Charlotte
Vitaioli

06.11.2023

La donna che piange

Vues de l'exposition, Un monde à votre image, exposition des Révélations Emerige, 2020

La donna che piange, 2020
Vues de l’exposition «Un monde à votre image», exposition des Révélations Emerige, commissariat : Gael Charbau, 2020

La donna che piange, 2020
Peinture sur soie, 560x425cm
Exposition des Révélations Emerige 2020 «Un monde à votre image» commissariat Gael Charbau,
Production Emerige Mécénat,
Photos: Rebecca Fanuele

« Quel siècle à mains ! », s’écriait en son temps Rimbaud. « Quelle femme à mains ! », se fût possiblement exclamé le poète face aux productions de Charlotte Vitaioli, tant la main, celle qui peint, celle qui coud, celle qui noue, qui pétrit, s’y impose, s’y ressent comme une évidence créatrice.
C’est qu’il s’agit d’une main puissante, curieuse, rompue à bien des exercices : qui manie le pinceau sur tous supports, toile, soie, bois, papier, tissu, verre, mais qui de plus, voulant aller plus loin que ne va la palette, entremêle les fils sur le métier de haute lisse, fait tapisserie, modèle l’argile, en tire de la céramique. Goinfre de matières, si l’on peut dire : telle est la main de Charlotte Vitaioli, qui non seulement travaille les substances parmi les plus humaines et les plus primitives, mais les « com-pose » – au sens fort et premier du verbe qui « pose avec ».
En ce qu’il juxtapose, de cela, le diptyque est un exemple, comme dans Cet été, à la cime (2017), gouache déployant deux vues, discontinues de couleurs et de formes, de sommets montagneux à deux moments, soir et matin, de la journée, ou comme dans la plaisante, presque naïve marine de Sucre à la crème (2017), qui « pose » à gauche un coucher ou lever de soleil, avec courte langue de terre, et à droite l’agrandissement d’un détail – et non des moindres puisqu’il en va du soleil, énorme, orange et rouge, posé sur l’horizon.
L’installation Joy (2018) présente quant à elle deux îlots de polystyrène extrudé peint de couleurs océaniques, où sont posés récipients en céramique, bouteilles et cruches à long col, ascensionnelles, d’un pur blanc crème, le tout faisant penser à quelque île grecque sortant abrupte des flots et sommée d’un monastère évoquant une spiritualité quiète, avide de contenu : image d’un « monde contemplatif », tel qu’aux origines de toute humanité, où la main, dans le geste archaïque et traditionnel de l’artisan, galbe la poterie, tisse la laine ; où l’objet, de fonctionnel en sa prime utilité, acquiert, par la lenteur tranquille, la forme belle – qui le transcende et le transforme en œuvre d’art.
C’est cette même quiétude qui, de ces « com-positions », semble s’imposer, loin du mouvement qui tente (et toujours possible dès lors qu’on peint). Nulle narration, nulle action, chez Charlotte Vitaioli, mais un calme immobile, à peine rythmé de plis (Saudade, 2018), de vaguelettes (Jane F., 2018), où les fleurs (Nymphéas, 2018) sont des nymphéas vastes et placides, où les couleurs, même si quelquefois vives, comme dans Vénus (2018), sont le plus fréquemment pastel, passées, pâles, sans agression pour l’œil : où se distingue toutefois, dans le choix des motifs et des titres, quelque chose d’une mélancolie – on l’a compris : le temps passe et nous passons avec –, mais d’une « mélancolie heureuse », assumée, quelque chose de ce vague à l’âme presque voluptueux éprouvé face au crépuscule d’Avant que la nuit ne tombe (2016) où un losange de verdure s’insère entre un ciel vespéral, noir, rouge, orange, jaune, blanc, gris, et des bleus possiblement marins.

Paloma Hidalgo, 2020

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Vue du travail en cours dans l’atelier Manivelle