Briac
Leprêtre

10.11.2017

SWEET LITTLE SIXTEEN, 2017

SWEET LITTLE SIXTEEN, 2017
Œuvre conçue et réalisée par Briac Leprêtre, acquise par le Département de Loire - Atlantique dans le cadre de la procédure 1% artistique pour le second collège de Pontchâteau et produite par l’agence Room Service.

Vues de l’installation au collège de Pontchâteau, 2017
Photo : Marc Domage
Photo avec les enfants : Richard louvet

Production
Briac Leprêtre & Room Service AAC
Edwige Fontaine & Isabelle Tellier
Room Service AAC est une agence spécialisée dans le champ de l’art contemporain et dédiée au développement de projets artistiques. Elle propose un accompagnement sur-mesure à différents types d’acteurs.

Equipe technique
Pascal Jounier Trémelo : Moulage
Nicolas Pesquier : Assistant moulage et sculpture
Pierre Galopin : Régie
Delphine Lecamp : Structure acier
Eladio Fraguas : Maçonnerie

Remerciements
Aux personnes qui sont venues faire du béton : Elodie et Sidonie Saunefrault, Céline Dréan et Anna Schaefer Leprêtre pour leur collaboration.
À Erwan Mével, Mélanie Rio, Julie Portier et Franck Bertrand.
À l’ensemble des équipes administratives, pédagogiques et techniques du collège de Pontchâteau.

L’oeuvre de Briac Leprêtre s’inscrit dans une longue tradition de la représentation figurative, qu’il s’agisse d’objets, de portraits, de scènes ou de paysages. Ses réalisations se différencient peu des modèles reproduits, sauf à bien y regarder. L’artiste puise ses sujets dans le quotidien, dans ce qui constitue une mémoire visuelle familière, et la manière dont on se représente communément les genres, du portrait d’un proche ou par exemple la forme d’un rocher, d’un arbre ou d’un feu de camp… Le réel, chez Briac Leprêtre, est transfiguré par une qualité « fait main » que l’on remarque aussi bien dans ses aquarelles que dans ses volumes réalisés le plus souvent selon des techniques artisanales et plutôt classiques. L’artiste met en valeur ce qui au premier coup d’oeil pourrait paraître sans qualité, pour mieux le souligner, nous le faire remarquer et ainsi offrir à une figure ou à un objet banal un nouvel éclairage, une réalité renouvelée.

Les aquarelles de Briac Leprêtre, première technique explorée par l’artiste, représentent des sujets liés à des environnements proches, domestiques (scènes d’intérieurs, avec parents et amis, aliments, objets usuels, points de vue routiers…). Les volumes, et notamment les sculptures en polystyrène – auxquelles l’artiste confère parfois un effet béton trompe l’oeil – sont arrivés a posteriori dans le développement de son travail. Si les objets initiaux sont reconnaissables, l’échelle le plus souvent identique, l’image source est comme paraphrasée, voire concrétisée – si l’on se réfère au mot anglais « concrete » qui signifie béton.

L’artiste (que ce soit avec le dessin ou le volume) matérialise son attachement à la qualité visuelle de la reproduction. L’acuité de son regard et la représentation minutieuse d’objets ou événements, offrent à son
oeuvre une double lecture : l’image peut faire sculpture et la sculpture faire image.

L’oeuvre conçue et réalisée pour la cour du collège de Pontchâteau, Sweet Little Sixteen, révèle une poétique propre à l’univers artistique de Briac Leprêtre qui joue sur des contradictions de formes et de matières, jusqu’à la création d’une narration, outil d’appréhension et de compréhension du monde.

Avec Sweet Little Sixteen, l’artiste fait interagir la représentation de formes familières, bien qu’exotiques, dans le contexte d’un établissement scolaire, en élargissant le champ formel qu’il a jusqu’ici abordé. Le surf, le cactus ou l’oreiller sont de nouvelles apparitions, elles viennent alimenter un « atlas » du réel teinté d’humour et de poésie. L’oeuvre est une invitation à apprivoiser l’environnement du collège, et s’adresse à toute la communauté éducative. Sweet Little Sixteen a été réalisée sous le signe de l’hospitalité et de la récréation.

