Nicolas
Floc'h

01.12.2021

Une esthétique de l’immersion

Introduction à l’œuvre de Nicolas Floc’h
in Glaz, Roma publications, 2018

Note préliminaire
Ce texte se voudrait une introduction générale à l’œuvre de Nicolas Floc’h telle qu’on peut l’appréhender au stade actuel de son développement. Loin de prétendre à l’exhaustivité, il s’agit plutôt ici choisir dans ce corpus déjà conséquent un certain nombre de pièces et de projets qui nous ont semblé le mieux à même de rendre compte de l’ensemble du travail, au risque de laisser
de côté certaines œuvres que d’aucuns jugeront incontournables.

Prémices / prémisses
Dans le courant de son année de seconde, au lycée, Nicolas Floc’h voulut devenir marin pêcheur. Ses parents, tous deux enseignants, le convainquirent, non pas de rester à l’école, mais d’obtenir tout de même son passage en première. On ne sait jamais. Quand un élève sans difficultés particulières décide d’abandonner, au moins momentanément, ses études, c’est toujours pour une raison importante, bonne ou mauvaise. À dix-sept ans, l’adolescent embarque donc sur un navire de pêche de La Turballe. Pendant plus d’une année, il partage, comme on dit, « la rude vie des gens de mer ». L’apprenti fait ses classes et obtient les brevets ad hoc. Autant que la pêche, c’est la mer qui l’attire, l’étendue subtilement monochrome qui s’impose au regard, ce mystère des fonds qui vient frotter à la surface et qu’on peut observer en surplomb depuis le pont du navire. Dans les rares moments libres que lui octroie son métier, le jeune homme dessine, remplit des carnets au cœur d’une expérience fondatrice de sa future pratique d’artiste : l’immersion, au sens strict autant que dans l’acception élargie du terme.
Au bout de dix-huit mois de mer, il se trouve à la croisée des chemins. Soit il poursuit sa formation et devient capitaine de pêche, soit il suspend l’expérience pour reprendre ses études. La récente disparition en mer de deux jeunes marins de son âge et de sa connaissance va peser dans le choix de la seconde option. Reprise de la scolarité, obtention du bac, études d’espagnol, master. C’est l’époque où il commence à exposer. D’abord en 1993 à la galerie du CROUS à Nantes où Pierre Giquel découvre le travail et rédige un compte-rendu. Il y présente, entre autres, Peinture, une œuvre de cette même année, qui est un aquarium en forme de tableau, au fond d’un bleu proche de l’IKB1 , dans lequel évoluent deux poissons rouges. Cet arrière bleu, qui colore l’eau comme en trompe-l’œil (un trompe-l’œil abstrait), verticalise l’horizontalité marine qu’elle fait basculer dans le monde de la représentation picturale. Les poissons, quant à eux, par leur présence incongrue et malicieuse, viennent perturber le statut un peu compassé du monochrome tel qu’il se présente dans l’histoire canonique de la peinture moderne. Toutefois, et comme on ne se moque que de ce qui vous impressionne, il faut voir dans cette œuvre de jeunesse la marque d’une fascination pour ledit monochrome, et pour la mer, cela va sans dire, dont les témoignages vont ponctuer le déroulement ultérieur du travail. C’est également lors de cette exposition au CROUS qu’il rencontre Patrice Joly qui l’invite à l’exposition collective Chantier d’artistes2 , avant de le convier pour une exposition personnelle à la Zoo Galerie où il croise des artistes écossais de Glasgow qui lui font connaître la fameuse School of Art de cette ville où, en 1997, il entre directement en Master. Marin de cœur, et de formation, il se tourne définitivement vers l’art. Il a 27 ans et demeure dans la métropole écossaise jusqu’en 2000.
L’art, dans la seconde moitié du 20ème siècle, a connu une bascule dont on n’a pas toujours souligné l’ampleur. Non pas une rupture ontologique – y en a-t-il jamais eu ? – plutôt une inflexion dans le sens qu’on va tenter de décrire. En usant tant et plus du terme de postmodernisme, on a parfois perdu de vue que celui-ci correspondait à une remise en cause du dogme greenbergien de la spécificité du médium en son acmé newyorkais. La période transitoire dominée par l’art conceptuel (davantage que par le minimalisme qui continuait, quant à lui, à interroger le médium, la peinture autant que la sculpture), provoqua, sans doute du fait de sa radicalité, une réaction conservatrice, celle- là même qu’on baptisa « postmoderne », au tournant des années 1970 et 80. Cet épiphénomène eut cependant le mérite de rappeler l’excellente santé d’une peinture dont on n’aurait sans doute pas la peau de sitôt. Mais le véritable tournant, cette inflexion évoquée plus haut, se préparait ailleurs, et particulièrement dans la prise en compte des arts non occidentaux, précédée en Europe par des artistes aussi atypiques que Joseph Beuys ou Robert Filliou. Cet élargissement, favorisé par les diverses formes de cultural studies, et qui laissait la porte ouverte à toutes les expressions, à tous les médiums, à toutes les conceptions de l’exercice de l’art, rappelait cependant que tout le cœur de l’affaire résidait bel et bien dans la production d’objets symboliques, non plus seulement destinés aux musées ou aux murs des puissants, mais plus encore à l’existence commune, à l’expérience démocratique. Ce que l’on pourrait appeler le tournant anthropologique de l’art advient au cours de la douzaine d’années qui clôturent le siècle moderne et qui pour ce qui concerne la France, quoi qu’on ait pu en dire, s’incarna dans Magiciens de la terre3 . Ce point d’arrêt porté à l’autonomisation de l’art qui menaçait de réduire celui-ci à une fonction purement décorative, permit à toute une génération d’artistes émergeant au début des années 1990, et à celles qui suivirent, de réinscrire leur pratique dans un contexte culturel et social revendiqué, mais aussi au croisement plus que fécond des sciences sociales, pour ne rien dire d’une nouvelle manière d’envisager les processus créatifs autant que la notion même d’objet artistique, jusqu’à l’idée qu’on se fait d’une œuvre d’art.
