Marc
Geneix

UP . 03.12.2024

Blank notes

Frédéric Emprou

« Oui / Enchaînons / Montage attractif / Des idées / Sans points de suspension…1  »

A travers ses installations, vidéos et dessins, le travail plastique de Marc Geneix entretient des rapports particuliers avec les figures de la boucle et du fragment. Fictions souvent fantasmatiques, développant un temps de l’incertitude et du doute, les pièces de l’artiste rendent compte à bien divers égards de l’état d’une conscience atomique du réel contemporain. Procédant par recompilations de références culturelles, Marc Geneix mène une archéologie circonspecte des mythologies en contrepoint des notions d’ère du soupçon et de société de contrôle. Enquête au caractère récursif et éclaté, la position critique de l’artiste fait penser à une radiographie sceptique et parfois lapidaire d’un certain Zeitgeist.
Sur arrière-fond de fin possible des idéologies et de mort supposée des grands récits, Marc Geneix aime à orchestrer une déconstruction du régime des signes sur le mode de l’inquiétante étrangeté. On pensera notamment à sa pièce en néon intitulée Monde tel le remake d’un artefact debordien. Si les oeuvres de l’artiste dénotent d’une parenté avec celles de Claude Lévêque ou de Pierre Ardouvin, c’est parce elles ont notamment en commun ce postulat de Bill Viola : « capter le réel sur un support qui le rend évanescent ».
La lettre et l’allégorie, éléments récurrents chez Geneix, deviennent des combinatoires et des prétextes à une activité de lecture et déchiffrement du monde. Le masque et les yeux sont autant d’indices et de marqueurs de ces correspondances que l’on retrouve dans les derniers travaux de l’artiste.
Work in progress témoignant de cette manière d’ausculter la masse grise des actualités, l’artiste peint ainsi au noir les pages papiers de journaux. Entre le texte, l’image et l’idée de révélation, les séries Témoins, Complices ou Journal noir, donnent à voir la représentation d’un chaos, au sens propre comme au figuré. La citation du Mythe de la caverne renvoie en outre au répertoire platonicien de la connaissance cachée, de la vérité hypothétique non dévoilée et de l’aveuglement.
Objet composite et carnavalesque, Le scénario de l’inéluctable pourrait dès lors s’apparenter au pendant dérisoire et farceur de l’ouvrage récemment réédité des Tiqqun, Contributions à la guerre en cours2 . Lieu des renversements et des rapprochements iconoclastes, Le scénario effectue un sabordage railleur et impeccable de la trame de notre environnement immédiat, la sphère médiatique.
Le diffus du quotidien devient une matrice délirante, prétexte à des confrontations savoureuses et cinglantes, des mixages et une manipulation jubilatoires des effigies. Par le biais d’une geste distanciée au stylo bille et du jeu de mot fortuit, l’artiste pratique le détachement et un art de la juxtaposition décalée qui pourrait rappeler les interventions de Claude Closky sous certains aspects.
Interrogeant une « circulation circulaire » des données, Marc Geneix promène son regard sur les icônes d’un post monde de l’information, où les images y sont réversibles, commutables et manipulables.
A l’aune d’une globalisation et une accélération des phénomènes, Le scénario tient de ce palimpseste amusé : « L’hypertexte à son mieux est un mixte indéfinissable et imprévisible dans le détail, de sérieux et de jeu (lucidité et ludicité), d’accomplissement intellectuel et de divertissement3 . » Mise en réseau fantasque, qui conjugue le cadavre exquis et les illustrations archipels, Le scénario s’apparente à un story board oscillant entre un popisme déviant et des aphorismes potaches. Mascarade menée sur une tonalité ironique, on ne s’étonnera pas si celui-ci se termine par ce slogan presque wharolien : « le monde est un musée ».
Spectateur du spectaculaire, Marc Geneix devient le scripte interlope de ce langage de segments mêlant dérives sémantiques et emprunts. Bande images sous-titrée et commentée, l’agrégation de ces coupures de presse participe de cette logique rigolarde de l’hétérogène : la non linéarité de ce processus polyphonique déploie l’efficacité d’un vaste et grand détournement.
Nouvelle articulation du film des événements en cours, les pages du scénario constituent autant de séquences produites à partir de ce jeu de support/surface que Marc Geneix griffonne, appose et réorganise.
La simplicité du procédé qui renvoie à la technique du collage pictural et poétique peut nous faire remémorer cette phrase de Jean-Jacques Schuhl : « J’ai recouvert le corps de Silhouette avec un numéro de Time et un du Mirror qui traînaient par terre et je suis sorti en pensant à ces deux mots : TEMPS, MIROIR. » Déroulé gigogne des faits à l’oeuvre, Le scénario de l’inéluctable s’élabore comme autant de notes improbables sur un temps présent. A moins que cela ne soit son redoutable et délicieux inverse.

  1. Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, 1998.
  2. Tiqqun, Contributions à la guerre en cours, Editions La Fabrique, 2009.
  3. Gérard Genette, Palimpsestes, la littérature au second degré, Editions du Seuil, collection Essais, Paris,
    1982.