Cernées par le canal de l’Ille et un bras de la rivière, les Prairies Saint-Martin sont une île de 29 hectares, en plein centre de Rennes. Elles ont été successivement des prairies pâturées, puis des tanneries et des jardins familiaux. Leur histoire relève d’identités à la fois rurale et ouvrière. La ville s’est construite tout autour, mais le site est resté relativement protégé de l’urbanisation, dans l’attente de différents projets. La friche est l’objet de réappropriations multiples, favorisées par la politique de préemption de la Ville. Les maisons sont squattées et les rues sont un spot pour celles et ceux qui vivent en camion. En 2011, la Municipalité décide de lancer un grand projet d’aménagement : transformer les Prairies Saint-Martin en un champ d’extension des crues et pour cela, les convertir en Parc Naturel Urbain. Le parc serait composé d’une réserve naturelle et d’une zone de loisir. Il nécessite d’expulser, d’exproprier l’ensemble des habitant.es, il entraine un conflit entre la Municipalité et les usagères et les usagers des lieux pendant plusieurs années.

Un observatoire photographique du paysage dans le cadre d’un observatoire d’écologie urbaine

En 2011, l’Institut National d’Écologie et d’Environnement a mis en place, aux Prairies Saint-Martin, un observatoire d’écologie urbaine. Il associe des recherches en écologie, en géographie et en esthétique : pendant plusieurs années, je photographie les paysages du site.

Vingt-quatre points de vue sont reconduits à la chambre photographique quatre fois par an, au rythme des saisons. J’analyse avec les géographes et les écologues, les transformations des lieux, les rythmes et les usages de la friche, en lien avec la naturalité du site. Puis, l’aménagement de cet espace, sa mise en réserve, s’est traduit par l’expulsion des squats, des pratiques jugées subversives. Il impose un nouvel ordre à la fois social et politique. Toutes les franges du parc sont reconstruites, investies par la promotion immobilière. Et je m’interroge : le modèle même de parc naturel et de loisir est-il adapté à l’histoire marginale et libertaire du site ? Il existe dans la confrontation de différents points de vue et vécus du site, une forme de réversibilité du mot sauvage.