S’attachant à définir ce qu’il entend par anthropologie, et pour différencier celle-ci de l’ethnographie, Tim Ingold4 convoque les notions d’ « observation participante », d’ « art de l’enquête ». Et d’ajouter : « Or ce n’est pas parmi les anthropologues que l’on trouve le plus de praticiens de l’art de l’enquête, mais parmi les artistes en exercice. » À n’en pas douter, Nicolas Floc’h appartient à cette génération, mais plus encore à cette catégorie des maîtres de l’art de l’enquête qui intéressent tant l’anthropologue britannique, au point qu’il se prend à rêver d’un programme commun des plus enthousiasmants, dont les attendus risquent de bouleverser l’approche de l’art. Voici en quels termes Ingold l’annonce :
« Mettre en œuvre le projet d’une anthropologie avec l’art consisterait à mettre l’art en correspondance avec son propre mouvement de croissance ou de devenir, à travers une approche qui irait vers l’avant et non en arrière, en suivant le chemin où l’art nous conduit. Il s’agirait de concevoir la relation entre art et anthropologie à partir de leurs pratiques plutôt qu’à partir de leurs objets, respectivement historique et ethnographique » 5 .
C’est dans cette perspective, et parce qu’elle nous semble la plus appropriée à une lecture du travail de Nicolas Floc’h, que vont s’inscrire les lignes qui suivent.

Les catégories processuelles (anthropologie)
Bien que l’ensemble du travail de Nicolas Floc’h soit appréhendable sous forme de pièces et d’objets qu’on appelle des œuvres (des photographies, des sculptures, des dispositifs, des environnements), c’est davantage, nous semble-t-il, comme processus qu’il convient de l’évoquer. Par ailleurs, à ce stade de son développement, il nous paraît possible d’analyser cette œuvre de manière synthétique plus que strictement diachronique, tant les lignes, les principes et les pratiques qui la structurent sont devenus constants, lisibles et évolutifs. La plupart de ses projets, en effet, demeurent in progress et, s’ils se précisent, se modifient et s’alimentent au fil du temps, ils n’en cohabitent pas moins les uns avec les autres. Aussi, c’est davantage l’idée d’objets fluides (et pas seulement pour cause d’un fort tropisme maritime) que nous tenterons ici de cerner ; des processus suivis pas-à-pas depuis des années, ainsi fidèle à cet « art de l’enquête » dont parle Tim Ingold6 et qui constitue, qui sait, le cœur même de ce qu’on appelle la critique d’art, en cela précisément différente, sinon antithétique, des enquêtes propres à l’histoire de l’art.
Pour quelles raisons la dimension processuelle l’emporte-t-elle si largement sur la dimension objectale dans l’œuvre de Nicolas Floc’h ? Répondre à cette question revient à caractériser ce travail par sa présence active au cœur du monde, non seulement dans ses instances de représentation, mais tout autant dans sa réalité première, ce que nous avons nommé plus haut « immersion ». Le matériau sur lequel travaille Nicolas Floc’h n’est en effet pas réductible aux médiums classiques qu’utilisent les artistes (quand bien même, et nous le dirons amplement, il convoque massivement les catégories de l’art). La matière de ce travail, c’est une expérience du réel, une expérience concrète, au milieu des entités naturelles (la mer, les fonds sous-marins, les champs et les jardins…) et culturelles (la scène du spectacle vivant, celle des chorégraphes en particulier, le musée, le centre d’art), en compagnie des marins et des scientifiques, des danseurs et des performeurs, des partenaires du monde de l’art. De ces frottements, Nicolas Floc’h ne tire pas systématiquement des objets circonscrits, l’expérience, l’ambiance elles-mêmes pouvant constituer les formes retenues et proposées comme œuvres. Aussi, dans son cas, la distinction entre documentation et œuvre est souvent mise à mal et généralement peu pertinente. Ce qui se donne alors à voir sous le nom d’œuvre correspond à la partie visible de l’iceberg, indéfectiblement solidaire d’un ensemble qui comprend la préparation, l’approche, le voyage, les apprentissages, l’observation, les enregistrements d’images, les rencontres, les échanges, etc. Contrairement aux artistes conceptuels qui peuvent se passer des objets au profit des seuls protocoles, contrairement aux artistes qui délèguent une partie des savoir-faire, Nicolas Floc’h tient à la réalisation finale des pièces auxquelles les processus aboutissent, fût-ce au prix de longs apprentissages, par exemple en plongée sous-marine7 , soit encore en cultures diverses, en moulage et bien sûr en photographie.
