Quentin
Montagne

08.09.2022

レールの街を襲う! (Flers : un monstre attaque la ville !)

2angles, Relais culturel régional, Flers, 2021

Dragonzord (Lubrizol, Rouen), 2020
Encre de Chine sur papier calque, 41,5 x 34,6 cm

Pirantishead versus Polluticorn (Château de Flers), 2020
Encre de Chine sur papier calque, 72 x 52 cm

レールの街を襲う! (Flers : un monstre attaque la ville !), 2020
Vues de l'exposition レールの街を襲う! (Flers : un monstre attaque la ville !), 2angles, Relais culturel régional, Flers, 2021
Photo : Anthony Girardi

D’emblée, le titre de l’exposition convoque un flot d’images issues de la culture japonaise. Celles de Godzilla forcément, puis de tous ses avatars titanesques. Ces fameux kaiju, littéralement  « bêtes étranges » ou « bêtes mystérieuses ». On pense aussi aux générations de robots géants justement inventés en vue de combattre ces monstres et que l’on découvre au gré des films, animés et bandes dessinées. C’est ce que montrent les deux premières encres de Chine sur papier calque, présentées sur des murs eux-même recouverts de fresques. Les personnages qui y figurent sont directement empruntés aux Mighty Morphin Power Rangers, une série télévisée que je regardais, enfant, dans les années 1990. Diffusé dans le Club Dorothée, chaque épisode ou presque était l’occasion d’un combat féroce entre des monstres extraterrestres, boudinés de silicone et de carton-pâte, contre des robots aux formes de dinosaures ou de samouraï. Par un effet de contre-plongée de la caméra, dans un nuage de poussière et de fumée, les aliens grandissaient à chaque fois brutalement pour surplomber les bâtiments environnants.

Cela peut paraître étonnant face à cette licorne ailée et cette chimère à tête de poisson, Polluticorn et Pirantishead , mais tout vient de l’aquarium. Pendant cinq ans, mes recherches se sont pour ainsi dire exclusivement concentrées sur ce réservoir particulier, trop rapidement réduit au traditionnel bocal à poissons rouges. Ces travaux ont non seulement pris la forme de dessins, de sculptures et d’installations, mais également d’articles, de conférences et finalement d’une thèse universitaire achevée très récemment. L’aquarium a ceci de fascinant qu’il réunit en son sein des décors aussi différents que des volcans, des ruines greco-romaines, des soucoupes volantes et des restes d’androïdes. C’est un espace de liberté où la science se mêle à la fiction et au rêve sans soucis de réalisme ou de vraisemblance. Si l’exposition présente de nouvelles réalisations, produites dans le cadre de ma résidence à 2angles, le but est avant tout de faire un point sur ce travail au long cours autour de l’imaginaire subaquatique. Articuler et ré-articuler des recherches initiées il y a près de six ans, mais selon de nouvelles perspectives, de nouvelles pistes à explorer.

Le travail se développe selon des associations d’idées, de références et d’images, où l’on passe rapidement de la culture savante au registre populaire. À la manière des différents collages de la seconde salle, de l’autre côté de la terrasse, les références se croisent, s’additionnent et se recouvrent, formant des strates hétéroclites. L’inversion des échelles au sein de l’aquarium, où l’on voit de tout petits poissons surplomber des pyramides miniatures par exemple, évoquent entre autres les scènes de films de monstres géants, récemment remis à l’honneur par des réalisateurs comme Guillermo del Toro ou Michael Dougherty. À l’instar de Tokyo et de New York, Flers subit à son tour les assauts de ces colosses qui me fascinaient à l’âge de sept ou huit ans. En même temps, ces marionnettes renvoient à l’iconographie féconde de la paléontologie, un sujet qui me passionnait également enfant et que l’on retrouve dans les bacs d’aquariums. Le fonds aquacoles abritent après tout autant les mythes de l’Atlantide et les récits de naufrages que les animaux des temps anciens. Il n’est que de penser à la passion actuelle pour le mégalodon, ce requin préhistorique mis en scène par Steve Alten ou, plus communément, au monstre du Loch Ness.
Les peintures murales, sortes d’arrière-plans issus d’un ouvrage de Camille Flammarion, Le Monde avant la création de l’homme (1886), font ainsi le lien entre les dessins à l’encre de Chine réalisés à Flers, les animaux que je pouvais concevoir il y a plus de vingt ans face aux Power Rangers et une série plus appliquée, plus méthodique, recensant à l’aide du stylo Bic l’ensemble des décors d’aquarium disponibles dans le commerce. Toujours en cours d’élaboration, cette série se prolonge de l’autre côté de la terrasse, face au collages des Muses et surtout du triptyque The Lost Worlds, réalisé au cours de ma résidence à 2angles. De même que les fresques accueillent le spectateur, une dernière vignette de Camille Flammarion clôture l’exposition. La vision sous-marine préhistorique, presque romanesque, riche de cnidaires et de trilobites, trouve alors un écho angoissant dans l’état actuel des océans marqués par l’invasion massive de méduses et le risque de ce que certains scientifiques qualifient de gélification des mers.