Edwige Fontaine, Room Service AAC


Entretien Eva Prouteau - critique d’art / Briac Leprêtre

Eva Prouteau : Tu as fait surgir une île de béton dans la cour du collège. Tu te souviens de ta toute première idée pour ce projet ?

Briac Leprêtre : Sans doute le feu de camp. En 2009, j’ai réalisé une exposition avec l’association Tripode où j’ai exploré ce motif avec des moyens différents : je m’étais aperçu que le faux feu induisait naturellement la convivialité, factice ou réelle. Se mettre en rond autour du foyer demeure en nous comme un réflexe préhistorique. L’idée d’îlot m’intéressait aussi. En architecture, ce terme désigne une unité élémentaire de l’espace urbain, séparée des autres : j’ai voulu reprendre cette notion au sens primaire de la petite île, pour en faire une amorce, narrative, sur le mode du voyage statique. La planche de surf qui sert de banc serait alors un moyen de locomotion imaginaire pour parvenir à ce territoire flottant.

E.P. Autour du feu, des rochers et un rondin, mais aussi un cactus et un tronçon de colonne grécoromaine.

B.L. Cette colonne, comme le cactus, nous emmène du côté méditerranéen ou désertique. Cela suggère une géographie de l’ailleurs, qui revisite des standards de représentation.

E.P. La colonne renvoie au vocabulaire pavillonnaire de la décoration de jardin kitsch et grandiloquente, mais aussi au socle que le public peut s’approprier, façon colonnes de Buren.

B.L. Cette pièce amène une lecture polysémique : les collégiens y voient davantage quelque chose de mécanique, un jeu de crénelage, d’écrou, une pièce d’engrenage. Je voulais sculpter une ruine truquée, qui penche mais qui pourtant ménage une assise droite. L’effet s’avère subtil car la pente est très douce. De manière générale, j’aime cette idée d’interprétation vraiment large que propose un objet.

E.P. Tes sculptures sont comme des objets de synthèse : des dessins qui auraient gonflés en 3D, et qui condenseraient l’imaginaire collectif.

B.L. Avant d’être en volume, mes sculptures existent avant tout comme images : c’est peut-être cela qui « fait » décor. Mes objets n’existent pas en vrai, ils sont stylisés, voire logotypés. Tu as peu de chance de croiser mon tronc d’arbre couché dans une forêt : tu ferais mieux de chercher entre les Schtroumpfs et Rox & Rouky. Idem pour le cactus : la manière dont le cactus candélabre des déserts américains a intégré notre imaginaire collectif, ce n’est pas par le réel mais via Lucky Luke. En ce sens, mon oeuvre se rapproche d’une case de BD en volume.

E.P. On pense aussi à des éléments de décor Playmobil, ou à certains décors d’aquariums.

B.L. La question du décor revient beaucoup dans mon travail : est-ce si important de faire la différence entre un décor et un ensemble de sculptures ? Et comment cerner la notion d’usage ? Dans ce collège, j’ai sculpté un décor pour une pièce à inventer quotidiennement, dont le scénario n’est jamais figé.

E.P. D’où ton choix du gris, pour que cet îlot soit comme une case à colorier librement ?

B.L. Le contexte architectural est déjà saturé du point de vue chromatique. Le monochrome gris me permet aussi d’injecter plus d’abstraction dans le réel, pour que chacun puisse projeter ce qu’il y désire.

E.P. Nous n’avons pas encore évoqué le gros oeuvre : tu peux nous raconter le chantier sur place ?

B.L. Le premier jour, on avait les pieds dans le tout venant, ces gros cailloux qui sont mis en couche de stabilisation, avant de couler l’enrobé, exactement comme on le fait sur les routes. Nous avions préalablement décidé avec l’architecte de l’emplacement de l’oeuvre, en fonction des flux de circulation des élèves, pour qu’elle devienne un point de réunion, de rapprochement. Alors on a coulé une première dalle, en guise de fondations.

E.P. Sur ce socle invisible vous avez posé les sculptures ?

