Pierre
Galopin

20.09.2024

Pierre Galopin : l’épiderme du tableau

Claude Guibert

Après la remise en question de la peinture opérée dans les années soixante par les membres de Supports-Surfaces et la recherche du point zéro de cette histoire par les artistes de BMPT, retrouver la toile et les pinceaux n’allait pas de soi. Pour les jeunes artistes, l’abandon de ce médium historique est souvent apparu comme une évidence ou pour le moins comme une nécessité impérieuse dans le contexte de l’époque où la défiance s’était installée envers cette aventure millénaire. Alors, découvrant aujourd’hui à la galerie Fatiha Selam à Paris la première exposition personnelle d’un  jeune peintre Pierre Galopin, une réflexion immédiate s’impose : Et pourtant il peint !

Encore que l’acte de peindre mérite d’être analysé. Sur des toiles toujours travaillées au sol, ” Il recouvre entièrement la toile d’une première couche de vernis à l’huile, puis, dans l’urgence induite par l’alchimie des produits entre eux, d’une seconde couche de vernis à l’eau. Les résultats sont aléatoires, difficiles à anticiper “.
Cette réponse contemporaine à l’acte ancestral du peintre rompu au geste sur sa toile fait appel à un processus dans lequel support et composants se conjuguent pour produire une combinaison à l’effet incertain, donnant naissance à une sorte d’épiderme d’une nature inconnue, né de cette production en partie  incontrôlée. Cet épiderme du tableau s’impose comme un corps vivant, autonome, avec lequel le peintre doit compter. Avec “Génération” Pierre Galopin joue, si l’on peut dire, sur les deux tableaux : un jeune artiste se confronte à un processus où sa toile génère une nouvelle forme de peinture.

Qu’est-ce que l’acte de peindre ?

Si bien que cette expérimentation au protocole défini mais aux résultats à découvrir place le peintre dans une position particulière. L’artiste, dans son rapport à la toile, ne s’affirme pas comme le seul décideur de son travail, dictant par sa volonté unique les choix d’une peinture totalement maîtrisée dans ses formes et ses couleurs. Dans ces conditions, qu’est-ce que l’acte de peindre ? C’est peut-être la question nouvelle qui est posée ici dans sa matérialité. Les membres de Supports-Surfaces nous interpellaient sur les composants matériels du tableau. BMPT nous interrogeait sur la peinture comme concept. Le travail de Pierre Galopin pose, me semble-t-il, au-delà des questions précédentes, celle de l’acte de peindre à travers les limites des décisions qu’il s’impose à lui-même.

Dans ce statut nouveau, le peintre partagerait l’acte de création entre la mise en présence des composants de la peinture ( toile, pigment, vernis, laque…) processus dont il a la maîtrise et une opération hors de son contrôle, qui lui échappe totalement et dont il accepte par avance le résultat. Avec cette peinture à responsabilité limitée, l’artiste se positionne à la fois comme concepteur et comme metteur en œuvre de ses choix matériels mais il abandonne à la peinture une alchimie dont il ignore encore les règles cachées.
Dans cette approche, l’artiste accorde à sa peinture une certaine forme d’autonomie, accepte de partager avec elle l’acte créatif. Si bien que le peintre contemporain serait alors, dans le cas personnel de Pierre Galopin, celui qui, exonéré de toute préméditation d’ordre psychologique, adresse à son tableau ce message : Montre moi ce que tu sais faire de mon propre dessein.

Publié le 11 février 2015 sur https://chroniquesduchapeaunoir.wordpress.com/2015/02/11/pierre-galopin-lepiderme-du-tableau/