Et le plancton, 2017
Et le plancton, 2017
Vues de l’exposition, Biennale Vern Volume 2017, Vern-sur-Seiche
Photo : Laurent Grivet
Une charogne, 2017
BA13, congélateur, polystyrène, plâtre, vin rouge et bactéries
Une charogne
Une charogne emprunte son titre à un poème de Baudelaire, dans lequel un cadavre en décomposition donne lieu à une digression poétique sur la vie et la mort et l’impermanence de toute chose. La fatalité y est transfigurée en une image charnelle et étonnamment sensuelle du renouveau.
Francis Raynaud partage ce goût pour la métamorphose, qui se traduit notamment dans les références fréquentes aux mythologies et divinités antiques. Une charogne, née de l’union du plâtre et du vin, rend ainsi autant hommage à Bacchus qu’aux pénates, dieux domestiques du foyer et du garde-manger. C’est par conséquent sur un frigo que l’œuvre prend place. Si ce choix prolonge les réflexions de l’artiste sur la question du socle, il relie également la référence divine à la provenance bassement matérielle et organique de ses composants. Potentiellement instables dans la durée, ces derniers invitent le temporel à s’immiscer dans le figural pour le pousser aux abords de l’informe. L’informe, plutôt que le déforme, désigne une matière en devenir, sans commencement ni fin, par essence indéfinissable1. C’est la procréation, la digestion, la putréfaction des transformations et modifications d’état parmi lesquelles l’ivresse trouve sa place. L’alcool, qui remplace ici l’eau habituelle, lie le plâtre autant qu’il ne semble délier les limites extérieures de la sculpture. Suintante, elle se trouve prolongée par les effluves d’alcool, pénétrant l’espace environnant et les narines du visiteur.
Plus qu’une simple contemplation, l’artiste met en scène une incorporation, une absorption de son œuvre par le spectateur, troublant les limites entre intérieur et extérieur, entre sujet et objet. Il renforce l’impression de proximité organique entre le visiteur et sa sculpture en la plaçant dans une pièce aux dimensions réduites, engageant les deux entités dans un véritable corps-à-corps. La chambre blanche n’est pas sans produire un effet miroir et de mise en abîme avec le frigo, participant à son tour au renversement vertigineux des notions d’intérieur et d’extérieur. Dans le travail de Francis Raynaud opèrent ainsi de multiples projections et télescopages entre la sensibilité de l’artiste, la matérialité de l’œuvre, le dispositif d’exposition et le corps du spectateur, le tout se confondant dans une ivresse sensorielle savamment orchestrée.
Isabelle Henrion
1Georges Bataille, L’informe, Documents n° 1, 1929. Yve-Alain Bois et Rosalind Krauss, L’informe, mode d’emploi, catalogue d’exposition, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1996