Prix Aware 2025
Des questions en forme de charade ; des rébus en forme de réponse ; des nœuds en forme de plis ; des œuvres en formules magiques. Gabrielle Manglou (née en 1971 à La Réunion) nourrit une pratique de l’installation et de l’énigme, de la collecte d’histoires et de la cueillette de trésors.
Dans ses compositions de toutes les dimensions se disent des secrets à moitié et se réécrivent des histoires en entier. Il suffit de suivre les cailloux, les collages et les montages qu’elle laisse sur son chemin pour retrouver le nord, ou, plutôt, pour comprendre qu’il y en a plein de possibles, partout autour de nous. Dans ses installations de toutes les formes et de toutes les couleurs, Gabrielle Manglou retrace des chemins à partir de ce qu’elle a croisé sur le sien. Ils sont pavés d’indices qui disent autant d’où elle vient que là où elle espère aller, nous emmener – et peut-être aussi bien nous perdre.
En suivant le néon rose et accidenté d’Amarrer à l’ombre (2020), l’œil serpente au-dessus de la montagne sous la construction de bois venue évoquer la cale des bateaux négriers. La structure de pin clair qui supporte le tout est une maquette et un jeu de piste, le long duquel les montagnes de truffes chocolatées viendront rappeler à qui choisit le niveau confirmé que c’est d’outre-Atlantique qu’elles ont été rapportées. Au-dessus d’elles flottent des coiffes de chanvre détissé, faites de la matière même qui sert d’ordinaire à rendre étanches les navires. Détissée, la fibre se tient ici dans les airs. Le voyage est suspendu. Ainsi remis en question, c’est la polysémie qu’il cache d’habitude qui apparaît alors. Le plaisir des uns est la conquête des autres, l’exotique d’un ici, le local d’un là-bas, toute victoire une défaite, toute appropriation une perte.
Au milieu du chaos, les installations de Gabrielle Manglou sont des cartes d’orientation et des dictionnaires, où les mots deviennent des signes, des objets et, de nouveau, encore des mots, dans d’autres langues, dans toutes les langues. Avec les Bagatelles qu’elle assemble depuis 2023, elle compose des phrases à partir d’un peu de neuf, un peu de vieux, un peu de bleu. Vive les alliances que l’artiste s’amuse à créer ! Par les collages, les sculptures, les réutilisations d’œuvres déjà faites par elle et qui n’avaient pas encore tout dit, les faux livres et les vrais contes qu’elle invite à sa table, Gabrielle Manglou poursuit l’histoire de La Réunion, qu’elle retrace depuis des années et dont les Hypothèses de l’objet en creux (2018) formulaient les premières pistes d’interprétation.
Partant du constat que peu de vestiges archéologiques étaient présents sur l’île où elle est née, du présupposé selon lequel toute histoire ne peut s’écrire qu’à partir d’objets, et de son goût pour le contre-courant, l’artiste s’amuse depuis à recomposer des histoires par les empreintes, visibles et invisibles, que chaque chapitre a laissées sur son passage, dans les terres et dans les mémoires, dans les corps et dans les cœurs, autour de toutes les présences qu’elle s’attache à relier.
Rares sont ainsi chez elle les lignes continues ou parallèles. À choisir, l’artiste préfère l’accordéon. Joueuse, elle plie, déplie et replie les lignes, les signes et tout ce qu’ils recouvrent, pour composer des histoires dont s’imprégner par tous les sens, à palper, à creuser et, surtout, par lesquelles se laisser traverser. Dans le chaos, finalement, peut-être que tout est un.