Briac
Leprêtre

10.11.2017

Les gangsters et les dieux ne parlent pas, ils bougent la tête, et tout s'accomplit.

Joëlle Le Saux, 2009

Issue des Mythologies, cette formule sert de conclusion au texte Puissance et désinvolture que Roland Barthes consacre aux films de gangsters1 . Le texte fait de la gestualité du gangster, sortir un révolver de sa poche, hocher la tête, lever le doigt, un acte désinvolte parce qu’il est le signe qui annonce un rebondissement de l’histoire, en même temps qu’il produit un arrêt. Le geste du gangster est purement visuel et silencieux. Un demi siècle plus tard, on sait bien que cet inventaire de gestes a perduré dans le cinéma. Entre Tarantino et lesHollywood Teen Movies, il est reconduit et célébré parfois de manière à rejouer encore sa puissance originel, parfois caricaturé et ironique. Il y a bien sûr une évidence, quelque chose d’inévitable que de situer l’œuvre de Briac Leprêtre au voisinage de Barthes, tant sa démarche s’inscrit dans une traque de ce qui surgit dans les images d’un quotidien nourrit de mythes.

En dépit de récurrences évidentes, l’œuvre de Briac Leprêtre ne se donne pourtant pas a priori. Au contraire, elle trouve son homogénéité dans une forme de globalité par le développement que l’artiste donne à son travail.
Ainsi, on différencie en général chez l’artiste deux séries, d’un côté, les aquarelles et de l’autre, les sculptures en polystyrène extrudé. Ces deux pratiques forment toutefois les deux versants d’une même fascination pour des situations, objets et scènes banales d’où sont extraites les représentations de mythologies contemporaines. Elles reposent également toutes deux sur un mode similaire d’extraction du continuum et de transpositions, les images photographiques sont traitées à l’aquarelle, les objets ou les lieux répliqués en polystyrène. Ces deux procédés sont laborieux et permettent à l’artiste de rabattre les codes de l’imitation et du réalisme par l’intermédiaire de techniques bavardes. L’aquarelle, chez Briac Leprêtre semble ainsi jouer en permanence de son statut, systématiquement en décalage. Il transforme le lièvre de Dürer en Lapin Blanc (200-) comme il convoque dans le même temps la pratique amateur des portraits et des paysages. Grand-mère au micro (200-) Filles de Berlin (200-) pourrait appartenir à ce genre, par ailleurs pointé comme miroir ultime des pathologies individuelles dans le Thrift Store Paintings de Jim Shaw. L’attrait pour le détail est important, même si en définitive les aquarelles de Briac Leprêtre retournent systématiquement les stéréotypes de cette pratique. C’est aussi le moyen par lequel il reproduit ses photographies personnelles ou celles collectées dans les magazines. Chien coupé (2007) Daisy (200) suppose d’une autre manière ce décalage permanent en rappelant l’origine de l’image, les accidents d’une photographie ratée, aux cadrages tronqués ou aux yeux surexposés.

Le plus souvent laissé tel quel, l’assemblage en polystyrène assujettit la sculpture à la représentation. Matériau d’isolation, le polystyrène est fait pour être découpé et assemblé, un principe que l’artiste déploie en système. La reconstitution du Foyer de jeunes réalisé à la galerie de l’Esab (mars 2009) sera ainsi l’occasion de mettre en place une technicité adaptée dépassant l’usage traditionnel du matériau. Les plaques de polystyrène deviennent tour à tour bois, lambris, métal, baby foot ou bar. Comme toutes les répliques de Briac Leprêtre les volumes sont uniformisés par la texture et la couleur du matériau, ce qui a pour effet de générer une image, une scène figée dans le temps et fantomatique, cette distance étant amplifiée par le sujet même de la reconstitution. L’œuvre se pense ici en relation avec le lieu où elle apparaît. Loin d’une idée préconçue des espaces consacrés à l’art, les installations se veulent des mises en relation, l’élaboration d’analogies, entre école et espace de détente, ou un plongeoir moderniste, aux formes de navettes spatiales qui surgit dans un ancien bâtiment industriel (2008)2 .

Ce processus d’extraction et d’intégration s’inscrit dans une histoire de captation de la curiosité fondée sur l’ambigüité, processus évident lorsque que l’on considère certains de objets de Briac Leprêtre comme le Portail (2008). Exposé non loin de la maquette géante de pavillon de banlieue 72 m2, il est révélateur de la nature et des usages des objets indexés qui constituent l’iconologie de l’artiste3 . Le portail est un objet commun, pratique, il a pour fonction de clôturer un terrain et sa maison. C’est un objet codifié, formaté, pourtant on en trouve une variété de formes réalisées à partir de matériaux de toutes sortes, recouverts de peintures ou de vernis. Le portail assure une fonction plus insidieuse qui à a voir avec l’apparat et le pouvoir. C’est déjà ce que Classic and Smart (2005)4 ou l’aquarelle Côté jardin (2006) mettaient en évidence. Le titre plutôt ironique de cette représentation de pavillon bourgeois de banlieue, redouble le point de vue, de l’autre côté du mur d’enceinte, à partir duquel on regarde la maison et qui transforme le regardeur en voyeur.

