LES OUINEURS

Crayon de couleurs sur papier,
24 dessins, 40 x 40 cm, 2022

Dans ma classe, y’en a qui sont nuls, qui comprennent rien et qu’on doit toujours attendre. On devrait faire des écoles pour les bons, des écoles pour les moyens et des écoles pour les nuls, comme ça chacun serait à son niveau et pourrait travailler à son rythme sans ralentir les autres.

Même si on a toutes la même école, pour les enfants qui ont des papas et des mamans riches ou cultivées, c’est beaucoup plus facile. Avec les copines, on se dit qu’on pourrait vivre à l’école, de 6 à 18 ans, comme ça y’aurait plus de différence entre celles qui ont des parents riches et celles qui ont des parents pauvres, et là, on verrait vraiment qui c’est les meilleures !

Même s’il n’y a plus de roi, les gens qui dirigent le pays, ils se prennent généralement pour des chefs. Pourtant, démocratie, ça veut dire le pouvoir au peuple. Du coup, comme chacun mérite le pouvoir, on pourrait prendre des gens au pif pour gouverner.

Y’a des gens qui n’ont pas assez à manger ou pire qui vivent dans la rue. On pourrait dire qu’il suffit d’être vivante pour mériter de vivre, sans besoin des notes ni de contrôles, ni de quoi que ce soit. On serait payée pour vivre, juste parce qu’on est là.

On a appris en classe que dans certaines entreprises la patronne gagnait 277 fois plus que ses salariées : c’est énorme ! Nous, on s’est dit que personne n’en vaut plus de 20… comme ça on ne peut pas être payée plus de 20 fois le salaire le plus bas. C’est plus juste et en même temps, on garde une différence pour valoriser les meilleures et motiver celles qui sont à la traîne.

Il y a des inégalités qui sont pas justes : entre les blancs et les noirs, entre les garçons et les filles, entre les vieux et les jeunes, entre les handicapés et ceux qui le sont pas. Si on gardait que le mérite comme moyen de se comparer et de dire qui est le plus fort, ça serait plus juste.

Il y en a qui veulent choisir leur école pour rester entre eux, ça fait que de plus en plus, dans chaque école, il n’y a que des élèves qui se ressemblent. On pourrait faire que des écoles mélangées pour que tout le monde ait la même ligne de départ.

On pourrait toutes porter un uniforme, les enfants et les adultes, pour faire moins de différences entre les gens sur l’apparence. Mais, comme au judo, il pourrait y avoir des couleurs pour indiquer le vrai niveau des gens : orange plus forte que le jaune, vert plus forte que le orange, etc.

Les amoureux riches et cultivés réussissent mieux parce qu’ils peuvent partager leur argent, leurs savoirs, et leurs amis. On devrait obliger les plus forts à sortir avec les plus forts et les plus nuls avec les plus nuls, parce que si on se mélange tout le monde va devenir moyen.

Moi, quand je promets à ma mère de ranger ma chambre, j’ai intérêt à le faire. Mais les candidats aux élections, ils promettent des choses qu’ils ne font jamais et on peut pas les punir. On devrait pouvoir vérifier s’ils font ce qu’ils ont dit, et s’ils mentent, on les vire. Comme ça on est sûr qu’ils méritent toujours leur place.

À l’instar d’enfants qui s’inventent des mondes par la formule « on dirait que… », chaque dessin nous présente, à hauteur d’élève, des transformations pour conduire notre société vers plus de méritocratie. Cependant, ces propositions se contredisent et loin de constituer un ensemble de mesures cohérentes, elles soulignent la complexité de ce principe d’organisation sociétale.

La tension naît ici du conformisme tactique des dessins : entre douceur enfantine des coloriages et radicalité des propos.

Cette série de dessins est le fruit d’une résidence de recherche-création à l’INSPE de Rennes, en collaboration avec Élise Tenret (Maîtresse de conférences en sociologie (IRISSO - Université Paris Dauphine) et portée par le Phakt - Centre Culturel Colombier. Ils découlent de l’invention de méritocraties idéales puis de mesures permettant de mener notre société vers ces horizons désirables… ou non.

Œuvre produite avec le soutien de la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société, de la Région des Hauts-de-France et des Ailes de Caïus.

Détails

Vue de l’exposition
Le revers de la médaille, Galerie Net Plus, Cesson-Sevigné, 2022