Vincent
Malassis

28.11.2020

Chronique, 2017

Chronique, 2017

Artothèque de Vitré
Commissariat : Isabelle Tessier

« L’artiste s’approprie un territoire pour livrer le portrait d’une communauté ou d’une ville, il questionne le réel en lui conférant une dimension fictionnelle par les mises en scène qu’il opère. Invité par l’artothèque en résidence de création, il a souhaité aborder la ville de Vitré sous l’angle du portrait : de personnes et de paysages. L’exposition Chronique qui résulte de cette résidence présente un ensemble d’oeuvres photographiques. »

Isabelle Tessier

Sans-titre, 2017
Poster noir et blanc
88 x 117 cm
Édition de 5 exemplaires

Vues de l’exposition Chronique, Galerie de l’artothèque, Vitré, 2017

Conversation entre Isabelle Tessier et Vincent Malassis

IT : Photographe et artiste sonore, tu as été invité par l’artothèque dans le cadre d’une résidence de création artistique. Ce travail s’est réalisé dans la ville de Vitré durant plusieurs mois. Comment s’est développée ton approche du territoire ?
VM : J’ai décidé de concevoir un portrait de la ville par une série de photographies et une installation sonore qui livrerait une idée de sa représentation depuis son hyper-centre jusqu’à sa périphérie à travers l’actualité de faits divers. J’ai voulu découvrir cette commune, aller à la rencontre de ses habitants ; j’ai essayé de vivre comme un Vitréen en logeant sur place, en m’imprégnant de la vie locale tout en conservant une certaine distance pour mettre mon projet en place. Il ne s’agit pas d’une étude sur la ville ni d’un travail de communication mais de rendre compte d’un ressenti durant une période allant du mois de janvier au mois d’août. Cette temporalité n’est pas anodine ; je voulais traverser les saisons, les journées froides, la pluie, le soleil, la chaleur. Pour cette résidence qui s’est réalisée dans la longueur, il m’a fallu opérer des choix afin de garder une cohérence dans les photographies : organiser des repérages, des prises de vues, du temps pour la retouche… Cette résidence a été l’occasion d’expérimenter des prises de vue en studio et en extérieur avec des modèles et de tenter de faire des liens entre différents types d’approches du paysage et du portrait.

IT : Il y a souvent un décalage entre ce que l’on souhaite mettre en place et les possibilités de réalisation, qu’elles soient liées à des questions techniques ou humaines. Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées et comment as-tu réorienté ton travail ?
VM : Je voulais travailler avec différents appareils moyens formats vintages mais j’ai rencontré des problèmes techniques. Le froid, la pluie, les journées à faible ensoleillement en hiver, la difficulté à trouver des gens et l’énergie suffisante pour les aborder, tous ces paramètres ont déplacé le projet. Je souhaitais figer une scène de vie mais j’ai décidé d’intégrer des modèles dans le paysage. Cette nouvelle orientation du travail s’est mise en place car, contrairement à ce que j’avais pu imaginer, il n’y avait pas assez de faits divers pour nourrir mon projet. J’ai choisi d’accentuer le côté fictionnel : en cherchant des lieux, en faisant des repérages, en construisant l’image et en allant chercher des modèles. J’ai gardé mon envie de travailler en moyen format mais en utilisant un appareil numérique. J’ai également installé un studio photo qui m’a permis de réaliser des portraits dans le logement de résidence mis à la disposition des artistes par la ville de Vitré.

IT : La série ainsi que l’exposition qui découlent de cette résidence s’appelle Chronique. Comment s’est opéré le choix de ce titre ?
VM : Chronique fait référence à la récurrence de ma présence sur le territoire. C’est également un clin d’oeil à l’hebdomadaire éponyme de Fougères, la ville dans laquelle j’ai grandi. Dans ce journal, des habitants sont photographiés pour illustrer l’actualité et les faits divers. C’est en suivant l’actualité de Vitré via son hebdomadaire Le journal de Vitré, son quotidien Ouest France et en accompagnant des journalistes locaux que je suis allé à la rencontre des Vitréens. Je prends pour appui des scènes de vie banales et quotidiennes pour réaliser mes prises de vues mais par les mises en scène que je crée je leur donne une part fictionnelle.

IT : Ton travail photographique est traversé en partie par la figure humaine. Pourrais-tu décrire la façon dont s’est construit ce travail, en amont et durant les prises de vue ?
VM : En amont, j’ai épluché les journaux, réalisé une sélection d’articles, de faits divers que l’on retrouve également sur Internet. Je voulais mener un travail d’enquête en prenant rendez-vous avec des journalistes. J’ai fait une sélection de sujets qui m’intéressaient où ceux pour lesquels j’estimais qu’il y avait un potentiel. En parallèle je travaillais au fil des rencontres sur le territoire en présentant mon travail, parfois de manière spontanée avec des personnes que je croisais. Ce travail m’a permis de faire émerger un autre type d’actualité où se mêlent scène de vie commune et fiction. Généralement durant la prise de vue je prends un certain temps pour ressentir, capter l’atmosphère, créer une certaine complicité avec la personne à photographier.
Dans l’exposition, deux types de prises de vue se côtoient : soit je place la personne dans un cadre et la mets en scène de façon très appuyée ; soit je la prends à la volée, sans pied photo. Même si les photographies sont très maîtrisées par le cadrage, j’attends le moment où la personne qui pose oublie ma présence et intériorise ses pensées. Après chaque prise de vue je retouche mes photographies en n’hésitant pas à supprimer des éléments qui selon moi perturbent la scène.

