LE VOYAGE IMMOBILE
Ces photographies ont été produites dans le cadre de la grande commande nationale "Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire" financée par le Ministère de la culture et pilotée par la BnF.
© Aurore Bagarry / Grande commande photojournalisme
Retranscriptions : Mélanie Hutin / Relecture : Louisiane Rasendrason
Selon Simone de Beauvoir, la vieillesse est le moment du « jamais plus » : « Jamais plus je ne gravirai cette montagne, jamais plus je ne verrai telle ou telle chose… ». Quand le corps ne suit plus émergent des questions philosophiques : pourquoi rester en vie quand on est vieux aujourd’hui ? Pourquoi existe-t-on ? Pour ce sujet, Le Voyage immobile, je me suis installée pendant quelques mois dans un village des Pyrénées-Orientales, Prats-de-Mollo, situé sous le dernier col conquis par Franco pendant la guerre d’Espagne, le col d’Ares. Des souvenirs de la Retirada de 1939, de l’exode rural entraîné par de grandes inondations et de la nostalgie d’un lieu de vie quitté pour vivre en Ehpad est apparue une série de portraits singuliers. Cette galerie de portraits, réalisée à la chambre 4x5inch, est mise en relation avec des paysages et accompagnée d’entretiens libres. Le mot retraite se déplie lentement, comme écart, isolement, séparation, repli, exil, exode, Retirada, asile, cachette, refuge et abri.
Roger COROMINES, né en 1925 à Prats-de-Mollo, Pyrénées-Orientales. Ehpad El Cant dels Ocells, Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
« C’est toujours pareil… Je ne travaillais pas beaucoup à l’école. Je préférais faire des excursions. Je me suis mis avec un copain. L’instituteur nous a fait dégrader d’un grade. Il a dit : “Je ne m’en occupe plus.” J’étais peut-être un peu bête… Il disait : “Vous avez un bon avenir.” Un beau jour, j’étais descendu à Perpignan pour travailler. C’était au moment de la guerre. Il était prévu que j’aille dans une grande école à Lyon. Tout le monde me disait que je devais aller à l’école à Lyon, une grande école. Je suis allé à Perpignan pour commencer à étudier. On a commencé à me dire que c’était la guerre, que si j’allais à Lyon, je risquais de me faire prendre. On commentait dans les journaux qu’il y en avait beaucoup qui étaient arrêtés. J’avais l’examen pour partir à Lyon. Ça m’a découragé. Je me suis dit : “Il faut que tu rates ton examen.” Ceux qui nous surveillaient, il y en avait qui avaient travaillé avec moi. J’étais là, je ne faisais rien. On me soufflait. Et moi, avec le crayon, je faisais… J’ai fait le sujet principal, rien d’autre. En sortant, ils m’ont dit : “Qu’est-ce qui s’est passé ?” “Il se passe que je vous dis au revoir, je m’en retourne à Prats-de-Mollo.” Je ne sais pas ce que ça aurait donné. J’ai choisi Prats-de-Mollo. Comme quoi… Ils me prédisaient que j’aurais pu faire beaucoup plus. L’instituteur a été chic, quand même. Je me disais : “Tu l’auras vexé.” Il a eu une nomination, responsable du secteur de Prats-de-Mollo, d’Amélie-les-Bains et de Céret. Un beau jour, il me téléphone : “Tu as trouvé du travail ? Tu veux venir avec moi à Céret ? Tu seras mon secrétaire.” J’ai été son secrétaire à Céret. Ça m’a fait plaisir parce qu’il ne m’en voulait pas d’avoir fait ça. Comme quoi, la vie, ça change. Moi, je ne me plains pas. Les maires que j’ai eus, j’en ai eu quatre, tous impeccables avec moi. Je ne peux que les remercier. Voilà ma vie. »
Paule VENDELLE née COLL, née le 25 mai 1931 à Toulon, Var. Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
« Il y a eu la guerre, en 1939-1940. Mon père a fait Dunkerque. Il était sur un bateau qui s’appelait… Ça va me revenir. J’ai des trous, comme ça. Il a fait Dunkerque. Le bateau est allé en Angleterre, dans le Nord. Ma maman était diabétique, elle était sous insuline. En 1940, on était à Toulon, chez mes grands-parents du côté de maman. Mon grand-père a dit : “Il vaut mieux que vous soyez à Prats, au village.” Ce n’était pas encore occupé. C’était la zone sud qui n’était pas occupée par les Allemands. On est revenus ici. Ma maman, donc, était diabétique. On est venus pour la rentrée des classes. On ne trouvait plus d’insuline. Mon oncle, le frère