Plutôt qu’une typologie des objets, nous opterons ici pour une approche notionnelle susceptible de couvrir un spectre plus large de l’expérience, notions qui ressortissent à l’anthropologie et autour desquelles l’artiste a organisé son travail. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous en retiendrons trois : se nourrir, habiter, échanger.

Se nourrir
Dès 1995, soit avant son passage par la School of Art de Glasgow, Nicolas Floc’h engage un ensemble de projets sous le titre générique d’Écritures productives. Le principe en est simple : il s’agit de cultiver (ou de pêcher) un certain nombre de produits comestibles de manière à ce que la disposition culturale prenne la forme du mot qui les désigne. Ainsi on plantera des choux en disposant les plants en plates-bandes formant le mot « choux ». Idem pour « tomates », « radis », « tournesols », etc. De même sera récolté du sel de Guérande selon le dessin du mot « sel ». L’artiste, ce faisant, produit l’un des rares exemples plastiques équivalant au signe linguistique et à sa correspondance dans le réel : signifiant/signifié/ référent8 . Le mot « poisson », quant à lui, résulte d’un processus un peu différent. L’artiste s’embarque pour une pêche sur un chalutier auquel il fait emprunter un itinéraire formant le mot « poisson » et le traduit en graphique sur l’écran de contrôle à bord puis le transcrit sur une carte maritime. Chaque denrée ainsi obtenue sera ensuite récoltée et injectée dans le circuit de consommation, marchand ou non, sous l’appellation de produit art. Ainsi a-t-on pu acheter, au prix ordinaire du produit, du sel art ou du poisson art sur le marché de Talensac à Nantes, ou bien déguster des choux cuisinés à l’occasion d’un repas collectif à Metz. À des fins de traçabilité de l’expérience, il est demandé aux acquéreurs de ces produits de documenter leur usage privé, de la préparation du repas jusqu’au débarras des déchets, et d’en faire parvenir les images à l’artiste et à son galeriste. Ce premier ensemble conséquent peut se lire de nombreuses manières dont celle-ci qu’aime à souligner Nicolas Floc’h. Au milieu des années 1990, après le krach consécutif au second choc pétrolier, le marché de l’art retrouve de la vigueur et marque les pratiques d’une empreinte de plus en plus forte. Les marchands et les spéculateurs s’enrichissent, mais certains artistes ne sont pas en reste et de solides fortunes s’établissent alors. Nicolas Floc’h, lui, débute à peine et se trouve bien loin de ces success stories. Les produits art sont sa manière à lui d’investir le marché, sinon celui de l’art, au moins celui des fruits et légumes et les Écritures productives sont également un malicieux clin d’œil à cet art conceptuel, celui de Joseph Kosuth, Lawrence Weiner, Mel Bochner, et plus tard de Barbara Kruger ou Jenny Holzer, vis-à-vis duquel Floc’h revendique à la fois sa dette (le langage comme acte) et sa critique (la nécessité de faire). Toutefois, et au-delà de cette discrète ironie qui marque son œuvre de façon récurrente, les Écritures productives posent quelques- unes des fondations d’un travail encore à venir. Outre cette dimension économique susmentionnée, elles placent la recherche sous le sceau d’une des principales catégories anthropologiques : se nourrir. Ces besoins primaires, les artistes les prennent en compte, depuis la tradition des natures mortes jusqu’aux exemples plus ou moins convaincants du eat art. C’est le besoin de manger qui structure une part essentielle de la réalité, qu’elle soit humaine, animale ou végétale et que Nicolas Floc’h ne cessera désormais d’interroger, de rendre visible. Outre l’échange, sur quoi nous reviendrons, cette dimension économique repose aussi et peut-être surtout sur la notion de production : production des denrées nécessaires à la survie des espèces, production symbolique tout autant. L’homme ne se nourrit pas que de pain…
À l’autre extrémité chronologique de son œuvre, « Se nourrir » renvoie également au travail sur les Récifs artificiels, sans doute l’ensemble le plus important réalisé à ce jour par Nicolas Floc’h. Mais avant d’évoquer ce corpus, que nous traiterons dans la rubrique « Habiter », avant de signaler les œuvres directement liées à la pêche, il faut dire un mot d’un essai des tout débuts, à la fois écriture productive et ébauche de récif artificiel. Fin 1992, autour de Noël, une nuit, le jeune artiste dispose sur la plage un filet de cinquante mètres agencé de façon à écrire le mot « mer ». La marée montante le recouvre et à marée basse on le retrouve habité de dorades. Le soir de Noël, il place dans la mer un sapin muni d’appâts, espérant une fois encore récupérer du poisson. Ce sera un échec : rien sur le sapin, pas de père Noël.
