Located naît de l’acquisition en 2013, dans un dépôt-vente, d’un livre de photographies intitulé L’art présent dans la cité. L’ouvrage édité en 1969 par la Caisse des dépôts et Consignation et sa filiale, la SCIC, comprend 57 pages d’illustrations, soit 104 reproductions d’œuvres commandées et réalisées dans l’espace public par 64 artistes, au sein même des nombreux programmes immobiliers que la SCIC construit dans les années 1960 pour résorber la pénurie de logements sociaux.
Livre d’images et objet promotionnel à sa parution, on le consulte désormais comme un document d’archive sur la commande publique dans la France des années 1960. Les œuvres sont d’un intérêt inégal et aujourd’hui, pour une large part, les artistes sont tombés dans l’oubli. Néanmoins, certain furent des acteurs importants de cette période charnière lorsque les artistes et les architectes s’engagent ensemble dans une nouvelle mission : créer des environnements pour améliorer le cadre de vie des habitants.
Motivé par l’exceptionnalité de l’ouvrage, la qualité de sa mise en page, sa richesse iconographique, mais aussi par mon désir d’explorer le travail des artistes mentionnés, je décide de réaliser un travail photographique muni de ce livre comme guide de voyage. Non pas photographier des sculptures dans leur contexte comme l’avaient pratiqué les photographes commandités pour l’ouvrage, mais reprendre des points de vue déjà utilisés dans le livre et faire des images d’images. J’entame alors une longue phase de recherches afin de localiser précisément les œuvres. En effet, les photographies sont légendées mais non datées et très approximativement situées. Seule la ville est indiquée, majoritairement en région parisienne, mais également à Marseille, Aix-en-Provence, Toulon, Brest, Montpellier, Vichy, etc. Les éléments biographiques concernant les artistes sont aussi totalement absents.
Visites sur site, repérages et prises de vue se succèdent d’avril 2015 à juillet 2023. Ce paysage comporte à l’évidence nombre de nouveaux éléments qui peuvent expliquer sa complexité : végétalisation, mobiliers, signalétiques, réseaux, matériaux au sol comme en façade ont largement refaçonné l’espace urbain dans le cadre de programmes de rénovation, revitalisation, voire de requalification. C’est donc, aujourd’hui, avec une certaine appréhension que je parcours un contexte en pleine mutation, en quête d’œuvres d’art des années 1960. Néanmoins, elles sont là, encore nombreuses, la sculpture a été déplacée, le décor mural partiellement détruit, la fontaine ou le bassin transformé en jardinière. Parfois aussi l’œuvre est absente, et seul subsiste un socle en béton. Plus de 30% d’entre elles ont disparu, je photographie alors leur lieu d’implantation.
L’état final de ce projet prend la forme d’une édition de posters. Ce support modeste est une façon d’évoquer l’élan de démocratisation de l’art qui, dans la France des années 1960, donne simultanément naissance à ce vaste programme de commandes artistiques de la Caisse des Dépôts et au développement de sociétés qui commercialisent à bas prix et à plusieurs millions d’exemplaires des reproductions de tableaux classiques ou modernes. Intrinsèquement liée à l’espace public, l’affiche est collée, graphitée, déchirée, lacérée, ou encore recouverte par une autre affiche. Dans l’espace domestique ou au musée, l’affiche devient poster, on l’expose encadré ou punaisé. C’est un objet décoratif, une image, un tableau, une œuvre.