de mon père, est allé à pied en Espagne pour voir s’il trouvait de l’insuline, mais comme il y avait eu la révolution, il n’en a pas trouvé. Le médecin de ma maman avait été réquisitionné. Il n’était pas à Prats. Il y avait seulement un médecin militaire. Il y avait une caserne ici, près de la poste. C’était la caserne militaire. Il n’y avait que ce médecin militaire. On ne trouvait plus d’insuline. Ça a commencé le 1er octobre. Elle est morte le 7, faute d’insuline. Mon père ne l’a pas su, évidemment, il était en Angleterre. En 1940, ce n’était pas facile de correspondre. Elle est morte le 7 octobre, et le 17 octobre, il y a eu les inondations. »
« Une pluie torrentielle, une pluie très forte qui a fait des éboulements. Cette maison a été emportée. Ce pont a été emporté. Il y a une passerelle, maintenant. Cette maison, c’était une usine. Je ne sais plus ce qu’ils y faisaient… C’était une usine d’espadrilles. Le pont a été emporté. Les maisons qui étaient de ce côté… Je ne sais pas s’il y a les photos. Il y avait même des enclumes. Vous voyez ce que c’est ? Elles ont été emportées par le torrent. Vous vous rendez compte ? Des bœufs ont été emportés, des vaches. Les moutons, n’en parlons pas. C’était fou. »
« Ma maman est morte le 7. Ça a commencé le 16 et ça a duré trois jours. Ce sont des souvenirs difficiles. »
Jean GUISSET, né le 2 avril 1935 à Prats-de-Mollo, Pyrénées-Orientales
Jean Guisset a eu un AVC et parle avec difficulté. Il a écrit ses mémoires pendant son confinement. Il narre ici les détails de son activité professionnelle, au service RTM des Eaux et Forêts en tant que chef pépiniériste, qui a contribué à la mutation du paysage de la vallée.
Jusqu’aux environs de 1955, la pauvreté et l’absence de végétation étaient un caractère vraiment frappant du Haut-Vallespir. La fraîcheur de quelques prés laissés par les inondations de 1940 et 1942, les plantations de châtaigniers et l’abondance des zones dans les ravins masquaient d’en bas cette dénudation, mais elle éclatait dès qu’on s’élevait sur les premières hauteurs pour embrasser l’ensemble du paysage à caractère pastoral. Sur une superficie de 12 000 hectares, la commune de Prats-de-Mollo-La-Preste accusait, selon les statistiques de 1952, 8200 hectares de landes contre 800 hectares de cultures et 3000 hectares de bois.
Avec les pluies catastrophiques d’octobre 1940 et d’avril 1942, un arrêté ministériel du 25 avril 1944 fut pris, classant le département en état de catastrophe naturelle et l’étude fut confiée à un jeune ingénieur du service RTM (..). Le mot d’ordre était : « Sacrifions la montagne pour sauver la plaine. » (…) La reconnaissance fut faite sur le terrain, l’état des lieux, l’étude de toute la cartographie des terrains, tous particuliers à restaurer, à l’aide de l’ancien plan cadastral. L’étude s’avéra longue et difficile, si bien qu’un périmètre fut tracé sur carte. Ainsi furent établis les premiers contacts avec les propriétaires pour céder les terrains à l’amiable ou par expropriation. Un front d’opposition se constitua, assez uni au début (il fallait comprendre ces personnes âgées qui avaient toujours habité dans ces montagnes, propriétaires de père en fils, qui avaient vécu les désastres de la vie, qui voyaient tous leurs souvenirs disparaître, expulsés, et qui devenaient pour certains – par le prix offert – presque des réfugiés si l’on peut dire, ne trouvant pareil habitat pour la somme, et c’était triste). Mais par la ruse de l’administration, les tractations, le marchandage, ce front se dégrada, si bien que certains propriétaires riverains cédèrent. Le climat se détériore durant quelques années : tribunaux, rétrocessions, échanges de terrains, cessions. Que de combines faites qu’il a fallu vivre pour le comprendre ! Toute la vallée de la Parcigoule où vivaient une douzaine (seize au total) de familles fut complètement expropriée par utilité publique, provoquant la désertification de la population (en 1935, l’école de Saint-Sauveur avait deux instituteurs avec cinquante-trois élèves ; elle fut fermée en 1958). Il y eut également des expropriations sur les communes du Tech, Montferrer, Corsavy et Montbolo.
