Benoît-Marie
Moriceau

04.06.2018

Psycho

Psycho, _2007
Visuel du projet

Précédant sa destruction, la maison qui abrite à l’époque l’espace d’exposition 40mcube est recouverte intégralement de peinture noire. Surexposant cette architecture isolée dans un complexe urbain hétérogène, l’acte de recouvrement a pour effet de placer l’espace d’exposition au cœur de l’œuvre. Des murs au faîtage, l’ensemble des éléments architecturaux fonctionnels et décoratifs est unifié au profit d’une révélation paradoxale. Métamorphosé en monolithe noir, le bâtiment acquiert une dimension imposante et spectaculaire le jour, avant de s’effacer la nuit, produisant dans la ville l’effet d’un trou noir absorbant la vision. Entre stratégie d’exposition, décor de cinéma et héritages artistiques multiples, l’intervention s’affirme comme une sculpture monochrome qui offre une pluralité d’expériences et de lectures individuelles.

Exposition Psycho / festival Mettre en scène, production 40mcube, Rennes
@ ADAGP / Benoît-Marie Moriceau. Photo : Laurent Grivet

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Psycho, _2007
Peinture acrylique mat
Dimensions variables

Psycho est un hôtel particulier construit au début du vingtième siècle qui abrite aujourd’hui le lieu d’exposition 40mcube dont l’extérieur a été peint dans son intégralité en noir. Ce geste radical d’appropriation, au demeurant simple dans l’idée, situe cette intervention au croisement de nombre d’enjeux majeurs de l’art moderne et contemporain. Benoît-Marie Moriceau réactive de ce fait un héritage artistique qui va de la notion de site specificity et de celle d’intervention dans l’espace public à celles de ready-made et de monochrome. Le monochrome étant entrevu ici autant comme la marque d’une signature qu’une façon de faire basculer le bâtiment dans une dimension sculpturale ou picturale, en particulier lorsqu’une telle pratique interroge le statut et le symbolisme de la couleur noire.

Le fait de considérer le lieu dans son ensemble transpose l’œuvre au-delà des parois blanches du white cube qui est habituellement l’espace privilégié des installations de Benoît-Marie Moriceau. Ouverte sur un espace et un temps publics Psycho impose cette maison en tant qu’œuvre pendant la durée de l’exposition. Assez typique de ce genre de constructions individuelles un peu excentriques et mégalomaniaques, le bâtiment doit sa spécificité à son implantation actuelle, résultat des mécanismes urbanistiques du siècle dernier qui l’ont progressivement démarqué et isolé du patchwork architecturale caractéristique de ce site.
Ainsi Psycho se détache d’un paysage de fond constitué entre autres d’une station service désaffectée ou d’une barre d’immeubles des années 70, renvoyant cette forme étrange au domaine des ombres. Le noir met bien évidemment l’origine de l’objet en suspens, mais en renforce paradoxalement les détails, laissant apparaître les volumes, les ornements, les textures des enduits et les jeux savants de la disposition des ardoises sur le toit. La silhouette, contre-jour artificiel, interroge alors l’usage du noir signe d’austérité et d’élégance, emblématique de l’architecture contemporaine.

C’est à une vrai perception phénoménologique qu’invite Psycho, engageant un rapport à la fois visuel et physique à l’œuvre. Sorte d’installation totale hors les murs, l’environnement dans son ensemble devient le champ élargi de l’espace de l’œuvre autorisant une infinité de parcours, de regards et d’expériences. Car si le titre emprunte au film d’Hitchcock l’idée que le décor est le support matériel d’une fiction et de la trame psychologique du récit, Psycho reste une œuvre ouverte où chacun garde la possibilité de projeter une imagerie qui lui est propre.

Joëlle Le Saux
Psycho, Magazine 02, Hiver 2007