Parmi les pièces en relation avec l’idée (et l’action) de se nourrir, Pélagique puis La Tour pélagique s’affirment comme des réalisations majeures. En 2004, dans le cadre de son exposition Hors d’œuvre : ordre et désordres de la nourriture, Maurice Fréchuret demande une Écriture productive à Nicolas Floc’h qui, plutôt que d’en resservir une énième version, propose d’investir l’immense nef du CAPC, à Bordeaux, d’un filet pélagique9 de 40 mètres de long sur 12 d’ouverture, déployé dans le volume de l’Entrepôt Lainé. L’objet est à double détente, au croisement de la réalité la plus concrète d’un mode de pêche plus ou moins controversé et de certaines occurrences de la sculpture minimaliste, Fred Sandback par exemple. La Tour pélagique fut conçue et réalisée quatre ans plus tard, à l’occasion de la première biennale de Rennes10 et présentée dans le patio du musée des beaux-arts de cette ville. Avec ses 125 mètres de côté et ses 300 mètres de long, le filet prend la forme et les dimensions de la … tour Eiffel. Il est exposé ramassé sur un socle et accompagné d’une documentation photographique et vidéographique qui matérialise la réalité de cet étrange objet replié sur lui-même : les étapes de sa fabrication, études et réalisation, les portraits de ceux qui y ont participé la sortie en mer et la pêche effectuée. La pièce est là, telle une bête en sommeil, mystérieuse, énigmatique. Ce principe du croisement des mondes (la logique du réel et la logique de l’art) se confirme ici avant de devenir le principe même de l’ensemble des récifs artificiels. Toutefois, à la différence de Pélagique qui ne se référait qu’à la forme du filet réel, assimilable en cela au ready made, La Tour pélagique, elle, ressortit plus évidemment au régime de la représentation figurative comme image d’un objet culturel attesté, mieux, d’une icône de l’histoire contemporaine des formes architecturales autant que sculpturales, de l’identité collective parisienne et plus largement française. Sa fonctionnalité rabattue, de quelle sorte d’objet artistique s’agit-il ? C’est une sculpture molle et colorée, un amoncellement de traits infinis, fluides et compacts à la fois. Une palette en constitue le socle et l’on songe bien sûr à l’abolition de la hiérarchie socle/sculpture opérée par Constantin Brancusi, à une colonne sans fin ramassée, dans la tension permanente de son possible redéploiement.
Le lien que Nicolas Floc’h entretient avec la mer, hormis le plaisir du bain et du surf, est principalement marqué du sceau du travail : celui du marin pêcheur qu’il fut, celui de l’artiste qu’il est. Ce travail concerne toujours, de près ou de loin, la ressource alimentaire, maillon essentiel et de son rapport au monde et de son activité d’artiste. Ce point de vue a pour conséquence immédiate chez lui la prise de conscience de ce qui constitue une autre des grandes catégories anthropologiques que l’on nommera « habiter », préférant la forme verbale, davantage liée à l’action et au processus ouvert, à la forme nominale de « habitat » qui évoque plutôt un objet constitué voire achevé. En cela, nous suivons les suggestions de Tim Ingold faisant de l’anthropologie une activité non pas documentaire mais transformationnelle. Dans cette perspective, nous envisageons l’œuvre de Nicolas Floc’h comme une action spécifiquement artistique dont le terrain d’exercice est bien le monde, une action de surcroît éminemment politique (comme est politique la vertu « transformationnelle » de l’anthropologie) en ce qu’elle articule à l’esthétique le souci du monde, de sa connaissance et de sa préservation.

Habiter
En 1999 dès l’époque de son séjour à Glasgow, à partir de 1997 et jusqu’en 2000, dans le souci à la fois d’être autonome et mobile, Nicolas Floc’h imagine Habitat (1 et 2) où un kit de mobilier très minimal incluant la possibilité de tables, de sièges, d’étagères, tient dans une caisse de 103 x 53 x 46 cm totalisant un poids de 40 kg, pour Habitat 1, à peine plus grande et plus lourde pour Habitat 2. S’il y a quelque témérité à affirmer que l’art c’est la vie, force est ici de constater que l’art de Nicolas Floc’h s’articule directement sur la vie réelle, dans un va-et-vient constant entre l’usage et l’exposition.
Suivra un ensemble de structures diverses (Structure multifonction de 2000 à 2005 ; Portable art Structures en 1999 qui comprend un Frac Lorraine portable, une Galerie portable, un Musée portable, etc.). Soit à la demande d’un professionnel, soit pour des usages plus ouverts et confiés à des commissaires d’exposition qui en feraient la demande, l’artiste propose un ensemble d’éléments à même de servir de mobilier d’accueil, de librairie, des chaises, des tables, etc.11
Sans entrer dans le détail des usages partagés de ces dispositifs, il convient cependant de suggérer que l’acte d’habiter ne se limite pas, dans le travail de Nicolas Floc’h, à l’élaboration d’architectures ou de pièces de design achevées et figées dans des usages uniques. Au contraire, il se revendique d’une architecture en mouvement, de la conception plotinienne12 d’une architecture sans les murs. Habiter ne se réduit pas ici à la station mais bien à la circulation, à un nomadisme assumé dont la vie même de l’artiste témoigne constamment. À l’opposé de formes vernaculaires par trop limitatives et assignables à un lieu ou à une identité communautaire, les formes minimales et modulaires de Nicolas Floc’h rappellent les projets universalistes du modernisme que le Bauhaus incarna en son temps.