Ainsi, à Prats, il fut décidé d’agir en moyenne montagne sur le régime torrentiel du Tech et de ses affluents par une correction méthodique des érosions et un reboisement massif des bassins torrentiels. 6000 hectares, soit la moitié de la commune, constituèrent le périmètre de restauration en grande partie par expropriation.
Andrée BOLZOM, née en 1943 à Perpignan, Pyrénées-Orientales Ehpad El Cant dels Ocells, Prats-de-Mollo-La-Preste
« Je suis à L’Ehpad depuis huit ans. Je suis née en mai 1943 à Perpignan, mais ma famille est originaire d’ici. Mon fils a essayé de me garder, mais il n’a pas pu parce que j’étais trop handicapée. Dans notre maison, il y a un étage. Mettre un ascenseur, ce n’est pas possible. Les Stannah, c’est horriblement cher. Il ne pouvait pas assumer alors il a trouvé cette maison. Je venais en vacances à Prats-de-Mollo. Mais c’est le hasard. Mon fils ne trouvait pas de maison de retraite à Perpignan. C’est par le bouche-à-oreille qu’il a trouvé celle-là. »
« Ma mère était couturière. Elle en a fait, des choses. Elle faisait même des robes de mariée. C’était une grande couturière. Ma grand-mère était brodeuse. Mon père travaillait à l’hôpital Saint-Jean, au bureau des entrées. Il était comptable. Après, il est parti en Tunisie, à l’hôpital de Tunis. Je le voyais tous les quinze jours. C’était une corvée, pour moi. Ma grand-mère paternelle n’était pas gentille. »
« Je suis partie à dix-huit ans pour être institutrice dans l’Aisne. J’ai fait quelques remplacements. Je suis rentrée à Sainte-Thérèse à Perpignan à la rentrée de 65, une école libre. Je n’ai pas eu d’interruption. Ce métier me plaisait, mais j’ai eu des problèmes de santé, des dépressions nerveuses à répétition. J’ai été hospitalisée. Pour avoir mon fils, il a fallu que je reste allongée neuf mois. Je ne sais pas si ce sont les cachets ou la dépression. J’ai été hospitalisée plusieurs fois, notamment à Thuir. Mais à l’époque, je marchais bien. Je pouvais me promener dans le parc. J’avais fait un herbier. Je n’en souffrais pas. »
Floréal FALCO, né le 16 avril 1936 à Tarragone, Catalogne, Espagne. Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
« Fuir, c’est un grand mot. J’ai quitté mon pays en compagnie de mes parents pour ne pas, à la fin de la guerre, être fait prisonnier par le franquisme. Mon père était républicain, il était anti-Franco. Il a fait la guerre. Il a eu des responsabilités pendant la guerre. Si Franco ou sa troupe l’avaient pris, mon père aurait été condamné à mort. Donc on est partis. Arrivés en France, nous avons subi les vicissitudes des camps de concentration. Mon père a fait onze mois de camp de concentration à Argelès. Ma mère et moi, on a été envoyés dans le centre de la France, dans le département de la Nièvre. Mes parents ne se sont retrouvés qu’un an ou deux après. »
« Nous avons traversé les Pyrénées le le 9 février 1939. Il paraît que c’était un hiver très dur. Il y avait de la neige et on marchait à pied dans la montagne. De là, nous sommes descendus jusqu’au Boulou à pied, escortés par la gendarmerie. Au Boulou, nous avons été séparés. Mon père a été renvoyé vers la mer, vers Argelès. Ma mère et moi avons été dirigés sur la gare du Boulou. Nous avons passé la nuit sur le parvis de la gare, à même le sol, alors que c’était l’hiver. Le lendemain, on a été embarqués dans un train de marchandises. Jusqu’où ? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est qu’on s’est retrouvés à Nevers, dans le département de la Nièvre, où nous avons vécu avec d’autres réfugiés. »
