Incursion dans les profondeurs ligériennes
Julie Hascoët questionne l’imaginaire du sous-sol et des espaces clos entre Loir et Loire, s’attachant à mettre en lumière habitats troglodytiques, caves, carrières et eaux souterraines.
Un imaginaire ancestral
Les entrailles de la Terre fascinent l’humanité depuis des temps immémoriaux. Les mythes ou croyances de nombreuses civilisations en témoignent : domaine nocturne du soleil pour les anciens Égyptiens, labyrinthe du Minotaure ou entrée du monde des morts chez les Grecs de l’Antiquité, refuge d’ascètes et de saints aux premiers temps du christianisme… Autant d’exemples qui témoignent de notre obsession mystique pour ces sites accidentés et difficilement accessibles. Car c’est bien au cœur d’anfractuosités sur des flancs escarpés que les Minoens de l’île de Crète déposaient des objets votifs dans l’Antiquité, et dans de dangereux gouffres que les prêtres mayas sacrifiaient des êtres humains aux divinités de l’inframonde…
Témoigner des marges
Julie Hascoët, diplômée en 2012 de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, s’intéresse depuis une décennie aux espaces marginaux et symboliques. À la fois enquête anthropologique et déambulation poétique, sa démarche artistique donne à voir des géogra- phies qui incarnent des utopies très différentes de leur abandon apparent. Refuges, enveloppes matricielles, elles révèlent en creux le monde du dehors et témoignent de lisières sociales et architecturales. La série Murs de l’Atlantique, qui a débuté en 2013, éclaire cette réalité. Un dialogue étonnant s’instaure entre les blockhaus de la Seconde Guerre mondiale, qui émaillent les plages de la côte bretonne, et les espaces de free-parties, ces fêtes technos illégales dont la dimension politique dépasse celle du divertissement. Avec, de part et d’autre, des matières brutes, des rencontres secrètes, de la résistance. Pour La Promenade, dispositif mené entre 2019 et 2020 à la maison d’arrêt de Guéret, dans la Creuse, la photographe a demandé à des détenus de partager leurs lieux de promenade fétiches, avant de les documenter en images. Malgré l’absence de toute présence humaine, forêts, berges et viaducs semblent imprégnés d’une mélancolie inquiète. Cette dernière n’est indéniablement pas la leur, et reflète en creux la captivité de celles et ceux qui se remémorent ces paysages.
Les profondeurs d’un patrimoine
Dans les Pays de la Loire, Julie Hascoët a d’abord approché les sourciers de Montrelais, à la recherche des rivières souterraines locales. Puis ce sont les anciennes carrières de pierre qui ont retenu son attention. Le Saumurois, marqué depuis la Renaissance par l’exploitation du tuffeau, pierre tendre qui servit à l’édification des châteaux de la Loire, de la cathédrale de Nantes ou encore de l’abbaye de Fontevraud, est truffé de sites creusés dans la profondeur des coteaux. Des inscriptions, gravées ou dessinées au noir de fumée par les carriers, ponctuent parois et ciels de calcaire. Cadrage rigoureux et maîtrise des jeux d’ombre confèrent à ces horizons invisibles une présence troublante qui échappe au simple pittoresque. Si des monstres mythiques se tapissent dans ces profondeurs, ne sont-ce pas ceux de l’industrialisation, de l’exploitation du sol puis de son arrêt brutal et quasi définitif dans les années 1950 ? La mémoire de ces lieux parfois oubliés, souvent dissimulés sous un monticule de terre et derrière des barrières métalliques, est mouvante. En nous donnant à voir des site exclus des circuits touristiques et non réhabilités, Julie Hascoët questionne notre rapport à l’histoire locale et à un patrimoine en désuétude. Les habitats troglo- dytiques font exception et attestent, a contrario, une occupation humaine en symbiose avec son environnement. Si l’exode rural a rendu ce type d’habitat secondaire à Saumur ou à Doué-la- Fontaine, il n’en demeure pas moins un pivot de résistance, un engagement de ses habitants pour la préservation de ces cavités occupées depuis au moins cinq siècles.