Aux antipodes de ces formes épurées et adaptables, on trouve La Patate chaude, une œuvre produite en 2012 dans le cadre des Nouveaux commanditaires13 et conçue pour servir de vestiaire, de lieu de pause et de repos, de convivialité aussi pour les jardiniers, des maraîchers en formation, dans le cadre d’une réinsertion professionnelle. C’est une architecture organique qu’a choisie l’artiste pour ce projet, une forme qui évoque la pomme de terre. Le lien évident avec la fonction même des jardins où elle se trouve, par son effet tautologique, n’est pas sans rappeler les Écritures productives. L’épure de l’aménagement intérieur, en revanche, s’inscrit bien dans la ligne sobre et minimaliste des structures décrites plus haut. On en conclura que s’il faut chercher une manière, une marque dans les diverses réalisations de Nicolas Floc’h, ce n’est pas dans ce qu’on appelle communément le style qu’on les trouvera. Et pourtant… La question du style reste plus cruciale que jamais et Buffon, qui ne fut pas mauvais jardinier, voyait juste en affirmant que « le style est l’homme même », déclaration vite transformée en « le style, c’est l’homme ». On ne tranchera pas ici la question du style de Nicolas Floc’h sinon pour avancer qu’il convient de le chercher, non pas tant dans la récurrence de formes reconnaissables que dans un mode opératoire quant à leur conception et à leur usage.
La chaîne alimentaire qui, si on l’envisage du point de vue anthropocentrique, aboutit à l’homme, prend sa source bien loin en amont, dans l’ensemble des biotopes et dont la mer n’est pas le moindre. C’est aussi, surtout en ce qui concerne le milieu sous-marin, le plus méconnu. En 2008, Nicolas Floc’h s’engage sur un programme qu’il considère alors sinon comme le projet de sa vie, du moins comme l’un de ceux qui vont durablement structurer son travail : les Récifs artificiels qu’il intègrera à une catégorie plus large, celles des Structures productives.
On sait qu’afin de préserver les ressources halieutiques, éventuellement de les régénérer, il est procédé à l’immersion de récifs artificiels, conçus et construits par les hommes à cet effet et placés au fond des mers, créant ainsi de nouveaux biotopes, végétaux et animaux, susceptibles de fixer les poissons et ainsi de renouveler la ressource. Les Japonais, qui sont passés maîtres dans cet art, en construisent (en bois voire en céramique) depuis le 17ème siècle, mais leur production s’est amplement accélérée dans les années 1950. De dimensions et de formes très diverses, certaines de ces structures peuvent atteindre les 35 mètres de haut et constituer de véritables zones urbaines. Les Japonais sont aussi ceux qui portent la plus grande attention aux formes et à leur réalisation technique où la dimension esthétique est souvent présente. La plupart des récifs, aujourd’hui, sont en béton ou en métal. La durée de visibilité publique de ces objets est très restreinte puisqu’on ne peut les voir que le temps qu’ils passent, posés sur les quais, avant leur immersion. Ils disparaissent ensuite du regard des humains, hormis de celui de quelques rares plongeurs, généralement des scientifiques. La première phase du projet de Nicolas Floc’h fut de documenter ces récifs sous la forme d’un inventaire quasi exhaustif, du moins concernant les grands types. Il en a relevé près de 500 à travers le monde. Après un traitement en 3D, après la confection de moules, l’artiste entreprend de réaliser des maquettes à 1/10ème de chacune de ces formes, dans leur matériau d’origine, principalement en béton. Assurant lui-même l’essentiel des opérations14 , il fabrique donc chaque maquette, faisant de ces répliques des représentations, c’est-à-dire ici des sculptures. Nous y reviendrons. Enfin, au moment où nous écrivons ces lignes et où il continue la production régulière de ces sculptures, il envisage un ultime niveau de réalisation : concevoir lui-même des sculptures, aux dimensions qu’il aura décidées, qu’il immergera ensuite en tant que récifs après leur exposition dans les lieux d’art. La boucle est bouclée. Le savoir architectural mais également écologique de ces récifs artificiels accumulé par Nicolas Floc’h au fil de ces dix dernières années le place à l’interface de l’art et de la science, dans une position qui, au fond, a été celle de nombreux artistes depuis l’aube des productions symboliques.
Habiter fut et reste le souci, non seulement des humains dans leur ensemble, mais aussi de nombreux créateurs, certains ayant fait de cet acte fondamental le cœur même de leur œuvre, qu’on songe aux Demeures d’Étienne-Martin, à la maison de Jean Pierre Raynaud, aux Igloos de Mario Merz, au ventre domestique de Patrick Van Caeckenbergh, aux Homeless Vehicules de Krzysztof Wodiczko, aux habitacles d’Andrea Zittel, à tant d’autres encore ! Mais qui, jusqu’à présent s’était intéressé à cet habitat élargi aux fonds sous-marins, naturels et artificiels, à ces lieux de vie des poissons et de toute la flore subaquatique15  ?
Certes, Nicolas Floc’h n’est pas le premier artiste plongeur ! Dès la fin des années 1960, Peter Hutchinson et Dennis Oppenheim plongent dans les régions de Cape Cod et de Long Island afin d’y installer des œuvres, avant de se rendre aux Caraïbes, sur l’île de Tobago. En 1969, ils présentent le résultat de leurs travaux, pour l’essentiel des photographies et des textes témoignant de performances réalisées sans public, dans l’exposition A Report : Two Ocean Projects, au MoMA. Plus tard, au début des années 1990, Marcel Dinahet place ses sculptures au fond de la mer et des lacs, dans le but de les filmer. Il en tire une série de vidéos qui furent montrées dans de nombreux centres d’art et musées à travers le monde. Mais Dinahet est un sculpteur et c’est en sculpteur qu’il filme sous l’eau, rejouant ses gestes par le truchement de la caméra, la résistance de l’eau remplaçant ici la résistance des matériaux habituels de cette pratique. C’est une œuvre qui marque profondément Nicolas Floc’h, sculpteur tout autant, mais dont le médium est le plus souvent la photographie.