« On n’avait pas de papiers. On nous enfermait. Les hommes ont été mis dans des camps de concentration et les femmes et les enfants dans ce qu’on appelait des refuges. C’était à peu près pareil, sauf qu’il n’y avait pas de barbelés autour. Ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’on a réussi à avoir des papiers. On n’était pas français, on avait des cartes de séjour temporaires »
« Cette guerre a divisé les familles. En tout cas, la mienne. Ceux qui sont restés là-bas, ils n’ont pas connu la misère que nous avons connue. Pour eux, Franco, c’était bien. Eh bien, qu’ils le gardent ! Nous, on n’en veut pas, on n’en voulait pas. Franco est mort en 1975. On retrouve encore aujourd’hui des fosses communes de fusillés du régime. »
Gérard GASSER, né en 1949 à Besançon, Doubs. Ehpad El Cant dels Ocells, Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
« J’ai soixante-treize ans. Je suis résident à l’Ehpad depuis deux ans. Je suis né en 1949 à Besançon. Ma femme faisait ses études à Toulouse. On est venus dans les Pyrénées pour travailler. Elle faisait ses études. Moi, je travaillais déjà ici à l’ONF. L’hiver, je bossais comme pisteur, les secours à skis. J’avais un truc bleu, blanc, rouge sur la manche. C’est des moniteurs, mais qui ne font que les secours. J’avais du boulot. Il y avait des accidents. Avec les forfaits, les gens ont droit aux secours. Il y avait l’hélico. Il y a des stations là-haut. Il y a Les Angles, Font-Romeu, une dizaine de stations. »
« Au printemps, dès que je débauchais, j’embauchais à l’ONF jusqu’à Noël. Je travaillais jusqu’à 3000 mètres. À Noël, je prenais quinze jours et j’apprenais le ski. C’était il y a douze ans. Ensuite, j’ai arrêté mon boulot. J’étais malade, fatigué. »
« J’étais à la rue. Je suis parti de la famille. J’ai vécu un peu comme un marginal. Je suis parti en sucette, comme on dit. À la belle saison, je faisais tous les petits boulots, les vendanges… J’ai fait beaucoup de choses. Mais quand j’étais très en forme, je partais marcher. C’était bien. J’ai revu les enfants longtemps après. Et là, c’est reparti. On se revoit… C’est bien. J’ai deux filles. »
Joseph RIBES, né le 23 février 1931 à Prats-de-Mollo, Pyrénées-Orientales
« On faisait beaucoup de contrebande. C’était en 1942, 1943, 1945. De France en Espagne, c’était du tulle, du poivre, du cochon, de la manganate… Qu’est-ce qu’il y avait encore ? La base, surtout, c’étaient des habits, des souliers et des lunettes de soleil. Ils étaient plus forts que les Français. Il y avait une rencontre dans un coin qu’on connaissait. La douane nous surveillait. Je me souviens d’une fois… On a passé pour une fortune de films de cinéma d’ici en Espagne. Il y en a deux qui étaient délégués pour se faire attraper. C’étaient des appâts pour pouvoir passer le reste. Quand ils vous attrapaient, ils vous emmenaient au poste. Après, vous étiez libre. Alors nous pouvions passer. Les pneus de voiture, tout ça, pareil. En Espagne, ils n’avaient pas de caoutchouc. On déléguait deux personnes. Il fallait payer une amende. On ne les mettait pas en taule, à l’époque. On se faisait attraper, mais derrière, il y avait vingt personnes qui passaient. C’était surveillé. “Ils sont au poste, maintenant, on peut y aller.” Plein de trucs comme ça. J’ai traversé la rivière, le Tech, même en plein hiver, des milliers de fois. Je transportais du tulle et je l’apportais à une personne qui était de l’autre côté de la rivière pour ne pas passer sur les passerelles. Je sortais de la maison, j’emportais le paquet et je le transportais de l’autre côté du Tech. Mais ça se passait toujours le soir, pas dans la journée. En 1950, c’est la dernière fois que j’ai fait dans la contrebande. »
Angel LOPEZ POZOS, né en 1932 à Manresa, Espagne. Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