IT : Ta démarche photographique te conduit parfois à travailler avec des modèles professionnels. Comment expliques-tu ton recours à ce type de modèle dans le cadre de Chronique ?
VM : Je voulais questionner la photographie documentaire. Le retour à des modèles professionnels sème le trouble. Cela a me permet de créer des mises en scène qui utilisent la ville comme un fond de studio photo. J’ai voulu mélanger les lieux (intérieur, extérieur) ainsi que les personnes (modèles professionnels, habitants) pour donner une illusion de la ville.
Les modèles n’étaient pas là en tant que figure de mode ; je ne souhaitais pas qu’ils posent comme des mannequins. Je les ai donc placés dans des environnements pour qu’ils soient là en tant que personne et pour me rapprocher de l’illusion d’une photographie documentaire.

IT : Il y a dans la définition du portrait deux définitions qui s’opposent : celle qui s’attache à représenter fidèlement une personne et celle qui vise une représentation plus qu’une ressemblance. Comment dans ce jeu de balancement de réalité et de fiction pourrais-tu présenter cette série réalisée à Vitré ?
VM : Cette question est au coeur de la série et c’est toute l’ambiguïté des portraits que je réalise. Ce qui m’intéresse c’est l’influence du style documentaire dans la photographie mise en scène, de même que l’esthétisation des images par la photographie de mode. Je questionne la photographie documentaire en tant qu’artiste. Pour moi, elle n’est pas flatteuse parce qu’elle aborde les sujets dans une frontalité et une rigueur distanciée. Je voulais confronter ce courant avec notre ère d’esthétisation des images. Comme je ne me retrouve ni dans l’esthétique de la mode ni dans celle du documentaire, j’ai voulu développer une approche qui rend compte de cette ambivalence.

IT : Selon le philosophe Jean-Marie Schaeffer, la question du portrait repose sur un équilibre instable qui peut à tout moment être rompu : soit le portraituré est escamoté par le photographe qui cherche à imposer la souveraineté de sa volonté de puissance par un geste purement formel ou esthétisant ; soit le portraituré se sert du photographe pour accéder à une image narcissique de lui-même, quitte à se faire ainsi le faussaire de sa propre vie. Quelle forme prend à ton sens la relation de « pouvoir » qui s’installe entre le photographe et son modèle ?
VM : Ce qui m’intéresse avec les modèles, c’est de les faire poser en tant que personnes. Je ne veux pas imposer une manière d’être ou de poser. Je cherche un équilibre entre la personne, ce qu’elle est, comment elle se positionne et moi qui réalise la photographie en veillant au cadrage et en cherchant à retranscrire le moment, même fugace vécu avec elle. Je m’imprègne de ce moment et je cherche à le révéler en image tout en veillant à ce que la personne s’imprègne du décor. C’est un équilibre entre mes envies pour la photographie, son esthétique, et le modèle. Je cherche une fidélité dans l’image avec mon ressenti tout en gardant une certaine distance, à l’opposé de la photographie humaniste. Je cherche cette distance afin de laisser la personne telle qu’elle est, telle que je la perçois sans dramatisation ni-même moquerie ou ironie.

IT : Comment s’est opéré le choix des lieux dans lesquels la figure humaine prend place ? Quels sont ces types de lieux et pourrais-tu les situer géographiquement ?
VM : Je ne souhaitais pas que l’on reconnaisse la ville de Vitré à travers ses lieux emblématiques comme le château mais que l’on retrouve sa pierre, son granit, sa nature et sa périphérie. Ce qui m’intéresse dans cette ville médiévale et touristique, c’est qu’elle cohabite avec des zones où la nature a repris ses droits dans des périmètres périurbains. Ces endroits bousculent le côté carte postale du centre-ville. Dans la périphérie, où se lisent également certaines strates du passé, je retrouve une référence au cinéma et à la photographie américaine. Son côté post-industrielle me fascine, son ambiance, son esthétique m’attirent. La périphérie créé un portrait de la ville « hors les murs ». J’ai cherché à trouver des décors non représentatifs de la ville mais qui pourtant la composent, en opposition avec une de mes photographies prise au Prieuré des bénédictins.

IT : Pourrais-tu nous parler du grand écart qu’il y a entre certains paysage ? Je pense justement au Prieuré des bénédictins et à certains no man’s lands. Les photographies de végétations sont-elles des espaces de transitions entre ces deux types opposés de paysages ? Des espaces de respiration ?
VM : C’est le rapprochement d’espaces naturels et artificiels présents en périphérie qui dresse pour moi un portrait de la ville. Les photographies de végétations relient les choses entre elles comme les couleurs qui rythment et ponctuent la série.

ARTOTHÈQUE DE VITRÉ - Dossier de Presse - VINCENT MALASSIS, Chronique, 2017