Sans-titre / Swing in pool, 2010
Sans-titre / Swing in pool, 2010
50 bandes de film de palettisation, de 0.5 m x 20 m, peinture acrylique,
Vues de l’ Exposition Collective “Au début j’étais au bout” Muséum Abteiberg Mönchengladbach.
Installation in-situ dans l’ancienne piscine de Mönchengladbach, dans le cadre du programme d’échange Transfert et suite à une résidence à Mönchengladbach en fevrier et mars 2010.
Photos: Transfer NRW.
La sensibilité maternelle dans l’espace et le temps
La simple conscience physique et acceptation de mon être femme a joué un rôle essentiel dans ma façon de vivre et de travailler, dans ma conscience de toujours participer de quelque chose d’autre, de plus vaste, tout en étant capable de générer et d’insuffler de manière très individuelle.
Les hommes dominent en art, tout comme dans la danse, mon champ artistique d’origine. Mais les femmes occupent une place centrale dans le champ de la création chorégraphique. Les pionnières comme Loïe Fuller, Isadora Duncan, Martha Graham, tout comme Joséphine Baker bien sûr, ont libéré l’art du mouvement et redécouvert son essence, sa physicalité. C’est un homme, Rudolf von Laban, qui s’en est inspiré pour aller plus loin encore et sa place dans le temps et l’espace en une tentative majeure pour soumettre cette impermanence à un système ordonné.
Et si la philosophe féministe Luce Irigaray évoquait en 1991 « l’occultation du perpétuel matricide, sur lequel se fonde la culture occidentale », la plupart des personnes avec lesquelles j’ai directement travaillé durant la formation et la réalisation de projets chorégraphiques étaient des femmes. Les décideurs indirects, quant à eux, étaient majoritairement des hommes.
La communication féminine quand elle s’attache à l’autre et à l’inconnu est pour moi importante, stimulante, bénéfique. Etudiante en danse, catapultée dans la jungle du postmodernisme interdisciplinaire, j’ai traversé et exploré de nombreuses disciplines artistiques, combiné et rejeté la stricte définition du masculin et du féminin, de l’académique et du non académique, du formel et de l’informel, regrettant le retour de la spécialisation artistique contrairement au commun qui s’enracine. Je respecte tous les aspects, les niveaux et les approches des créations artistiques sincères.
Je me suis intéressée au corps dans l’espace et le temps et je l’ai appréhendé du point de vue de la (femme) danseuse, chorégraphe, directrice, commissaire d’exposition, directrice de projet, conceptualiste, conseillère et professeure. En collaborant avec des personnes de tous âges, diplômées ou non formées, talentueuses, engagées ou indifférentes, en créant pour et avec des personnes aux multiples capacités intellectuelles et physiques et aux multiples limites, en négociant avec les institutions scientifiques, les associations, les entreprises publiques et commerciales, mon inconscient féminin rassemble et réassemble, lie et associe, entre et sort de ces micros et macrocosmes. Je crée ainsi des constructions, des cultures, dans lesquelles les initiatives peuvent prospérer et les personnes mieux s’épanouir des structures flexibles qui évoluent en lien étroit avec la dynamique du projet.
La transformation, la curiosité et l’exploration de soi sont également partie intégrante du travail artistique d’Elsa Tomkowiak. Elle mobilise et communique en créant des structures qui s’adaptent à la dynamique de la démarche dans laquelle elle est engagée. Méthodologie pionnière : elle arrive avec une simple valise et, de son contenu, remplit un natatorium entier. Elsa Tomkowiak fait de l’espace et du temps les personnages principaux de ses installations et ensembles construits. Elle fait de l’espace un contexte et du temps un matériau.
Toute femme qui crée est sans aucun doute imperceptiblement influencée par la conscience de son incarnation potentielle et riche de sens, par l’expérience de son être reproducteur et de la maternité. « Les cellules fusionnent, se fractionnent et prolifèrent, les volumes croissent, les tissus s’étirent, les liquides organiques changent de rythme, accélèrent et ralentissent », écrivait en 1993 la philosophe féministe Julia Kristeva pour décrire la grossesse.
Une femme donne naissance, devient un être maternel. Elle éprouve la croissance autonome d’une partie de son corps, la libération collective et la transformation constante sans perte d’identité. Toute sa vie, elle est en transition, à la fois partie et tout.
Elsa Tomkowiak déploie son énergie de multiples manières. Elle est mère et force motrice, musicienne et compositrice, initiatrice, cocréatrice et communicatrice. Son travail est transcendant à ce titre féminin. Mais le travail d’Elsa est aussi assez viril. Elle parle d’interaction et de confrontation confrontation des couleurs, interaction du transparent et du rigide, collision de l’organique et de l’artificiel. En ce sens, son travail semble faire écho aux voix féministes les plus récentes, comme Haraway qui affirme : « Il n’y a rien dans le fait d’être femme qui puisse créer un lien naturel entre les femmes. ‘Etre’ femme n’est pas un état en soi, mais signifie appartenir à une catégorie hautement complexe, construite à partir de discours scientifiques sur le sexe et autres pratiques sociales tout aussi discutables. »
Donna Haraway insiste sur la nécessité pour le féminisme de considérer le fait que les relations entre science et technologie « réorganisent » toujours les catégories de race, de genre et de classe. Le travail artistique des femmes s’en fait déjà l’écho.
Lidy Mouw, Amsterdam, avril 2012