Yoan
Sorin

27.03.2020

Helter Skelter, une copie sans modèle

HELTER SKELTER, UNE COPIE SANS MODÈLE

Frac des Pays de la Loire, Carquefou, 2016

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Vues de l’exposition Helter Skelter (Une copie sans modèle), Frac des Pays de la Loire, 2016
Photo: Fanny Trichet

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Color me bad

« — ou bien c’est rêver qu’on repart à zéro, qu’on recrée, qu’on recommence. » 1

À la manière du journal de bord, la pratique de Yoan Sorin se décline selon des mythologies éclatées que l’artiste actualise à mesure de dessins et d’installations, de peintures et de performances. Comme il exerce son regard caustique et parfois acide, Yoan Sorin conjugue la prise de note et la confection d’objets qui s’appréhendent sous le mode de rébus, slogans ou d’aphorismes, lieux de collusions de représentations. Prolixe et incisive, à l’image de ses nombreux carnets de dessin qu’il remplit de façon régulière, sa production conjugue craft et low tech, mauvais esprit et sens de la dérision.

Wax tailor (les îles sans modèle)
L’artiste, qui intitula une de ses premières exposition Just do it, brasse et mixe les matières à partir de l’assemblage hétéroclite et baroque, fait de collages et d’effets miroir, de perspectives composites ou d’aplats chromatiques. Pastels naïfs aux couleurs vives, griffonnages au feutre, effigies issues de l’univers des comics, ses œuvres compilent délibéremment le cheap et le bling bling improbable. A l’image de la marge et des lignes de la page de cahier de brouillon qu’il reproduit à la façon du graffiti et de la signature, Yoan Sorin manie avec mordant l’usage des effigies. Par le biais d’une esthétique du chromo ou de la récupération, le travail de l’artiste développe une science iconoclaste du détournement, distillant la confusion des genres et des codes. Coupes, totems et autres bibelots en bambou deviennent le prétexte à la toile de fond sur laquelle s’impressionnent les références à l’histoire afro américaine, le hip hop, le branding, le street wear ou l’histoire de l’art. Trame récurrente qui balise son travail, le sport apparaît sous différents formats tant dans la dimension physique qu’il utilise fréquemment lors de performances, que comme le réservoir et un matériel de signes politiques et culturels que l’on sortirait ainsi d’un vaste dressing. Comme pour ce punching ball en plâtre qu’il construit pour mieux le frapper et détruire, la matériologie des pièces de Yoan Sorin induisent souvent une geste et une mise en jeu corporelle de l’artiste. Le fait main coïncide ici avec l’idée de profusion, de dépense et d’épuisement des possibilités au sens propre comme figuré.
Pour Umberto Ecco : « Je parle à travers mes vêtements. » Endroits des équivalences entre le tissu et la peinture, le textile et l’ornement, les sculptures et tableaux de Yoan Sorin jouent la typologie et une partition particulière du décoratif, à l’exemple de ses Helter Shelter qui oscillent entre la peinture dans l’espace et l’île en deux dimensions. Au travers de cette logique luxuriante de l’accessoire, entre art brut et logique foutraque de la statuaire ou de la pacotille, ses pièces entretiennent un lien nomade à l’objet domestique et l’apparat, racontant imprimés floraux ou reproductions exotiques, volumes en terres cuites et pigments indisctincts.
A la façon du portrait chinois qui se fabrique, Yoan Sorin investit les sous-cultures comme un moyen de documenter le monde et le regard qu’il porte sur celui-ci. Cette customisation et fétichisation tous azimuts participe de que ce Dick Hebdige définissait par « le style comme bricolage »2. Tressages, enchevêtrement et métissages des sources, il s’agit bien là de faire croiser idées de folklores, traditions et influences visuelles sous le mode du flux constant et dans un rapport horizontal des choses, des hiérarchies et des origines. 3 Chez Yoan Sorin, si l’archipel rappelle volontiers les Caraïbes fantasmées, le motif s’inscrit dans cette poétique du fragment et va de pair avec le caractère épars, discontinu et volontairement lacunaire des citations et des supports que l’artiste emprunte. Adepte de l’analogie entre l’écran, la toile et la page, Yoan Sorin investit ces espaces comme autant de surfaces de projection à l’heure d’Internet, d’Instagram ou de Tumblr. Derrière l’hybridation formelle, le primitivisme des factures, ce sentiment de vernaculaire et de non linéaire, l’artiste interroge en permanence l’idée de retranscrire ici et ailleurs, là-bas et maintenant.

Frédéric Emprou

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Vulgalys et le sens de l’envers

Frac des Pays de la Loire, Carquefou, 2016_
_Performance dans l’exposition Helter Skelter, Une copie sans modèle

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Vulgalys et le sens de l’envers, 2017
Performance, 30 min
Photo : Fanny Trichet

Au programme du dimanche 15 janvier 2017, une performance dérivante intitulée, comme une épopée surnaturelle, Vulgalys et le sens de l’envers, Vulgalys étant la contraction des termes vulgaire et pieds de lys, cette tradition douloureuse des femmes chinoises aux pieds bandés.

L’artiste commençait par pointer à la lampe-torche le verso caché d’une peinture biface, comme un guide étrange dans une grotte pleine de surprises, puis peignait en direct sur le grand rideau qui pendait à l’entrée. Il composait une saga improvisée de formes primitives évoquant quelques figures familiales, puis nous livrait sa vie avec nonchalance, déchirait puis tressait le tissu qu’il venait de peindre, distillait des fragments de discours qui ébauchaient une identité flottante, le tout énoncé posément dans un anglais très approximatif.

Toutes ces actions étaient ponctuées de chocs sonores : car Yoan Sorin avait enfoui ses pieds dans deux seaux de plâtre pris, ce qui lui donnait des allures de statue vivante grossièrement soclée, à la démarche appesantie et encombrée. Titubant dans l’espace, l’artiste rappelait aussi ces petits jouets tout simples, où il suffit d’appuyer sur le bouton-poussoir caché sous le socle qui soutient la figure en bois, articulée de fils, pour l’amollir et la faire chuter instantanément : par le corps ou le verbe, Yoan Sorin ne cessait d’enjoindre les moyens d’être plus vulnérable, de requérir l’accident et le faux-pas.
Dans cette impétuosité fragile abondait les pulsions d’enfance, cette période de la vie parfois caractérisée par des élans transgressifs qui mettent en péril une intégrité psychologique ou/et physique pour relancer le désir, renouveler le rapport au savoir, se mettre en jeu et en je.

Autant d’expériences limites qu’emprunte facilement l’art, et qui permettent d’échapper à l’immobilité, à l’enfermement, à la mort : à la fin de sa performance, Yoan Sorin a brisé ses carcans de plâtre, et allégé, s’en est allé.

Eva Prouteau Enfances plastiques,
Texte extrait de la revue 303, N°145, Chroniques art contemporain.