Antoine
Dorotte

04.06.2015

magmas & plasma

magmas & plasmas, 2014,
aquatinte sur zinc
Photo 1 à 7 © Jean-Christophe Garcia ; 8 et 9 © Hervé Padrino

Sur un coup d’surin (replay), 2013,
zinc gravé à l’eau-forte et à l’aquatinte, bois, tablette numérique, 86 cm x 320 cm x 234 cm
Photo : © Hervé Padrino

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magmas & plasmas, titre de l’exposition au Frac Aquitaine, est aussi celui d’une des pièces présentées, installation composée de plusieurs dizaines de panneaux en zinc gravés à l’aquatinte, qui arborent tous un motif géométrique, tel un blason, une figure sur un jeu de cartes, l’octaèdre. Dans la théorie Platonicienne dressant une correspondance entre un solide régulier et l’un des quatre éléments physiques (terre, air, eau et feu), l’octaèdre est associé à l’air.

L’air nous englobe, pénètre nos poumons et occupe la totalité des espaces dans lesquels nous évoluons. La possibilité d’exposer au Frac, bâtiment tout en verticalité, grand couloir plus haut que large, m’a d’emblée fait prendre la mesure d’une quantité d’air invraisemblable à investir : comment appréhender ce volume ? J’ai alors choisi d’axer mon intervention sur un jeu avec la masse d’air contenue dans ce lieu d’exposition en tentant de la “brasser”.

La gravure à l’aquatinte sur zinc est une technique à laquelle je reviens souvent. Elle permet un traitement des surfaces métalliques de l’échelle d’une vignette à celle d’une architecture, par l’entremise d’un dépôt de grains de résine colophane pulvérisée, en générant des variations de gris. Ce que j’apprécie dans ce processus de travail, c’est souffler dans la poudre déposée et influer sur le motif. L’acide fixe ensuite ce fragile état dans le métal. Au Frac, des instants d’un mouvement aérien sont figés.

magmas & plasmas peut s’apparenter à une soufflerie. Un mécanisme de soufflerie. Généralement les mécanismes se composent de pièces métalliques usinées. Là, ce sont des feuilles de zinc au format standard qui sont pliées en caissettes de 192x92x2 cm et disposées verticalement. Depuis le sol jusqu’à une hauteur de 1m92, cette machine à gaz prend la forme d’un cirque à ciel ouvert, qu’une vingtaine de panneaux délimite, comme un château de cartes. Sur la partie haute de chaque format on distingue l’octaèdre de 60 cm d’arête, gravé sous différents angles de vue. Il s’agit d’une rotation de l’octaèdre par paliers de 15° sur l’axe vertical. L’orientation des panneaux est associée à cette révolution générant une circulation. J’ai soufflé sur chaque image, les motifs son brouillés, perturbés, ils scintillent dans la lumière en contraste avec le reste de la surface . Un panneau manquant crée un passage pour entrer dans le cirque. A l’intérieur, toujours des panneaux, mais rangés différemment, forment comme un carré de paravents, de soufflets d’accordéon. L’orientation des panneaux suit grosso modo la grille du repère orthogonal sur lequel la structure du bâtiment s’appuie, avec des variations de + ou - 7°. Pour l’octaèdre il est alors question d’oscillation. En plus du passage qui permet d’entrer, il y a trois alcôves disposées “en carré”, deux d’entre-elles sont similaires et présentent des panneaux gravés, mais la dernière, à l’angle droit de l’entrée, diffère : Le panneau du fond est remplacé par un écran de rétro-projection où l’ensemble des surfaces des panneaux apparaît réuni sous la forme d’une animation-vidéo full HD. Le motif de l’octaèdre est soumis à des tourbillons, oscillations et pulsations comparable à celles d’un mécanisme de ventilation , l’air est brassé. Sur les murs du Frac d’autres panneaux sont éparpillés parfois très haut, comme envolés et plaqués.
La chimie de la gravure règle le protocole d’apparition de l’image en l’inscrivant au sein de la matière. Le motif brouillé et tournoyant de l’octaèdre renvoie symboliquement à la philosophie de la Grèce antique ainsi qu’à la théorie avortée de Kepler au XVIème siècle, qui l’une le liait à l’air et l’autre à Mercure “la planète métallique”. Avec une volontaire candeur, le stop-motion de la video re-génère la “magie primitive” du mouvement (à l’heure du gif) et active ainsi ce panoptique kaléidoscope au faux-air de machine célibataire .

