Thomas
Tudoux

20.03.2024

Lotophages

Texte écrit pour l’exposition LOTOPHAGES au Quartier, Centre d’art contemporain de Quimper, à l’occasion de la manifestation « Ulysses, l’autre mer » dans le cadre des 30 ans des FRAC
Keren Detton, avril 2013

Thomas Tudoux développe une pratique artistique multiforme (dessin, vidéo, texte, installation…) qui fait souvent référence à la société du travail et à l’hyperactivité telle qu’elle se manifeste dans le système éducatif, dans l’espace urbain, ou à travers des récits imaginaires. Invité à produire une exposition à l’occasion de la manifestation «Ulysses, l’autre mer», l’artiste s’est inspiré de deux épisodes particuliers de L’ODYSSÉE d’Homère : la rencontre avec les Lotophages - peuple se nourrissant d’une fleur de l’oubli (Lotos) avec laquelle s’évanouit tout désir de retour, et celle de la nymphe Calypso qui, pour garder Ulysse à ses côtés, propose de lui offrir l’immortalité et la jeunesse éternelle.

Dans ce voyage fantastique, Ulysse est confronté à des désirs contradictoires : l’oubli de soi dans le sommeil en succombant à la tentation, opposé à la mémoire de ce qu’il était pour donner sens à sa vie. Ce tiraillement est peut- être d’autant plus fort aujourd’hui que la société est dominée par le «culte de l’action». Ce n’est donc pas tant la figure héroïque qui retient l’attention de l’artiste que sa fragilité et ses doutes. Le lit, objet de désir et de crainte, lieu de plaisir mais aussi de retraite, devient le sujet d’un ensemble de dessins conçus pour l’exposition.

Dans la série de huit dessins placée dans les vitrines, une chambre est modélisée sous différents angles et encadre un lit, comme une cellule qui isole l’individu. L’ambivalence se joue dans la tension entre la sensualité des drapés et l’effroi du lit médicalisé occupé par des figures déplacées et volontairement décalées. Dans une obscurité énigmatique apparaît la fragilité des êtres humains coupés du monde comme si la course du temps s’était arrêtée.

Les trois autres dessins exposés au mur suggèrent la présence du lit à travers le montage d’éléments mobiliers trouvés dans des manuels techniques, des livres de design ou issus de décors de films. Un baldaquin à l’ancienne est suspendu par un lève-malade. Un empilement précaire de matelas est surmonté par une potence médicale, évoquant un parcours d’obstacle ou une accumulation de survie. Dans le troisième dessin, une tête de lit surmontée d’un pied à perfusion mettant à disposition des vivres revisite le thème d’ALEXANDRE LE BIENHEUREUX, personnage dont la passivité fait acte de résistance. Ces appareillages réalistes offrent un regard critique sur une société où l’espérance de vie s’allonge créant de nouvelles formes de dépendance.

En contrepoint des dessins réalisés à la mine de plomb, une sculpture plus ancienne utilise le stress comme processus de création. Un crayon est marqué par le geste inconscient de l’artiste. Comme un portrait du dessinateur à travers ses outils, cette sculpture marque également un trouble de la capacité à agir.

Diffusé en continu dans l’exposition, Histoires du soir en 5 minutes pousse à l’extrême la réduction du récit. Alors que dans la Grèce antique, L’ODYSSÉE était clamée par des aèdes (chanteur d’épopées) dans des cérémonies collectives, les histoires sont aujourd’hui reléguées dans la sphère domestique et calibrées par l’industrie du livre jeunesse selon leur durée. Thomas Tudoux revisite neuf contes qu’il fait lire par un conférencier. Le ton employé crée une litanie où personnages, lieux et actions se mélangent. Cette mélodie sans fin emportera-t-elle les visiteurs dans le sommeil ?