« On ne peut pas expliquer les camps de concentration à quelqu’un qui n’y est pas allé. Si vous étiez malade, il fallait vous débrouiller. Beaucoup de misère. On ne pouvait pas se laver. Il n’y avait rien de tout ça. Beaucoup de gens mouraient. C’est la faute à personne. C’est la faute que nous sommes des réfugiés, c’est tout. La France nous a accueillis. Je dis merci à la France, malgré tout. De toute façon, on ne pouvait pas aller ailleurs. Il fallait passer par la France. Même si la frontière avait été fermée, on serait passés quand même. On n’allait pas rester là en attendant que Franco vienne nous cueillir. On est entre 400 000 et 500 000 réfugiés à être passés. 200 000 ou 300 000 sont rentrés au bout de trois mois. »
« Quand la guerre a éclaté, mon père avait trente-six ans. Il est né en 1900. Il a été appelé pour défendre la République. Il se trouvait dans une bataille contre les Italiens à Guadalajara. Il n’a pas été fait prisonnier tout de suite, il a fait d’autres choses avant. Guadalajara, c’est la dernière bataille qu’il a faite. Ils l’ont appelé en 1937, il est parti et il n’est jamais revenu. Quand il écrivait à ma mère, il disait : ”Bientôt, j’aurai une permission et on pourra se voir.” Cette permission n’arrivait jamais. Jamais il n’est venu. Il est parti, il a été fait prisonnier par Franco lors de la bataille. Ils l’ont emmené au Maroc, aux travaux forcés. Nous, on est arrivés au camp de Rivesaltes en 1941. On y est restés jusqu’à l’hiver 1942-1943. Mon père est mort en 1942. »
« Nous, on avait de la chance, pas les autres. Le frère de mon grand-père, qui était à Lyon, envoyait de l’argent à ma mère, parfois un colis avec des sardines, des boîtes de conserve. On pouvait sortir. On avait fait un trou dans le barbelé et on sortait. Quand ils nous voyaient arriver, ils faisaient demi-tour et on rentrait par le même trou. Ils ne bouchaient pas le trou. »
« On allait à Rivesaltes, au cinéma. Comme j’avais de l’argent que ma mère me donnait, j’achetais de la saccharine parce qu’il n’y avait pas de sucre. Si on pouvait trouver des bonbons… Dans notre baraque, il y avait des enfants de cinq ou six ans. Ils nous attendaient. Nous, on avait douze ans. . »
Irène MONTURIOL, née le 19 août 1949 à Espinavell, Espagne. Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
« Je suis née le 19 août 1949 derrière la montagne, à Espinavell, en Espagne. À vol d’oiseau, ce n’est pas loin. J’ai connu Pallade… Avant, on te payait mieux en France que là-bas. On venait sans papiers, en cachette, ramasser les cerises, faire les vendanges. On s’est connus à Céret quand j’allais ramasser les cerises. Mes parents avaient des vaches. Ils étaient au village. Ils n’avaient pas beaucoup de vaches, une dizaine. Je suis venue travailler à Prats parce que je ne voulais pas travailler à la terre, et j’y suis toujours. Ça fait cinquante-six ans que je suis à Prats. Je suis venue là parce que je travaillais à l’hôtel Costabonne. Après, j’ai travaillé pendant vingt-quatre ans aux thermes de La Preste. »
« Je faisais les thermes le matin et la ferme l’après-midi, les foins et tout. Ça faisait une double journée. Mais quand on est jeune… Je me levais à 4 h 30. On commençait à 6 h, on finissait à midi. À 13 h, j’étais à la maison. Je faisais les soins aux thermes. Je faisais les entéroclyses, c’est comme des lavements. Avant, il y avait quatre ou cinq docteurs. Maintenant, il n’y en a plus. Je ne sais pas comment ils font. Heureusement qu’il y a La Preste. Sinon, Prats, c’est mort. Ça amène un peu de monde et de travail. »