L’attention de l’artiste se porte également sur les habitats naturels qu’il photographie en plongée le long des côtes bretonnes, autour de l’île d’Ouessant par exemple, jusqu’aux implantations coralliennes entre le Japon et Taïwan16 .
Le travail de Nicolas Floc’h, à la fois s’inscrit dans cette histoire17 des artistes en lien avec l’élément aquatique et s’en distingue radicalement. L’artiste français ne réalise pas d’œuvres, au sens habituel du terme, dans cet espace nouvellement exploré. Sortir de la galerie était une préoccupation majeure des land artists, et dans un premier temps, ils conçurent des œuvres à l’échelle du paysage et, de ce fait, non réductibles aux cimaises. L’intervention de Nicolas Floc’h est plutôt d’ordre contemplatif et spéculatif. Tout ce à quoi il s’intéresse en plongeant se trouve déjà là, que ce soit la faune et la flore sous-marines, le paysage aquatique et jusqu’aux récifs artificiels qu’on y a placés mais qui, pour l’instant au moins, ne sont pas de son fait. Mais, plus encore, ce qui caractérise ses plongées, c’est l’expérience. Il s’agit, comme dit Tim Ingold, de « prendre conscience des flux de matières et des flux de sensations dans lesquels les images et les objets prennent forme réciproquement. »18 Ce à quoi l’océanographe Yves Henocque ajoute : « En mer, dans la colonne d’eau, ce flux de matière est palpable, visible, ne serait-ce que sous la forme de chute continue de “neige” faite d’innombrables particules vivantes ou inertes, qui ne cessent de tomber de la surface vers le fond. »19 Et de fait, c’est au cœur de cette expérience, dans un continuum de décisions, d’apprentissages et de gestes, des conclusions qu’il en tire, tant sur le plan écologique que politique, anthropologique que scientifique, artistique évidemment, que se situe l’apport spécifique de Nicolas Floc’h. Ainsi, c’est par l’obtention des brevets de plongée professionnelle qu’il a pu accompagner les scientifiques du Tara20 et ramener de leurs expéditions sous-marines des images étonnamment singulières que seul le regard de l’artiste qu’il est pouvait produire, parce que l’enjeu, pour lui, ne se réduit pas au seul souci de produire des objets, fussent-ils symboliques, mais bien de s’inscrire dans un processus global d’observation et d’infiltration, en un mot, d’immersion.
C’est de la qualité de l’habitat subaquatique que dépend la qualité de nos propres habitats terrestres et a fortiori de notre nourriture, se plaît à rappeler l’artiste ; et en ce qui le concerne, nul doute que l’art, du moins celui qu’il pratique, s’inscrit bien au cœur de préoccupations à première vue exogènes et qui, cependant viennent immanquablement croiser l’impératif catégorique de tout artiste : donner à voir et à comprendre le monde.

Échanger
Si les dimensions de production et d’échange sont déjà très fortement présentes dans « se nourrir »21 et « habiter »22 , elles constituent le cœur de plusieurs projets qui ont émaillé ces quinze dernières années.
Le premier en date, fondateur de ceux qui vont suivre, déjà évoqué dans ce texte, c’est Structure multifonction23 . Il s’agit d’une caisse comprenant principalement des panneaux, des étagères et des tabourets. Ce kit est confié à qui souhaite l’utiliser dans le cadre de projets personnels, et ils furent nombreux ceux-là qui s’approprièrent ce matériel sommaire et modulable à l’infini. Parmi eux, les chorégraphes Emmanuelle Huynh et son laboratoire Hourvari (2001), Rachid Ouramdane, Christian Rizzo, la scénographe Caty Olive, les plasticiens Erwan Mahéo et Damian Ortega, parmi d’autres. Dès 2001 Nicolas Floc’h inscrivait sa pratique au cœur d’échanges avec d’autres, faisant s’interpénétrer des modes opératoires et des univers différents. C’est là que naît cette idée si fondamentale chez lui d’œuvre scénario, qu’il appelle aussi « œuvre partition », manières de procéder qui relèvent tantôt de la mise en scène cinématographique, tantôt de la composition musicale, tantôt d’une position de curateur d’expositions, dans ce souci de poser un cadre et ce risque assumé d’en perdre le contrôle, d’en laisser l’usage à ceux qui acceptent de le prendre en charge : un passeur. Parallèlement aux péripéties des actions se révèle ce qu’on pourrait appeler l’aventure des matériaux et des objets, leur capacité à se recycler, à se reconfigurer au gré des situations auxquelles ils sont soumis. En cela il se positionne très tôt par rapport à une exigence qui ne le quittera plus et qui trouvera son expression la plus récente dans les Récifs artificiels : la conscience aiguë des enjeux liés à ce qu’il manipule.
