Francis
Raynaud

UP . 18.12.2025

Calme plat

2025, vues de l'exposition Calme Plat, Drama Galerie, Rennes
En duo avec John Cornu.
Photos : Benoît Beauchaine et Olga Pineau

Au mur : œuvres de John Cornu
Pages, en cours depuis 2006, plateaux de table et peinture
Phénix, depuis 2011, néon

Mondes plateaux, 2025,
60 x 60 x 80 cm chacune

Œuvre communue Francis Raynaud et John Cornu :
Les bonnes manières, 2025,
30 empruntes de coude en bronze poli.

Vin du mur, installation, depuis 2017, vin rouge

John Cornu et Francis Raynaud présentent Calme plat, leur seconde exposition conçue en duo. Celle-ci réunit des œuvres récentes et plus anciennes : objets figés, reliefs infimes, volumes opaques, formes en creux, traces résiduelles… autant d’éléments qui se révèlent vecteurs de récits multiples. Avec Calme plat, il est certes question de planéïté et d’un certain réductivisme, mais aussi d’une tension latente, d’un possible renversement. L’exposition comme un bruissement sourd, une mise en œuvre d’autres possibles.

Francis Raynaud a prélevé dans sa bibliothèque six ouvrages dont la diégèse se déroule dans des mondes non-sphériques. Univers en deux dimensions dans Flatland d’Edwin A. Abbott ; planète soumise à des forces gravitationnelles horizontales dans Le Monde inverti de Christopher Priest ; villes et pays qui échappent à toute cartographie chez Italo Calvino (Les Villes invisibles) et Henri Michaux (Voyage en Grande Garabagne) ; terre artificielle traversée par un fleuve immense chez Philip José Farmer, où coexistent toute l’humanité — de Cro-Magnon à l’Homme moderne ; réalité vacillante, minée par le capitalisme et la mort, dans Ubik de Philip K. Dick. Autant de territoires en rupture ou en friction avec la société dominante, que Raynaud incruste dans des plateaux de tables (Mondes plateaux, 2025). Figé sous une épaisse couche de résine, ces objets ne sont plus préhensibles, et ceux qui jadis pouvaient les parcourir semblent s’être également absentés (Les Bonnes Manières, 2025) … une façon peut-être de souligner que tout écart à la norme finit toujours par être muselé. Cette neutralisation métaphorique transparaît également dans l’installation Vin du mur (2025), qui fonctionne elle-aussi sur un registre de sujétion et de frustration.

Chez John Cornu, le scénario semble s’inverser. Placées en vitrine sur des stèles à taille humaine, ses Boîtes noires témoignent d’une capacité d’adaptation exceptionnelle — celle de Pierre Paquin, un ébéniste non-voyant — que l’artiste part rencontrer au Canada en 2012 — qui, pour pratiquer son métier, a su adapter ses outils et son atelier. Les néons Phénix (en cours depuis 2011) fonctionnent quant à eux comme une longue série de repentirs. Ils (re)naissent, pour ainsi dire, de leurs cendres via un process de (re)mise à plat de tubes utilisés dans des productions datant du milieu des années 2000. Enfin, le corpus des Pages (en cours depuis 2006), qui met en vue des quadrangles blancs sur des plateaux variés, joue avec le registre du trompe l’œil. Peintures tout autant que bas-reliefs, les Pages de John Cornu affirment leur propre avènement variant au grès de la lumière qui habite l’espace de monstration. Supports type ou standard accueillant habituellement la représentation, ces feuilles – de prime abord mutique – sont en fait elles-mêmes des représentations : des images peintes, les symboles d’une angoisse, d’un cri retenu ; la neutralité comme forme d’expression radicale, acte de résistance silencieuse. On peut penser en effet à ces feuilles vierges, brandies comme des slogans muets lors des récentes manifestations contre la politique « zéro COVID » en Chine.

La feuille blanche, tout comme les livres fossilisés, le vin emmuré, le tube néon réaligné ou encore les menuiseries closes, s’affirment ici non plus comme des choses tues, mais bien des charges latentes, des surfaces possibles de projections…