Steven
Pennaneac'h

16.08.2021

DE QUELQUES TOILES DE STEVEN PENNANEAC'H

Philippe Guéguen, 2013

Voilà donc des tableaux dont le format induit apparemment un usage domestique plutôt que muséal ou institutionnel. Ils conviennent à l’habitat contemporain ; on peut les accrocher chez soi. Ils sont d’autant plus destinés à un usage quotidien qu’un amateur, sinon un spectateur fortuit mais sensible à la chaleur des tonalités de la gamme chromatique parcourue, y reconnaîtra des figures familières : personnages d’aujourd’hui saisis dans une lumière douce et un espace réaliste, paysages maritimes ou bucoliques, intérieurs, objets usuels voire triviaux.

Ces tableaux, il faut les regarder longtemps. Certes, les figures exposées sont connues. Mais si le regard identifie d’abord des hommes et des femmes, des rochers, des galets, des bosquets, des nuages, un parapluie ou un sac en plastique, qu’il zigzague un peu entre tous ces objets ainsi rassemblés, et il doutera de ce qu’il aura vu, il se demandera quels rapports se nouent, quelles histoires se trament. Ce qui est familier n’est pas pour autant rassurant.

Procédons par ordre, examinons dans un premier temps ce qui va par deux et quels mouvements s’en suivent.

Deux hommes surplombent à contre-jour une oblique noire et leurs silhouettes s’élèvent dans la clarté de la partie supérieure du tableau. Le personnage à droite lève sa main droite, ponctuant ainsi un discours que l’on n’entend pas, tandis que le personnage de gauche a la main gauche au niveau des hanches, geste interrompu. Les deux ont le visage penché légèrement, à la fois en avant et l’un vers l’autre. Qu’y a-t-il en bas ? à nos pieds ? Il y a de la fatalité dans cette conversation : l’oblique a le tranchant d’une guillotine.

Un homme et une femme se promènent sous un parapluie rouge au centre du tableau. Leurs visages sont légèrement penchés sur leur gauche. Que regardent-ils ? Est-ce qu’ils se parlent ? La femme s’agrippe à la bandoulière de son sac tandis que l’homme tient le parapluie. Derrière eux une sphère verte, dont la forme contredit l’allée centrale autant que le végétal ambiant, ou en est l’aboutissement. Un homme et une femme, un parapluie rouge et une sphère verte, un chemin parmi les arbres.

Deux apiculteurs en combinaison blanche et au visage masqué déplacent une ruche tricolore aux tons délavés. Au premier plan, les pieds des deux hommes disparaissent dans le noir. Derrière eux, une série de troncs ocre forment une haie devant un bosquet vert. La ruche, ils l’enlèvent ou il l’apportent ?

Séparés par un lac, deux hommes dans une lumière de fin d’été. Celui du premier plan porte deux seaux, l’autre, plus loin, l’observe peut-être ou est là par hasard. Les arbres sont magnifiques. Pourtant, la lignée de saules pleureurs, de l’autre côté du lac, fait penser à un animal fantastique. Reste le lac lui-même, nuancier de toutes les couleurs du tableau autant que surface de projection. De quoi est-il le miroir ?

Les personnages seuls maintenant.

Un homme accroupi devant une flaque entre des rochers entourés de galets. Lui aussi, que regarde-t-il ? Il se trouve entre un roc et un sac, un sac blanc mais opaque, un sac en plastique blanc d’au moins cinquante litres, un sac poubelle, noué. Il faut regarder toutes les formes qui se dessinent ici. Notamment les ombres, celles de l’homme et du sac ont une forme identique. Moderne Hamlet ?

Un homme en maillot noir et rouge s’avance prudemment vers la mer, utilisant ses bras comme balanciers. Au premier plan du sable, puis des galets, un peu de mer parsemée de rochers et une falaise abrupte. La couleur claire du corps contraste avec le fond, de même le mouvement du baigneur en équilibre instable, ridicule ou touchant, quand tout autour l’éternité respire .

Dans une pièce carrée que prolonge un couloir terminé par une porte, une femme, vêtue de noir et penchée, observe attentivement ce qui est exposé sous verre, et dont on ignore tout, dans quatre boîtes plates disposées sur des tréteaux rouges. Ses pieds disparaissent sous la table avec la forme d’une hirondelle. À gauche, une tache blanche…

Qu’aura t-on vu ? Des personnages dans de beaux cadres, fixes ou en mouvement, eux-mêmes en train de regarder, tous penchés sur quelque chose. Des pièges à regard, dans lesquels celui qui se sera arrêté à les contempler n’a pas fini d’en voir. À quel moment est-il de ce qui est en train de se passer sous ses yeux ?

Car l’impression d’étrange familiarité provient aussi de ce qu’on croît reconnaître d’autres peintres, sinon d’autres peintures, d’époques et de factures différentes. Comme si, à ce qui nous est montré, se superposait une scène plus large. Où est-ce que j’ai déjà vu ça ? Quelles histoires ces tableaux m’amènent-ils à me raconter ?

Philippe Guéguen Pont-Croix, le 29 août 2013