La porte d’entrée dans le cirque de magmas & plasmas est aussi celle de la sortie. L’appel d’air de la projection demeure infranchissable et l’ensemble de la structure génère un cul-de-sac qui condamne même l’accès à l’une des extrémités du bâtiment. L’espace interdit au visiteur constitue une anti-chambre, une salle des machines confidentielle et essentielle. Outre le dispositif de vidéoprojection qui s’y trouve, cette zone inaccessible accueille, le soir du vernissage, une performance sonore de Hugo Lemaire, Antony Lille et Boris Geoffroy exceptionnellement nommés magmas & plasmas pour l’occasion (depuis ils ont formé PAL). Ils ont pour consigne d’émettre un air, sur la base d’un set de panneaux gravés et d’un échantillonnage de tous les matériaux composant la mécanique de magmas & plasmas pour jouer un véritable display qui hante la pièce et dont les éléments restent sur place (l’air reviendra).
Lanternes magiques, zootropes, praxinoscopes et autres théâtres optiques, ces objets techniques et néanmoins magiques sur lesquelles lorgne magmas & plasmas, sont les orgues de barbarie de l’image en mouvement mais permettent cependant d’ouvrir grand les portes d’un imaginaire toujours fécond à l’air du numérique.

Dans “L’air et les songes, essai sur l’imagination du mouvement”, Gaston Bachelard écrit, “Il nous semble donc que l’image de la sublimation matérielle, telle qu’elle a été vécue par des générations d’alchimistes, puisse rendre compte d’une dualité dynamique où matière et élan agissent en sens inverse tout en restant étroitement solidaires. Si l’acte d’évolution dépose une matière pour surgir et en repoussant le résultat déjà matérialisé d’un élan antérieur, c’est un acte à double flèche. Pour bien l’imaginer, il faut une double participation. Seule l’imagination matérielle, l’imagination qui rêve des matières sous les formes, peut fournir, en unissant les images terrestres et les images aériennes, les substances imaginaires où s’animeront les deux dynamismes de la vie : le dynamisme qui conserve et le dynamisme qui transforme. Nous retrouvons toujours les mêmes conclusions : l’imagination d’un mouvement réclame l’imagination d’une matière. A la description purement cinématique d’un mouvement - fût-ce d’un mouvement métaphorique -, il faut toujours adjoindre la considération dynamique de la matière travaillée par le mouvement”. Plus loin il ajoute, “Et l’image alchimique de la sublimation active et continue nous livre vraiment la différentielle de la libération, le duel serré de l’aérien et du terrestre. Dans cette image, à la fois, en même temps, la matière aérienne devient air libre, la matière terrestre devient terre fixe”.
magmas & plasmas fonctionne sur cette dialectique dynamique de l’air et de la terre. L’armada des panneaux métalliques au sol et ceux qui sont plaqués dans les limites et les hauteurs du lieu, matérialisent la force tellurique livrant un corps à corps avec ce protagoniste invisible et indomptable, dont le mouvement peut nous être perceptible, l’air. L’issue de cette expérience est une manifestation optique de l’ordre du mirage de l’hologramme, de l’ectoplasme…

Extrait de la note d’intention d’Antoine Dorotte, 2014

magmas & plasmas, 2014,
aquatinte sur zinc, projection vidéo, son

Le soir du vernissage de l’exposition a eu lieu une performance sonore de Hugo Lemaire, Antony Lille et Boris Geoffroy. Exceptionnellement nommés magmas & plasmas pour l’occasion (depuis ils ont formé PAL). Ils avaient pour consigne d’émettre un air, sur la base d’un set de panneaux gravés et d’un échantillonnage de tous les matériaux composant la mécanique de magmas & plasmas pour jouer un véritable display qui hante la pièce et dont les éléments restent sur place (l’air reviendra).