Alain
Le Quernec

01.07.2015

IMAGES D'APRES

La bonne idée
Alain Weill, le 3 mars 1997.

IMAGES D’APRES
La bonne idée

Après des études supérieures à Paris, Alain Le Quernec eut la bonne idée de poursuivre sa formation à Varsovie . Il eut la chance de pouvoir y suivre l’enseignement du plus grand pédagogue de l’après-guerre : Henryk Tomaszewski. Au lieu d’apprendre à ses étudiants la technique du dessin ou de la photographie, celui ci, par toute une série d’exercices, cherchait essentiellement à leur ouvrir l’esprit, à leur apprendre à penser et à imaginer.

Autre bonne idée d’Alain après cette année initiatrice - retourner en Bretagne pour y exercer le métier dont Tomaszewski lui avait transmis la passion : affichiste.

Il faut dire qu’il fallait à l’époque une bonne dose de culot ou d’inconscience pour vouloir se lancer à faire des affiches en région. Si à Paris, la situation n’était pas brillante (demandez donc aux Grapus !) la province était carrément un désert.

Mais voilà Le Quernec avait la passion, et il était déjà - il l’est d’ailleurs resté - têtu comme un vrai breton. De commande militante en commande militante, il creusa petit à petit son sillon se faisant chaque année connaître un peu plus, glanant chaque année de nouveaux clients, la politique du début amenant le culturel. Si sa ténacité lui a permis de s’implanter, la qualité de ses affiches explique bien sûr avant tout sa réussite.

Le Quernec a retenu et mis en pratique toutes les leçons de son maître : on ne peut pas parler de style
Le Quernec car il est en permanence en renouvellement, la technique changeant d’une affiche à l’autre.
On peut par contre parler d’une démarche. Jean Carlu définissait dès les années trente l’affiche comme l’expression graphique d’une idée. Le Quernec commence donc par chercher l’idée - une jubilation créatrice, touffue, luxuriante, iconoclaste souvent qu’on trouve tout au long de son œuvre : jeux de mots, jeux d’images où Alain n’a jamais peur de faire gros, d’en rajouter sur le gag visuel où le calembour pour que l’image saute immédiatement aux yeux. Il se souvient des leçons de Savignac et, comme lui, que « l’affiche est aux beaux-arts ce que le catch est aux belles manières » - alors il y va, droit au but, dans la joie et la bonne humeur.

Cette préface n’est pas le lieu d’une étude critique détaillée mais, de ce fourmillement créatif, j’aimerais extraire quelques images qui me paraissent exemplaires. Sa longue série sur les cafés théâtres d’abord pleines d’éclaboussures de café, de tomates et de trognes rigolardes ; il y a là une jovialité populaire qui donne envie d’y aller : c’est du Le Quernec qui se laisse aller - ce que ne lui permet pas toujours la commande culturelle dont le sérieux l’oblige parfois à se réfugier dans un académisme plus formel.

Que les jeunes graphistes méditent la simplicité « d’à cloche pied » - voilà enfin un affichiste bien dans ses pompes (on dirait aujourd’hui ses baskets) qui n’a pas peur de rire - et vous faire rire un bon coup.
Pas plus qu’il ne se dégonfle quand il sort « la pub tue » - une affiche militante qui restera comme un classique . Le Saint-Sébastien aux cigarettes - il fallait y penser - et aussi bien sûr le faire; comme faire d’une boîte de pâté Hénaff le groin d’un porc. Toutes ces trouvailles sont celles d’un homme bien dans sa peau, une force de la nature, avec qui j’ai pris parmi les plus belles cuites de ma vie - cela aussi ça existe, et ça peut s’écrire ! - avec qui j’ai parlé ces nuits là graphisme jusqu’à l’aube. Interminable parleur qui finit, à l’usure (il se répète parfois !) par vous convaincre avant que tout le monde ne s’écroule.

Alors, qu’il ait un ordinateur qui fait aujourd’hui que sa lettre devient parfois nouvellement typographique, qu’il utilise la photo ou qu’il dessine de son trait vigoureux qu’importe ! Alain Le Quernec a compris qu’une affiche est faite pour crever le mur, pour attirer l’œil pour faire réfléchir, rire ou pleurer. Et tant mieux s’il peut aujourd’hui utiliser de grands formats : plus c’est grand, plus ça en jette et il faut en profiter. Il en profite, il a raison : Alain Le Quernec c’est simplement un vrai affichiste .

Alain Weill, le 3 mars 1997.