Papiers peints
Papiers peints
Des palmiers s’ébrouant de peinture dans un ciel pâle, une constellation de petites étoiles, un iceberg en lévitation interstellaire… Que peindre ?
Une fleur jaune, un grillage, une façade… Les différents académismes picturaux nous ont appris, depuis quelques siècles, à reconnaître et classer les peintures par genres, genres qui dérivent directement des sujets abordés par ces peintures, soit de ce qu’elles représentent, ou de ce qu’elles cherchent à nous dire. Ainsi, et jusque même dans l’annonce de sa mort, la peinture a toujours eu quelque message à communiquer. Alors après l’annonce de son désengagement des choses du monde, de sa possible inexistence, que dire de la peinture, que vouloir lui faire dire ? Et aujourd’hui, le choix d’un sujet reste-t il primordial ou n’est-il pas plutôt devenu anodin ? Faire de la peinture maintenant n’est-il pas déjà un fait suffisant, un discours en soi ?
Travaillant ce médium depuis plus de dix ans, Jean-François Karst traite sa pratique de peintre comme une nécessité quotidienne, renouant avec une peinture de paysage à la conception rénovée, désencombrée des divers poncifs du genre. Jouant des effets de découpage, de zoom, de recadrage, l’artiste agit comme un filtre photoshop et le choix de l’image de base se confond alors avec celui du traitement qui lui est appliqué.
Habituellement, les peintures de Karst sont des aplats colorés sur de faux châssis moulés en mousse polyuréthane qui réinvestissent les dimensions objectale et matérielle du tableau. Dans le cadre de son projet de résidence avec le Centre Culturel Colombier, Jean-François Karst a proposé deux séries de dessins peints ; l’exposition fut en deux volets, l’un, introductif, présentant des travaux datant de 2005, et l’autre, venant ponctuer la résidence, en montrait les fruits.
Ces dessins peints, réalisés sur papier, soulignent toute la planéité de leur support par l’utilisation répétitive de formes graphiques et de couleurs franches. Couvrant sans distinction tout l’espace de la feuille, les dessins acquièrent une dimension ornementale, renforcée par la prégnance de la 2-D, ce qui les ramène étymologiquement à leur origine de papier peint. Le sujet de la peinture devient alors par là-même un motif, une sorte d’ultime rémanence rétinienne de l’objet d’origine.
Il y avait, dans l’invitation faite à Jean-François Karst par le Centre Culturel Colombier, une volonté, celle de prendre le territoire pour base de travail. Le réel est alors devenu prétexte à la construction d’images (que l’artiste photographiait lors de ses promenades en territoire imposé) qui elles-mêmes, une fois filtrées par la technique qui allait présider à leur reproduction, devenaient motifs. Ainsi, dans le passage d’une matérialité à une autre (de l’architecture au dessin, de la miniature imprimée à la peinture de grand format) a lieu comme une transfiguration du réel en motif. Ce qui pourrait bien sous-tendre une vision de la peinture comme phénomène en soi et non comme phénoménologie, ce qu’on lui a largement assigné tout au long de son histoire. La figuration du banal, du monde dans lequel évolue le peintre, et qui n’est pas différent du monde qui entoure le spectateur, engendrerait donc, par une sorte de transformisme, une nouvelle entité qui ne pourrait être rien d’autre qu’une peinture, renvoyant autant au monde qu’à elle-même. La peinture de Jean - François Karst s’impose ainsi comme un troisième type, un troisième degré de phénomène après le réel et les images que l’on peut en extraire.
Karst échantillonne les données du paysage à la manière d’un entomologiste, et ne se soucie guère d’une quelconque hiérarchie possible des objets, et donc des sujets. Tout est remis à plat, chaque chose semble avoir droit de citer dans l’espace ouvert qu’est celui de la feuille de papier. Et le grillage d’une clôture acquiert autant de qualités graphiques que les chromes d’une Harley ou le logo imprimé sur l’étiquette d’un filet d’oranges. De là, on pense aux premiers Mc Cracken, ces peintures de 1967 prenant pour base des logos, et dont la forme finale est très proche du mandala. Et ce qui fait office de mandalas, dans notre culture occidentale contemporaine, ce sont tous ces économiseurs d’écran aux couleurs chatoyantes et à la géométrie fusionnelle. Or, avec sa manière néoornementaliste et les qualités de zapping qu’elle découvre dans son exposition en série, la peinture de Karst se donne à voir comme un fond d’écran. Comme une brève visuelle qui s’attarderait sur l’écran, comme l’instantané d’un inventaire en CMJN.
Du mandala au fond d’écran, il y a ce passage de l’artisanal au numérique, du pigment au code mathématique, de l’inspiration à la perfection. Dans les oeuvres de Karst, il persiste au contraire un léger aspect de fait-main, les scories d’une façon qui prend en compte, dès le départ, la possibilité d’un échec. La matérialité du rendu de chaque technique utilisée dans la série des Motifs, peinture à l’huile ou acrylique, graphite, gouache, encre de chine ou marqueur, est présente, faisant de chaque dessin un compromis entre les contraintes afférentes à la technique et l’image à réaliser.
Libérant les formes de leurs fonctions, Jean-François Karst dresse ici le portrait d’un quartier par touches sensibles dans des formats (125x170 cm) qui ne sont pas sans rappeler ceux des drapeaux. Et s’il enferme, comme il aime à le dire, de l’espace dans le papier, c’est parfois aussi pour mieux le rendre à ses occupants originels, offrant aux habitants du quartier Colombier un affichage de ses dessins sur les murs même qui les ont inspirés.