Ces commentaires sur la Structure multifonction pourraient s’appliquer également à l’un des projets les plus récents de l’artiste, au titre programmatique, Surfer un arbre et dont les premiers éléments d’élaboration prirent la forme d’un workshop au centre d’art Passerelle à Brest en 2016. Nicolas Floc’h y réunit des artistes, des étudiants, des chorégraphes, des designers, tous passionnés de surf24 . La première étape consista à produire des planches de surf à partir d’un tronc d’arbre complet (un red cedar de 5 m de long et de 60 cm de diamètre), sous la supervision du shaper d’alaia Xavier Moulin, alias Xalaia. Les planches réalisées, le groupe s’en est allé les tester sur l’eau. Chacun dispose désormais d’un objet, une planche de surf, qu’il est invité à utiliser à sa guise, qui comme support d’œuvres, qui comme objet de performances, qui de tout autre façon.
Régulièrement des expositions réuniront ces projets évolutifs et modifiables pour chaque occasion. Le cœur de l’arbre devient un banc qui figurera en tant que siège dans chaque lieu de monstration. Un film relate l’ensemble du process.
Dans l’esprit de Surfer un arbre, mais cette fois dans le cadre d’une école d’art25 , Nicolas Floc’h imagine en cet automne 2017, une pièce qu’il intitule La Pierre et qui prend comme point de départ un monolithe de granit de 2 m3. Après en avoir fait couper la base de manière à lui permettre une assise stable, l’ensemble est divisé en 400 cubes de 20 cm de côté et reconstitué par un système de cales. Le jour du vernissage chaque étudiant ou enseignant de l’école est invité à s’approprier un bloc à partir duquel il concevra un projet. L’exposition et la publication à venir réuniront la somme de ces centaines de projets. Une fois encore, la question de l’origine des matériaux est fondamentale, ici le granit à la longue histoire géologique mais aussi culturelle (la tradition de la sculpture bretonne des calvaires, de l’architecture vernaculaire). Ainsi la sculpture comme lieu d’échange, certes produit de la narration en aval, mais également en amont. C’est, par la nature même du matériau dont elle est constituée, une histoire qu’elle porte et cette histoire, aux antipodes des principes modernistes, est bien celle d’une matière jamais déconnectée du monde. L’œuvre, plus que jamais ici, ne saurait se réduire à l’objet et gît bien davantage dans l’ensemble du processus, dans la dimension performative et participative de celui-ci, irréductible à un seul de ses éléments. Ainsi l’artiste se pose en instigateur de récits, les accompagnant tout en laissant libre cours à l’énergie qui les habite, à l’initiative de ceux qui vont poursuivre le déroulement du scénario. Une part de ce qui, dans ce déroulé spatio- temporel, fait art n’est pas appréhendable par le public et seule la valeur d’usage et d’expérimentation en marque la réalité. Si l’on peut considérer que ce faisant, le travail de Nicolas Floc’h échappe assez largement à la réification spectaculaire, il nous semble toutefois qu’il faille se garder d’opérer la fusion avec le flux de la réalité quotidienne, comme l’a parfois suggéré Allan Kaprow26 dont Nicolas Floc’h est un lecteur attentif. De notre point de vue, privilégier le process par rapport au fétichisme de l’objet ne signifie pas qu’on abandonne le dessein de produire des représentations symboliques et qu’au contraire, c’est bien ce process lui-même, ces scénarios comme les appelle l’artiste qui s’érigent ici en objets symboliques. Ce type de projet, cette sorte d’œuvre constituent de ce fait une alternative à la logique de l’économie de l’art et de son marché en se situant davantage dans la perspective du don, à tout le moins d’une prestation somptuaire, de ce que Georges Bataille, lecteur de Marcel Mauss, appelait une « économie de la dépense ». Rien ici de monnayable hormis de modestes honoraires de workshop ou de droits d’exposition. Ce n’est pas sans conséquence quant à la mise en place d’une conception de l’art inséparable d’une réflexion sur les nécessaires changements de pratiques (écologiques autant qu’artistiques) que dictent les bouleversements de l’époque et dont l’un des domaines les plus déterminants est bien celui des échanges. L’une des sources vivantes de cette modification des pratiques collectives, Nicolas Floc’h l’a trouvée dans sa longue fréquentation des gens du spectacle vivant, des chorégraphes en particulier avec lesquels, Emmanuelle Huynh en premier lieu, il a beaucoup collaboré.
