Briac
Leprêtre

10.11.2017

Représenter avec un cutter

François Aubart, 2009

Les objets de Briac Leprêtre

Parmi les objets construits par Briac Leprêtre, on compte à ce jour une cheminée, un meuble, des moulures, un plongeoir et une charpente qui se caractérisent tous par une façon particulière de déjouer leur nature utilitaire. En effet, tout ce que l’homme a construit d’immobiliers ou d’objets, qu’ils soient des plus rudimentaires ou des plus sophistiqués, survient toujours pour satisfaire une nécessité. Ainsi une cheminée canalise le feu qui chauffe une maison, des moulures enjolivent les cubes architecturaux qui servent d’habitation, un plongeoir permet de surplomber une étendue d’eau pour y sauter. Ceux de Briac Leprêtre trouvent leur origine dans un détournement de ces fonctions. La Cheminée (2004) est factice, aucun feu ne s’y consume, la température n’augmente pas dans les intérieurs qui l’accueillent. Cependant, comme la plupart des cheminées, elle sert également de présentoir, ayant été créée pour l’exposition Aquarelle à LENDROIT où elle accompagnait les peintures de l’artiste. Elle ne répond donc pas à une fonction primaire, la véritable raison d’être d’un objet, mais à une fonction que l’on pourrait appeler secondaire, celle par laquelle l’utilisateur apprivoise son environnement. C’est par cette fonction qu’un élément standardisé et multiple devient personnel. Nous sommes régulièrement confrontés à ce type de manipulation dans notre quotidien, par exemple lorsqu’un objet lourd sert de presse-papier ou qu’un CD est accroché dans un potager pour effrayer les oiseaux et les tenir à distance. Dans ces cas et de nombreux autres, la deuxième fonction prend le dessus sur la première. C’est le fait même que la première reste apparente au premier coup d’œil qui donne un aspect comique à la situation. Ainsi dans le roman de John Irvin Une veuve de papier, un policier partant à la retraite fait l’inventaire de ses tiroirs et laisse une note à son successeur à propos de la poignée d’un tiroir hors d’usage qui traîne dans un autre tiroir. Il lui explique qu’il est inutile de le réparer mais qu’il peut garder la poignée, très pratique pour gratter les semelles de chaussures. Evidemment ce qui fait rire c’est que le personnage pense que l’utilisation détournée qu’il fait d’un objet puisse s’appliquer à quelqu’un d’autre. La Cheminée de Briac Leprêtre a connu la même histoire, lorsque l’artiste propose de la vendre en kit dans le catalogue Buy-Sellf. Dans le cadre de l’exposition, sa seule utilité était d’évoquer un intérieur. Mais diffusée en nombre, sans véritable vocation, toutes ses possibles utilisations disparaissent. Elle devient le fantôme d’un objet et de son utilisation.

C’est la même nature fantomatique qui se manifeste dans l’intervention Classic & Smart à 40mcube, en 2005. Ce lieu d’exposition rennais, dont le nom évoque avec une ironie tautologique sa nature d’espace géométrique blanc, voit ses murs neutres et atemporels ornés par Briac Leprêtre de moulures et de boiseries de style Louis XVI qui, elles, évoquent plutôt un intérieur bourgeois porté vers le décoratif. Ce style aux formes rigides offrait la possibilité d’être décliné dans n’importe quel intérieur comme le White cube d’exposition qui peut être appliqué à n’importe quel type de bâtiment. Cette confusion entre deux typologies de mur révèle à quel point l’une comme l’autre sont asservies à des codes normatifs. Des codes qui répondent moins à de véritables nécessités qu’à des besoins décoratifs mais signalent l’appartenance à une sphère ou à une autre. Et c’est bien cette fonction décorative que souligne la matérialité de Classic & Smart. Réalisée en polystyrène extrudé travaillé à la main, cette intervention n’a pas vocation à survivre aux affres du temps. Elle n’est que l’évocation d’un environnement, une image, comme le sont son Plongeoir (2008) et sa Charpente (2008) qui, l’un comme l’autre, reproduisent à l’identique des éléments architecturaux dans un matériau qui en annule l’utilisation. Sur le Plongeoir, il est impossible de monter. Personne ne se risquerait à bâtir une maison autour d’une Charpente flexible. Au sujet de tous ces objets, Briac Leprêtre dit vouloir « représenter avec un cutter », l’outil de prédilection de l’artiste pour la plupart de ces réalisations. Un outil adéquat pour le matériau en question, mais en totale opposition avec l’objet qu’il s’agit de réaliser. Ceux-ci nous apparaissent alors comme des représentations qui fonctionnent sur le même principe de transposition d’un environnement vers un autre. Ainsi le polystyrène de Charpente a reçu le véritable traitement réservé à ce type de construction, il a été découpé à la scie circulaire et en garde les traces. Prélevés dans le quotidien et déplacés à l’identique dans un lieu d’exposition, ils se transforment en images qui, de fait, ont pour unique vocation de signifier. Ainsi ce qui se diagnostique comme une perte d’utilité n’est que l’effet secondaire de la mutation en objet de seule contemplation. De fait, toute possibilité d’interaction est annulée. Ces objets évoquent bien des lieux, mais des lieux qu’il paraît impossible d’habiter.

Ainsi on ne s’étonnera presque pas d’apprendre que Briac Leprêtre réalise, pour une exposition à Tripode en 2009, Ersatz (2009), une installation d’un réalisme minutieux pour ne représenter rien d’autre qu’un feu de scouts entouré de pierres et de cailloux. L’artiste déploie ici une technique précise pour construire un environnement, une situation dont l’intérêt n’est pas tant d’avoir une existence matérielle mais d’être vécue. Un intérêt qui réside justement dans une capacité à exploiter les ressources d’un environnement naturel, utiliser des brindilles pour que le feu prenne, des bûches pour qu’il dure et des pierres qu’il ne se propage pas. Or, Ersatz ne saurait souffrir aucune manipulation car l’intervention humaine est facteur de changement. De fait, la représentation seule tient lieu de nécessité et du même coup annule la possibilité qu’existe un utilisateur. Ce feu propose une situation par procuration, maîtrisée mais sans investissement possible. Une réalité stable et sans risque, fabriquée sur mesure.