« Après, il y a eu les bêtes. On allait en montagne, en transhumance, pour les troupeaux. Quand on était à la Coste de Dalt, on allait de la Coste de Dalt au Costabonne. Et quand on était au Mir, on allait du Mir à l’Ouillat. On montait au mois de juin et on descendait au mois d’octobre. On montait une fois par semaine pour leur donner du sel. Avant, il y avait un berger. Maintenant, il n’y en a plus. C’est le propriétaire lui-même qui les garde. Chacun garde les siens. Il y avait un refuge. Le berger dormait là-bas. Il descendait une fois par semaine pour chercher du ravitaillement. De la Coste de Dalt vers le Costabonne, il faut compter 3 heures de marche. On suivait la crête des montagnes, près de la frontière.»
Cyril FALL, né le 21 juillet 1960 à Kaolack, Sénégal. Ehpad El Cant dels Ocells, Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
« Je suis né le 21 juillet 1960 à Kaolack, au Sénégal. Avant d’arriver à l’Ehpad, je vivais à Perpignan. Si je suis venu ici, c’est parce que j’ai été marié avec une Pratéenne. Nous n’avons pas eu d’enfants. Nous avons divorcé. »
« Mes parents étaient cultivateurs au Sénégal. Ils sont morts il y a trente ans. »
« J’ai été agent de propreté à Toulouse, en lavage industriel. Mes mains sont abîmées. C’est à cause des produits chimiques. Cela me fait souffrir. »
« Je connais peu la région, je n’ai jamais marché dans les montagnes. »
« Les périodes de confinement ont été difficiles à vivre. J’étais seul, enfermé dans ma chambre. C’était une expérience amère. »
Michel FERRER, né le 2 août 1933 à Hijar, Aragon, Espagne. Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
« Je ne suis pas né à Prats. Je suis espagnol. Je suis né à côté de Saragosse, en Catalogne. Je suis entré le 7 février 1936 en France, par Cerbère. Après, on est allés dans le Gers, dans un camp de concentration pendant quatorze mois. Des parents à nous, qui sont rentrés avant la guerre, nous ont fait les papiers. On est sortis à Torreilles. On est restés un an à Torreilles. En 1942, on est allés à Prats-de-Mollo quand il y a eu la deuxième inondation. La première, c’était en 1940 et la deuxième, en 1942. On est restés à Prats-de-Mollo. Mon père et ma mère sont décédés ici et ma femme aussi. »
« J’ai quitté mon village natal au mois de septembre 1937. Pendant deux ans, on a reculé en fonction des avancées de Franco. On restait six mois, un an. On est restés neuf mois et quelques dans un patelin à côté de Barcelone. On se disait : “Maintenant, Franco recule, peut-être qu’on va rentrer chez nous.” Finalement, on a dû tous partir. C’est pour ça que je ne regarde pas la télé depuis qu’il y a la guerre en Ukraine. Quand je vois les gosses, les femmes, les hommes… Ça me donne envie de me jeter par la fenêtre. Alors j’éteins. Je ne regarde pas, je m’en vais au lit à 21 h ou même avant. Je ne regarde pas. Je ne dormirais pas de la nuit. Un jour, j’ai voulu regarder et je n’ai pas dormi. Ça revient un peu. On n’a pas fait de progrès. C’est une misère, ce qui se passe là-bas… Vous voyez des enfants, des bébés et combien de blessés ! Les uns mutilés d’un bras, les autres d’une jambe. C’est pas au top. Enfin… Je prends la télécommande et j’éteins. Je ne peux pas voir. Je préfère voir des hommes du quartier. Il y a M. Ribes qui habite sur la route de La Preste. Il vient parce qu’il a un cousin là. On discute de choses de maintenant, mais pas de la guerre. Un jour, ils ont commencé à parler de la guerre et j’ai dit : “Moi, je m’en vais.” Quand j’y vais, ils n’en parlent pas. On se connaît depuis tout jeunes. »
Arlette CHEVALIER, née le 9 décembre 1947 à Martres-Tolosane, Haute-Garonne. Ehpad El Cant dels Ocells, Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
Arlette Chevalier a vécu à Toulouse et Saint-Cyprien, elle est née le 9 décembre 1947 à Martres-Tolosane (31).