B.L. Nous sommes revenus avec un camion-grue pour placer les ouvrages, qui avaient été réalisés en atelier. Une épaisse dalle finale a ensuite enseveli la base des sculptures pour les enfouir légèrement. J’avais envie que tout soit pris en masse, que la pièce soit homogène et monolithique.

E.P. Sculpter, mouler, couler : les sculptures sont réalisées selon différentes techniques. On a l’impression que tu as voulu faire le tour des écritures possibles avec le béton.

B.L. Le cactus, le feu et la planche de surf sont des volumes que j’ai d’abord fabriqués avec du polystyrène et du plâtre. S’en suit un travail de moulage, puis de sculpture assez léger. L’oreiller et le sac de couchage sont obtenus par un autre procédé : ils résultent d’une empreinte des objets réels, un vrai oreiller et un vrai duvet. J’ai toujours aimé représenter des objets qui renvoient à l’idée de la solidité avec un matériau léger et fragile, comme le polystyrène, ou à l’inverse aller jouer avec des matériaux pondérables comme le béton pour représenter des objets qui renvoient au nomadisme, au déplacement, comme une tente ou un sac à dos. Là où l’on s’attend à de la plume douce et moelleuse, on tombe sur du minéral froid et dur.

E.P. Comment as-tu procédé pour les deux rochers et le tronc d’arbre ?

B.L. Ils sont fabriqués selon la technique de la rocaille, pratiquée dans les jardins publics pour obtenir les fausses roches. C’est une autre approche : je fais d’abord une armature en métal, grillagée, puis je taloche ; tout doit être pris en une seule fois, c’est un travail de vitesse. Pour le tronc, j’ai procédé avec un tampon pour essayer de rendre l’aspect de l’écorce, puis j’ai repris les surfaces à la langue de chat, une petite spatule pour travailler les reliefs. C’est presque comme jouer avec de la pâte à modeler, avec la peur de l’effondrement qui guette. À la fin, j’ai passé un petit coup de brosse pour mimer la texture du bois.

E.P. Après l’installation de l’oeuvre, tu as rencontré des collégiens. Sur quoi avez-vous échangé ?

B.L. Les élèves de cet âge s’expriment plutôt par gestes que par mots : ils s’étendent sur le feu pour se faire griller, ils s’allongent sur la planche pour ramer, ils ne se demandent pas vraiment pourquoi c’est là, ils se demandent juste ce qu’ils vont en faire avec leur corps. C’est cool.

E.P. À les observer pendant la récréation, on s’aperçoit que cet îlot est moins celui des rêveurs contemplatifs que de ceux qui courent, sautent et escaladent. La sculpture comme support dynamique ?

B.L. Effectivement, ma planche de surf montée sur pieds en forme de rondins, conçue comme un banc idéal, reçoit en fait peu de fesses ! Et le cactus est devenu tremplin ou perchoir. L’appropriation des formes artistiques constitue toujours une surprise.

E.P. Les oeuvres dans l’espace public deviennent dépositaires de rituels, on les voit tous les jours, l’infusion est lente, elles marquent les corps et les esprits en profondeur.

B.L. J’ai hâte de voir celle-ci exister dans la durée, accueillir les signes du vieillissement, assumer encore davantage son côté minéral. Elle raconte un peu mon regard sur l’adolescence, sur l’individu face au groupe, sur l’expression des forces du groupe dans l’espace. J’aime l’idée qu’elle devienne le décor parfait d’une photo de classe d’un nouveau genre, loin des alignements traditionnels.

E.P. Pour finir, un mot sur ton titre Sweet little sixteen ?

B.L. Normalement, à 16 ans, on n’est plus au collège sauf en ayant redoublé deux classes. Mais ce titre m’évoque immédiatement l’adolescence, à cause du tube de Chuck Berry, un standard de guitare repris un nombre incalculable de fois. Ce titre insinue que la forme de mes sculptures elle-même aurait été reprise à l’infini, comme un vieux classique de rock passé à toutes les sauces. Et puis l’îlot sur lequel elles s’exposent dessine la silhouette d’un médiator géant…