Tandis que la peinture s'écaille
C’est le moment où on se tient sur le pas de la porte. On hésite à partir. On pourrait se dire qu’en fait non. On refuse l’inconfort du départ, le saut dans le vide. On pourrait se dire que finalement on redéplie bagage, qu’il y a encore des choses à faire ici. Mais le départ a ce quelque chose d’irréversible: on part. Un départ irréversible. Même dans l’immobilité. On se tient là : on n’est pas encore dans l’absence. On regarde par la fenêtre, dans le vide. On se rassoit.
Le lit est défait et il y a sur la table, parfois, des verres encore pleins. C’est un moment de la journée où l’absence est encore permise, où elle ne se remarque pas encore. Le ciel est encore voilé. La mer est calme, presque comme gelée. Il y a une grenade épluchée qui n’est là pour personne sur le coin d’une table.
Le ventilateur n’a pas encore commencé à tourner. Un néon quelque part par là clignote encore, comme une intense veilleuse qui refuse la nuit, qui voudrait faire de l’ombre à l’aube qui arrive. C’est un endroit de silence et d’immobilité.
De sommeil et de tranquillité. Personne ne l’habite. On en est le seul témoin. Tandis que la peinture s’écaille. C’est le titre d’une série mexicaine de la photographe Julie Hascoët. […]
Émilie Chaudet, émission « Les petits matins » France Culture, le 27 juin 2017