Nikolas
Fouré

04.08.2022

Voyage sur les mains

2016
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Voyages sur les mains, 2016
64 impressions numériques sur adhésif transparent (format A3)
et une impression sur vinyl (format 60x80 cm)

Les 64 images composant le livre Voyages sur les mains sont exposées sur les nombreuses vitres et vérrières du batiment Arsenal (bâtiment principal de l’université de droit et d’économie, Toulouse Capitole).
Le rythme et le séquençage des images jouent avec le rythme de l’architecture et la mesure des cloisons vitrées.
Imprimées sur adhésif transparent (vitrophanie) les images sont activées par la lumière et invitent le regard à s’échapper, pointant la fine et paradoxale interface dedans/dehors de cette architecture, comme une invitation au voyage.


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Voyage sur les mains, _2011
20 x 13,5 cm, 64 pages
Co-édition Zédélé éditions, Brest et La Criée centre d’art contemporain, Rennes._

Dans chaque société primitive, on doit pouvoir trouver un récit ou un protocole relatif à l’appropriation d’un nouveau territoire. L’image qui revient souvent est celle d’un pieu planté dans le sol, en un lieu mystérieusement désigné par celui qui fait office de sage. Autour de cet ancrage, la société va pouvoir se développer dans toutes ses dimensions. Ces rituels ont pour but d’assurer une stabilité chrono-topologique et de concevoir le monde autour d’un centre : l’Axis Mundi. Du point de vue anthropologique, l’appréhension physique du territoire est indissociable de son appréhension symbolique.
Nikolas Fouré n’est pas membre d’une société primitive, mais pourtant ses agissements ont quelque chose à voir avec ces rites de fondation car à travers une action définie et reconduite, il se situe, se met en relation avec l’endroit. Si la fonction des rites de fondation est d’offrir au groupe ancrage et stabilité, chez l’artiste, au contraire, le geste est tendu vers un vertige. Le monde vacille, l’identification des repères et des objets est difficile. Une légende moldave raconte que “quand un homme bat le pieu dans la terre et touche la tête d’un diable tel qu’il est tombé jadis cela lui nuit car il peut devenir fou ; mais ceux tombés avec la tête en bas et les pieds en haut sont inoffensifs” (Pamfile 1913). L’expression “diable inoffensif” pourrait être un bonne manière de décrire l’irrévérence de l’artiste prenant possession des lieux. En refusant de rationaliser sa place dans le monde pour la poétiser, l’artiste défie une forme d’autorité, incarnée par un ordre des choses avec lequel il ruse. Ce n’est pas un geste isolé dans la pratique de Nikolas Fouré. Chaque matin, en buvant son café, il remplit patiemment une page de minuscules gribouillis au stylo bille bleu, qu’il assemble ensuite en de grands ensembles. Si Voyage sur les mains est lié à la spatialisation du corps, il s’agit davantage ici de périodicité. Mais de nouveau, la rigueur du rituel dénote paradoxalement une volonté de garder active une relation à des éléments aux contours plus flottants.
Dans un élan que l’on qualifierait facilement de géopoétique, Nikolas Fouré se photographie donc en équilibre sur une main, l’autre tenant l’appareil photo. Une sorte de “shooting restraint” — en référence aux “drawing restraint” de Matthew Barney — où la finalité plastique est sujette aux limites imposées au corps. Mais la comparaison s’arrête là car l’esprit du geste, exutoire, relève ici davantage de la roue que ferait un enfant en arrivant sur une plage que d’un héritage de la tradition du body-art. La figure constitue ainsi le dénominateur commun que l’on retrouve d’une photo à l’autre, tautologie déployée autant pour voir que pour être vue. Le mot figure joue ici de son double sens, à la fois sportif, tel un triple-axel, qu’au sens gestaltique d’une figure se dissociant d’un fond. C’est une contrainte générique révélant accidentellement certains éléments contextuels via des indices architecturaux, climatologiques ou vestimentaires. La nature même des images est trouble de ce point de vue, car si la réitération de la figure semble insister sur la variabilité des alentours, le nombril de l’artiste n’en reste pas moins chaque fois au centre. Mais ce qui rend attachante cette forfanterie est l’allégresse avec laquelle l’artiste regarde le ciel se dérober sous ses pieds.

Gaël Grivet