Portail et 72 m2 sont les deux œuvres réalisées par Briac Leprêtre dans le cadre d’une exposition qu’il a intitulé Si j’étais charpentier. If I were a carpenter est un standard des années 1970, composé par Tim Hardin, chantée en 1966 par Bobby Darin, plus tard par Johnny Cash et encore un peu plus tard par un Johnny Halliday rejouant les gestes et les attitudes de ces prédécesseurs. Un ersatz de situation qui s’approprie moins le morceau que l’image qu’il véhicule désormais. Dans le même registre, la série Maître Kanter, réalisée pendant l’été 2009 pour être exposée à la galerie de design Dma à Rennes se présente comme la reconstitution des luminaires de la chaine de restaurant Maître Kanter. Ces sculptures suggèrent le labeur du fait main – découpes, assemblages et collages – soit l’exact inverse de l’exaltation de la création industrielle propre au ready-made. Suspendues au plafond, éclairant et éclairés à la fois par des néons blancs, ils donnent à voir le stéréotype kitsch d’une décoration qui n’est rien d’autre qu’un simulacre du luxe.

Sans jamais réellement engager le déjà vu, l’artiste recherche dans ces images arrêtées des formes de mémoires communes qui façonnent nos mythes. A vrai dire, peut-on encore faire un Bras de fer (2007) sans jouer un peu à Stallone, sans convoquer immédiatement une multitude de références cinématographiques plus ou moins glorieuses. Cet inventaire de scènes, de personnages surpris dans différentes gestualités, d’objets et de lieux, agit au delà du bon ou du mauvais goût. C’est ce qui donne cette tension permanente aux œuvres de Briac Leprêtre, définissant un espace incertain entre célébration et ironie. Ce n’est certainement pas la plus simple des postures. Si les formes et les situations choisies par Briac Leprêtre ont peu à voir avec celles d’une artiste comme Amy O’Neill, Briac Leprêtre partage avec les artistes anglos-saxons le goût pour ce positionnement intermédiaire. Les choix de Briac Leprêtre rejoignent parfois ceux de Amy O’Neill, en particulier lorsque cette dernière filme un concours de lancer de citrouilles5 . Certes, ces affinités s’arrêtent là, il n’est pas question de formes de créativité locale folk chez Briac Leprêtre. Bien au contraire, les luminaires Maître Kanter fonctionnent comme l’anomalie critique d’une production standardisée imitant les stéréotypes Artcraft Alsacien. Décorum de façade que l’on retrouve sous différentes formes un peu partout sur la planète. Mythifications ou dénonciations, boucles et circulations sont nombreuses et finalement sauvegardées sur cette ligne de partage indéterminée.

Dans son avant-propos à ses Mythologies, Roland Barthes évacuait déjà le paradoxe entre le choix subjectif de ses objets d’études et la condition objective du savant, propres toutes deux pour Barthes “à escamoter ou à sublimer les limites réelles de leur situation”. Entre critique et projet politique, mythification et célébration merveilleuse, il réclamait alors de vivre pleinement la contradiction de son temps, posant les enjeux de ce défie il laissait la question ouverte “qui peut faire d’un sarcasme la condition de la vérité ”.

Il n’est dès lors pas étonnant que lorsque Briac Leprêtre est invité à parler de ses œuvres, comme c’est traditionnellement le cas lorsqu’un artiste présente son travail dans le cadre d’une conférence, qu’image après image, il dévoile des mises en relations de détails soudainement extraordinaires, transformant chacune de ses pièces en véritable épiphanie, mises en lumière par les connexions qu’il y révèlent.6

Joëlle Le Saux, 2009 - Texte paru à l’occasion du workshop à l’origine de l’installation Foyer de jeunes, imaginée et réalisée avec les étudiants de l’école d’art au printemps 2009.

  1. Roland Barthes, Mythologies, Seuil, Paris, 1957.
  2. Anachronismes et autres manipulations spatio-temporelles #1, Particularismes, 40mcube rennes. 2008.
  3. Si j’étais charpentier, chapelle des Calvairiennes à Mayenne. 2008.
  4. Classic and Smart, polystyrène, 40 mcube. 2007.
  5. Amy O’Neill, Fire In The Hole, co-réalisé avec Michelle Hines,1999. Le film documente le festival de Pumkin-Chunkin à Dewey.
  6. Conférence donnée le 8 mars 2009 à l’auditorium de l’école des Beaux Arts de Brest, dans le cadre du workshop et de l’exposition Foyer de jeunes.