Alun
Williams

14.04.2023

Texte de Éric Mangion

Paru dans Artpress Nº 340, décembre 2007
Alun Williams à l’Espace d’art le Moulin, La Valette-du-Var, 23 juin au 26 octobre 2007

Pour ceux qui avaient pris pour habitude de se rendre régulièrement à La Valette-du-Var, le Moulin était devenu au fil du temps un rendez-vous important pour la création. Porté par la municipalité et par l’énergie de sa fondatrice, Isabelle Bourgeois, il proposait, dans un local plutôt modeste, des expositions destinées à croiser les préoccupations des artistes contemporains avec le patrimoine social, architectural ou historique de la ville. Le pari était risqué, mais la rigueur de la programmation a toujours permis d’éviter la complaisance touristique. Devenu véritable centre d’art au mois de juin dernier grâce à des travaux ambitieux réalisés à partir du site originel, il a inauguré ses nouveaux locaux en accueillant l’artiste Alun Williams. Fidèle au projet initial du lieu et à sa propre démarche, celui-ci a développé une véritable « investigation » autour d’un personnage emblématique de la ville, Joseph Gauthier. Pourtant simple prieur d’une commune qui ne dépassait pas à l’époque les mille habitants, ce personnage atypique a joué au début du 17e siècle un rôle important en propageant les idées philosophiques et scientifiques de son temps, tout en invitant de nombreux penseurs européens, constituant ainsi une sorte d’université permanente. Comme a son habitude, Alun Williams contourne le sujet en mettant en place un protocole pour le moins original. Au lieu de se laisser porter par une série de portraits plus ou moins ressemblants, il se lance dans la recherche d’une trace dans la ville qui puisse à ses yeux représenter le visage fantomatique (il n’aime pas le mot !) de ses personnages. Puis il « applique » cette trace en forme de tache sur différents paysages peints comme des décors potentiels. Le procédé se multiplie sur chacune des toiles exposées, instaurant de la sorte une étrange familiarité avec celui qu’on ne voit pas. « J’ai remarqué très vite que le spectateur accepte que telle tache soit une forme de représentation de tel personnage – que la tache « devienne » le personnage. J’étais très intéressé par le cycle de peintures réalisées par le peintre australien Sydney Nolan au sujet du célèbre bandit Ned Kelly. Dans ces peintures – qui datent de 1946 -, la tête de Kelly est représentée par un carré noir, en référence à une sorte de casque artisanal que, selon la légende, il portait. Cette représentation quasi abstraite de quelqu’un est extrêmement mystérieuse. Mais si on demande à un Australien aujourd’hui de croquer Ned Kelly, il dessinera un carré noir sur un corps ! »

De plus, Alun Williams a invité d’autres « étoiles disparues » à partager les cimaises de l’exposition, comme si Joseph Gautier avait lui-même organisé cette rencontre pétrie d’anachronismes. On y croise une héroïne de la Révolution française (Julie Bêcheur), un des pères fondateurs de l’État américain (John Adams) et Jules Verne. On ne sait quel mystère les réunit. Ils permettent en tout cas de révéler toute l’ampleur du travail de cet artiste qui convoque l’histoire pour ne produire que des signes imaginaires à la place de ses légendes. Et pourtant, rien n’est plus réel que ces taches qui nous font face.

Éric Mangion, Nice, 2007

Curateur et critique d’art ; Directeur du Centre national d’art contemporain La Villa Arson.