Entrée en Ehpad en décembre 2021 suite à une chute. Peu d’informations sur son parcours.
Elle fut maroquinière et a une fille qui vit à Eaunes (31).
Ehpad El Cant dels Ocells, Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France.
Madeleine LESTIENNE, née le 3 septembre 1924 à Bonnières, Pas-de-Calais . Ehpad El Cant dels Ocells, Prats-de-Mollo-La-Preste, Pyrénées-Orientales, France
De Rivesaltes avant son entrée à l’Ehpad El Cant dels Ocells, Prats-de-Mollo-La-Preste.
Madeleine PALAU née CASES, née le 12 avril 1934 à Prats-de-Mollo, et Maurice PALAU, né le 2 mars 1935 à Prats-de-Mollo, Pyrénées-Orientales
” On a eu des embêtements. Je suis de rhésus négatif et lui, positif. On a perdu deux enfants à la naissance. Vous savez, on a été malheureux. Heureusement qu’on a pu en avoir un. On aurait eu trois garçons. C’est affreux. Pour nous, c’est affreux. On en a souffert. On a perdu le premier et le dernier. C’est celui du milieu. On n’a rien compris. À Perpignan. Ils ne savaient pas de quoi ça venait. Ils ont cherché et ils ont trouvé que moi, j’étais négative. C’est le rhésus qui n’était pas… J’ai un sang spécial. J’ai des anticorps très puissants. C’est pour ça que je n’ai pas attrapé le covid. C’est bizarre, je suis la seule. Quand mes soeurs étaient petites, elles avaient toujours des coqueluches, des machins. Et moi, je n’attrapais jamais rien, jamais, jamais. Ça m’allait d’un côté, et ça m’a embêtée pour les enfants. On a été malheureux. Ça faisait 2 ans qu’on était mariés. On a eu le premier. Philippe est né en 1961. L’autre en 1960. On l’a eu presque de suite, le second. Le troisième, on a mis 4 ans. 1964, le troisième. Et le premier, ils n’ont pas su de quoi ça venait. Ils nous avaient dit qu’il y avait eu un microbe, une épidémie. Ils ne savaient pas. Le troisième, on l’a emporté à Montpellier pour savoir. Et là, ils ont su. Vous savez, ils venaient me chercher au centre de Montpellier exprès parce que j’avais un sang spécial. O négatif. Ce sont des anticorps qui sont rares. Dans le département, on n’était qu’une quinzaine. Quand le général de Gaulle sortait, ils avaient peur d’un attentat. Ils demandaient du sang. J’avais le sang du général de Gaulle ! On leur avait même téléphoné : « S’il a besoin du sang, on lui en donnera. » Ils ont répondu qu’ils en avaient assez. “
“Ça ne serait jamais arrivé, maintenant, ce qui nous est arrivé. On les soigne
tellement bien. Les échographies, les prises de sang… Nous, on n’avait rien. Je le dis à mes filles : « Vous êtes bien soignées. » On n’avait pas de prises de sang, on ne savait pas de quelle origine on était. Ma petite-fille m’a dit : « On m’a fait une échographie en 3D. » Je lui ai dit : « Tu vois ce qu’ils vous font, maintenant ? Nous, on n’avait pas ça. On avait rien du tout. » C’est notre vie. Je vous raconte ça…”
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