoyante malgré le poids de la paperasse posée sur un angle (jusqu’au point de rupture), ou alors utiliser le plan incliné d’une table d’architecte pour réaliser une peinture sans geste ni pinceau, uniquement par la coulure. La couleur choisie, le minium orange antirouille, est aussi liée à une fonction - l’artiste ne fabrique pas ses couleurs, il les emploie en tant que données industrielles, jusqu’à recouvrir parfois de crépi ses sculptures, comme la peau dure des rues, évoquant la peinture de bâtiment. Son refus du symbolique et de la métaphore peut évoquer les non-choix d’Olivier Mosset, son goût du façonnage l’incline vers Richard Artschwager. « Son savoir-faire de menuisier n’avait pas lieu d’étre au sein de l’avant-garde, le formica encore moins », dit de lui Jean-François Leroy. Mais son rapport distancé aux avant-gardes est celui de la génération de Thea Djordjadze. Tout comme cette dernière, il déploie parfois une moquette en guise de fond d’incrustation, sans angles du sol pour délimiter un espace autonome fonctionnant comme un écran. Les portes brisées de Jean-François Leroy, brillantes comme des miroirs, peuvent aussi se charger de toutes les projections théoriques sur le monochrome (historiquement contradictoires, allant de la table rase à la visée spirituelle). Pour « Meuble/ Sans Meuble », il déplace au sein l’exposition le périmètre du sol de son appartement (avec les meubles découpés en négatif sur des planches de bois), car « l’empreinte d’une forme vide est aussi une forme », selon lui. Ce qui frappe alors, c’est le désir de se construire son propre espace afin de ne pas se sentir assujetti, suivant une longue lignée de bricoleurs utopistes : du design do-it-yourself d’Enzo Mari au manuel écologiste de Ken Isaacs pour l’auto-cadre du programme construction. Ceci dit, chez Jean-François Leroy, le rapport au domestique n’exclut pas l’instabilité et le désordre, ainsi quand il déglingue un store d’un artistes du Salon de geste de sculpteur, ou dernièrement, avec l’introduction d’un rapport animiste Montrouge, avec le à l’objet devenu totem ou anthropomorphique (sa Rocking Chair fait danser un contre-plaqué tordu). La notion de maison gagne à se transformer et l’espace urbain devient un immense atelier.