Zoom arrière
L’aquarelle
Briac Leprêtre représente des scènes quotidiennes : une jeune fille à la plage, un garçon le nez en sang, une photo de classe, un repas de famille, un lampadaire au sol, des chiens, un lapin… Réalisées en aquarelle, ces scènes banales prennent une tournure inquiétante bien qu’elles soient familières. Ce malaise est sans nul doute dû au décalage entre les scènes représentées issues de photographies de famille ou sélectionnées dans des magazines et le médium choisi, habituellement utilisée pour de jolis sujets. Ici on peut dire que Briac Leprêtre maltraite ses sujets. La pauvreté banale dont il joue et qui accroche par son esthétique décalée nous renvoit à une certaine petitesse dans laquelle nous nous reconnaissons tous : notre grand-mère, la maison de notre voisin, le jour où notre cousin s’est fait casser la gueule, le lapin de notre enfance… À la limite du mauvais goût, ses peintures créent une certaine attraction.
De cette pratique régulière de l’aquarelle est née une maîtrise certaine du médium. Ce sérieux de la technique renforce le contraste qui existait déjà avec les sujets choisis. Ceux-ci se diversifient, jusqu’à un pont taggé ou un paysage de lotissement en béton… Les formats s’agrandissent, donnant plus d’autonomie aux peintures. Les sujets sont traités avec de moins en moins de concession : une scène de bras de fer entre copains en fin de soirée, une nature morte au poulet,un magnifique couple de Vieux dans le train… Les titres donnés à ces aquarelles sont sans concession. Ils ne sont que ce qui permet de les identifier, dans la classification et le rangement créé par l’artiste : Bras de fer, Poulet, Vieux dans le train… Aucune narration qui pourrait sauver le sujet n’est ajoutée. Car si les sources de ces images sont des photographies de vacances ou de presse, il arrive à l’artiste de mettre en scène des amis. Mise en scène relative puisqu’il les remet en situation dans ce qu’ils font habituellement. C’est le cas du bras de fer à une heure tardive après plusieurs bières, dont celle, compressée, signalant qu’elle fait office de cendrier pour éviter que quelqu’un n’y boive…
Ces scènes prennent une tournure naïve dans le sens où elles sont traitées comme un sujet qui mérite toute notre attention. Même si l’on sent le sourire narquois de l’artiste, c’est avec une grande tendresse qu’il peint ses sujets, l’air de dire qu’il en fait partie, avec une clairvoyance évidente. Un conseil quand même : ne donnez jamais l’une de vos photographies à Briac Leprêtre, vous la retrouverez peut-être agrandie dans une exposition.
La cheminée derrière l’aquarelle
Pour Briac Leprêtre, la place de l’aquarelle reste un intérieur domestique, au-dessus d’une cheminée ou d’une commode. En 1997, il offre des aquarelles représentant des chiens à plusieurs personnes et les photographie une fois installées dans leur salon. De là naît le second axe de son travail. Il fabrique une cheminée, puis une commode… en polystyrène, qu’il expose avec ses peintures. Dans ses installations, aquarelles et mobilier oscillent entre décoration et sculpture, imitant sans y parvenir un intérieur. La cheminée qu’il a sculptée ressemble à s’y méprendre à une
cheminée en état de marche, la commode peut parfaitement remplir sa fonction de rangement. Des éléments dont on se pose la question s’ils appartiennent aux murs ou s’ils font partie de l’exposition, et qui renvoient directement aux univers représentés dans les aquarelles, comme une extension.
Le mur derrière la cheminée
Pour Classic & Smart à 40mcube en 2005, Briac Leprêtre transpose son travail de mobilier à l’échelle de l’espace, donc à l’immobilier, dont il transforme le style architectural. Il reproduit à l’échelle un intérieur XVIIIe siècle avec boiseries. Il travaille sur le lieu d’exposition, ancienne boutique rendue neutre, qu’il réinterprète en créant un décalage avec le quartier. Car si les intérieurs classiques sont courants au centre ville, la rue dans laquelle est situé l’espace d’exposition, en voie d’urbanisation, est sans unité, entre anciennes maisons d’ouvriers murées et immeubles des années 1930 délabrés. Face à cette installation qui colle comme une seconde peau à l’espace, discrète et omniprésente, la même séduction que celle des aquarelles opère. Le spectateur commence par chercher l’oeuvre puisque l’espace est vide, puis se laisse éblouir par sa beauté, enfin se penche et découvre la manière dont elle est fabriquée. Même aspect désuet lorsqu’on s’approche et qu’on s’aperçoit que le tout est réalisé en polystyrène, et que les finitions montrant le fait main laissent par endroits à désirer. Loin étant l’idée de réaliser un décor de cinéma ou de forcer l’illusion, Briac Leprêtre laisse apparaître les petits défauts liés à la difficulté de réalisation de sa pièce, en toute simplicité.
Composé de ces deux orientations pouvant paraître sans rapport, le travail de Briac Leprêtre constitue un cheminement qui une fois rendue explicite coule presque de source. Presque. Le point commun entre ces deux axes étant un esprit singulier, leur auteur.
Texte paru dans le magazine 02, n°44, hiver 2007 - 2008