Nikolas
Fouré

04.08.2022

Montagne domestique

2009-2014

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Montagne domestique, _2009
Contre plaqué, enduit, moulure en polystyrène, peinture,
environ 6m2 au sol et 2m 40 de haut Photo : Marc Loyon

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Discobarok, 2009,
Cadre baroque doré, PVC thermoformé, facettes de miroirs, 115 cm x 85 cm.
Fonds départemental d'art contemporain d'Ille et Vilaine.

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Photo : Marc Loyon

Les harmonies paradoxales

Entre domesticité et grands espaces, paysage et dépaysement, art décoratif et pop culture, l’univers de Nikolas Fouré se dévoile en mouvements bipôlaires. Usant de tous les matériaux sans apparente hiérarchie, l’artiste a conçu son exposition au centre d’art de Pontmain comme un dialogue à bâtons rompus entre quatre œuvres ouvertes, qui entrechoquent la symbolique des lieux, les époques et les styles avec un art réjouissant de la collision frontale.

Au seuil de l’exposition se dresse une montagne stylisée, un bloc qui interpelle. L’œuvre affirme d’emblée sa nature hybride : tel un dessin schématique qui aurait gonflé en 3D, elle évoque à la fois la nature primitive du relief montagneux — ce volume qui surgit spontanément lorsque le sol s’extrude — ainsi qu’une vision-stéréotype de la montagne, dont l’aspect modélisé est souligné ici par une blancheur monochrome. L’artiste enrichit encore ces références (au dessin, à la sculpture, au paysage naturel) en convoquant l’architecture en général, et celle du contexte en particulier. Il greffe en effet sur les arêtes de l’objet des moulures d’ornement pour espaces intérieurs, ce type de frises à motif floral fleuron des décors domestiques. Paysage mental énigmatique et paradoxal, l’œuvre annonce la dynamique de l’exposition : celle du clash formel et de la tension polysémique.

Mise en perspective, cette Montagne domestique se découpe sur l’infini d’un ciel, vaste mur qui s’offre au premier regard dans ses variations chromatiques douces, du mauve pâle au bleu foncé, et dans sa texture fluide. Work in progress qui se réactualise en fonction des contextes d’exposition, cette surface d’azur est constituée de 1300 dessins automatiques réalisés au stylo bille sur papier machine. La genèse de l’œuvre est éclairante : Nikolas Fouré débute cette activité graphique en état de faiblesse, volontairement dépris de tout esprit d’invention, dans le besoin de matérialiser une vacance de l’esprit, proche en cela d’un Gilles Barbier qui depuis des années recopie des pages de dictionnaire. Chez Nikolas Fouré, ce remplissage quotidien — du temps, de l’espace — prend la forme de mouvements spiralés à densités variables, un ressassement luxuriant qui incarne un processus de pensée émergente. De cette pratique légère et improvisée finit par naître une ample composition, qui vaut par sa nature multipliée, répétitive, accumulatrice. L’artiste questionne ainsi l’image dans un rapport de présence complexe : matérialité de l’image en train de se faire, pixel par pixel ; parenté avec la grille moderniste, qui tente ici de structurer cette matière fluctuante, ce monde-nuage ; liens étroits tissés avec la sculpture (l’assemblage) et la performance (geste et durée) ; et dimension contemplative de l’ensemble, qui frappe par sa séduction picturale et s’apparente sur ce point aux grands formats d’Alighiero e Boetti réalisés selon la même technique. Le titre, Ciel, fond bleu, condense le rapport au paysage et les techniques d’incrustation vidéo, l’alchimie numérique de l’image.

Non loin, l’œuvre Discobarok rejoue très différemment la fragmentation du motif et le rapport à l’image naissante : elle met en scène un cadre orné de moulures dorées entourant des carrés de verres miroirs façon boule à facettes. Ces derniers se soulèvent en une protubérance qui semble surgir de la bi-dimension pour aller vers la sculpture, diffractant à l’infini l’espace alentour. Plusieurs problématiques se rejoignent ici : la symbolique du miroir, reflet d’une présence ténue qui sans cesse se déforme et s’échappe, l’entre-deux qui sépare surface et volume, et le télescopage de deux types de codes ornementaux et de deux époques. Un rendez-vous similaire s’opère dans l’installation Post-light-modernism : une photographie montée sur caisson lumineux détaille un néon chevillé sans façon sur une rosace en stuc. Le clash est non-prémédité, simple conséquence de l’intervention de techniciens municipaux qui ont récemment refait l’électricité dans un atelier de la Ville de Rennes. L’habile mise en abyme (la représentation d’une lumière dans un dispositif lumineux) souligne le rapport au décoratif et la dimension post-moderne de l’œuvre. Mais plus globalement, ce qui se joue ici tient de la bataille plastique fortuite et non-intentionnelle : deux élans se surimposent pour former un palimpseste à la beauté accidentelle.

Dans ces tensions contradictoires et multiréférentielles, dans ces matériaux éclectiques, l’artiste fraye ses chemins de traverse. Tous convergent pourtant vers une cohérence esthétique d’ensemble, où se devine, œuvre après œuvre, un paysage contrasté riche de résonances oxymoriques et d’harmonies paradoxales, où subsistent la magie fictionnelle et le mystère des choses.

Eva Prouteau, 2009
Texte paru dans le catalogue “Audrey Frugier, Nikolas Fouré”, édité suite à l’exposition des résidences d’artistes 2009, centre d’art de Pontmain.