Le pavillon du gardien
Sans titre (Le pavillon du gardien), 2014
Bois, tôle électrozinguée, laque polyuréthane, 1190 x 882 x 255 cm
Production Le Crédac, en partenariat avec la T.I.V., Choisy-le-Roi © Benoît-Marie Moriceau / Adagp Photo : André Morin / le Crédac.
Le travail de Benoît-Marie Moriceau se développe dans une définition de l’oeuvre d’art « située » dans son environnement, son contexte physique, économique, social, politique, historique et institutionnel. L’impulsion lui est donnée par le lieu où il est invité auquel il intègre des mécanismes liés à la représentation. Depuis Psycho (2007), son intervention au titre hitchcockien, où il recouvrait intégralement de peinture noire une maison ancienne (l’espace d’exposition de 40mcube à Rennes), on connaît sa capacité à évoluer à travers des formats d’interventions très variés, du plus spectaculaire au plus invisible, installant toujours une atmosphère, un climat.
Ici c’est « la maison du gardien » datant du 19ème siècle qu’il a choisi comme sujet. Parce que c’est à la fois une maison, mais aussi une belle sculpture à l’échelle du bâtiment américain qui est venu se glisser, voire se coller à elle en 1913. Depuis le Crédac, la vue plonge sur le toit coiffé de cheminées, véritable déclencheur d’histoires, d’évocations cinématographiques et littéraires. Moriceau amplifie ce promontoire imprenable sur l’espace urbain chahuté d’Ivry, en construisant dans l’espace d’exposition une « réplique » du toit, à la fois décor de cinéma et image.
Le dédoublement, la réplique architecturale ou historique font partie des sujets explorés par l’artiste. En 2005, dans Novo ex Novo (toujours à 40mcube à Rennes), il proposait déjà au spectateur de faire l’étrange expérience du dédoublement et du vide. A la façon d’Yves Klein dans son exposition Le Vide (galerie Iris Clert, 1958), il traitait une première salle de la galerie puis il proposait au visiteur de pénétrer, après un sas, dans une autre salle qui était la réplique de la première. Le spectateur était confronté à l’expérience du vide et à sa citation.
Il y a peu à voir dans l’exposition à proprement parler mais il y a beaucoup à regarder à l’extérieur. Dépassant la tentative d’une image illusionniste, Benoit-Marie Moriceau associe un dispositif scopique à une fiction. Il inverse les enjeux du lieu qui devient un outil de vision ouvrant la perception sur l’espace urbain qui l’entoure. Il met ainsi totalement en exergue l’importante porosité visuelle entre l’espace d’exposition et la ville.
L’artiste relie ici deux espaces, traduisant un enjeu caractéristique de son travail : l’espace d’exposition relève implicitement de l’espace public. A l’inverse de Psycho qui n’était pas « pénétrable », ici le toit est praticable, comme une montagne urbaine, métaphore du relief naturel. Le jeu d’échelles, inhérent à la question de l’espace, est très présent.
La ville vue du centre d’art apparaît comme une image ou comme une maquette. Dans l’exposition, le spectateur n’est pas face à un décor, mais il est dans le décor. Il peut, s’il le souhaite, réaliser un joli rêve : celui de marcher sur les toits. Dans ces situations concrètes, Benoit-Marie Moriceau introduit de la fiction à partir d’éléments absents ou simplement évoqués. Un lieu chez Benoît-Marie Moriceau garantit rarement la fonction pour laquelle il est désigné, bien au contraire. Ici, le white cube est un prétexte à un rendezvous inédit, qui permet ce qu’il cherche à mettre en place : un point de contact entre la réalité et une fiction sugérée.
Claire Le Restif
Extrait du dossier de presse de l’exposition personnelle de Benoît-Marie Moriceau au Crédac du 11 avril - 22 juin 2014