Toutefois l’œuvre qui, à nos yeux cristallise le mieux la plupart des caractéristiques de l’échange, tout en les articulant à une approche très particulière de la sculpture (et largement ici dans sa dimension de « sculpture scénario), c’est Le Grand Troc. Deux ouvrages27 consacrés à l’artiste documentent et commentent amplement cette étonnante aventure, débutée à Santiago du Chili, réitérée à Porto Alegre au Brésil puis à Vitry-sur-Seine, dans la banlieue parisienne, entre 2008 et 2015, pour que nous n’ayons pas à nous y arrêter trop longtemps. Nous y renvoyons le lecteur pour plus de précisions. En voici le principe. Soit un groupe social (un quartier, un collège…) et l’artiste. Les membres du groupe, individuellement ou collectivement, expriment des désirs jusque-là impossibles à exaucer : désir d’objets (un véhicule, un ordinateur, un maillot de foot, des outils, une motocyclette, etc.) ou de services (des heures d’infirmière, de chef étoilé…). L’objet (au sens large) du désir est réalisé en bois recyclé ou en divers matériaux de récupération (il s’agit donc d’une sculpture) avec l’aide de l’artiste et cosigné. Il est alors proposé à l’échange contre l’objet réel qu’il représente et qui revient à la personne ou au groupe associé. Un signifiant contre son référent. On aura compris que, dans ce cas précis, l’œuvre, conceptuelle en ce sens, ne se réduit pas à l’objet mais s’étend, comme c’est presque toujours le cas chez cet artiste, à l’ensemble du processus. Si les implications sociales d’une telle action, comme la dimension écologique des Récifs artificiels, ne font aucun doute, c’est bien d’objets symboliques qu’il s’agit, à mi-chemin entre l’œuvre d’art dans son acception occidentale des beaux-arts et certains objets rituels des sociétés traditionnelles. Objets transitionnels (c’est moins l’objet qui compte que ce qu’il permet), c’est autant dans leur valeur d’usage (obtenue) que d’échange (établie) qu’ils se placent, au sein d’une économie du désir et non de la réification monétaire, dans une manière de faire qui est propre à l’artiste tout en s’inscrivant dans des pratiques qui virent le jour à
partir des années 1990 dans ce que Nicolas Bourriaud a théorisé sous le vocable d’esthétique relationnelle. On se souvient de l’humour qui présidait à la vente sur le marché des Produits art. C’est dans un égal décalage, finalement assez subversif, que Nicolas Floc’h place le curseur de l’évaluation, souvent déraisonnable par ailleurs, du prix de l’art au niveau du… hors de prix, c’est- à-dire d’une œuvre arrachée à la logique du marché (de l’art et) replacée au cœur d’un échange réévalué, et rechargée de sa dimension symbolique.

Les catégories de l’art
Paysage (la photographie)
Dans ce qui fut sans doute sa première performance filmée, au titre constitué de la date de sa réalisation, 21 août 1994, la caméra montre en un seul plan séquence un paysage maritime en lente évolution. C’est la marée descendante qui révèle progressivement un rocher, un paysage tout entier avec en son centre un personnage, l’artiste en l’occurrence. Nicolas Floc’h pense que s’il devait refaire cette pièce aujourd’hui, il choisirait la marée montante, dans le contexte anxiogène du réchauffement climatique et de ses conséquences sur la montée du niveau des eaux. Dans tous les cas, il s’agit bien de paysage, de ce paysage dont l’artiste a fait l’une de ses préoccupations premières. Et ce n’est ni exactement le paysage de la tradition des peintres, ni même celui que les artistes du land art ont révélé dans cette tension constante entre la donnée brute et son appréhension sinon sa représentation ; non, le paysage que Nicolas Floc’h donne à voir est certes de l’ordre de la marine, la mer comme sujet et comme matière, comme question, mais c’est un paysage inédit, différent encore de ceux que réalisèrent ses prédécesseurs, Marcel Dinahet en premier lieu. C’est qu’il s’agit bien ici de fonder une nouvelle vision qui comprenne les apparences immédiatement appréhendables, mais qui, de surcroît, intègre à cette visibilité le temps de son inscription, le moment où il est capté en vue de sa représentation, autant que l’époque dont il est le produit et le témoignage, une époque où l’on commence à peine à prendre conscience du fait que « notre monde est un fait végétal avant d’être un fait animal28  ». Les grands paysagistes du 20ème siècle, après le premier Mondrian, après Yves Tanguy et quelques surréalistes, c’est sans doute chez les photographes qu’il faut les chercher. La tradition critique américaine de Robert Adams ou de Lewis Baltz ; la photographie anglaise des années 1980 dont John Davies fut l’un des plus pertinents représentants ; et enfin, ceux-là, Bernd et Hilla Becher, qui se disaient sculpteurs (et ils l’étaient) mais dont les inventaires des derniers vestiges des monuments industriels ressortissaient ô combien à l’essence même du paysage. Si ces artistes sont restés dans l’histoire, c’est parce qu’ils sont parvenus, chacun à sa manière, en inventant le cas échéant les outils nécessaires à cette fin, à capter la spécificité du décor visuel de l’époque. Le paysage maritime a lui aussi sa propre histoire photographique, depuis les vagues mythiques de Gustave Le Gray jusqu’aux images à caractère scientifique dont le Commandant Cousteau fut l’un des plus populaires fournisseurs.
Le paysage qu’élabore Nicolas Floc’h, puisqu’aussi bien il n’est de paysage que construit, c’est celui des zones inconnues, enfouies au fond des océans, urbanisées par les récifs artificiels29 ou non, ces lieux représentés habituellement par les images sophistiquées des magazines de grande diffusion ou par les photographies scientifiques aux couleurs souvent éclatantes du fait de l’usage de cette lumière artificielle que n’utilise jamais Nicolas Floc’h. Ce paysage, c’est peut-être ce que le début de 21ème siècle offre de plus spécifique eu égard à l’état de la planète et aux mutations dont elle est le théâtre autant que l’objet. Le motif corallien, par exemple, est ici à considérer, non pas comme la vision pittoresque des « merveilles du monde », mais plutôt, quand il constitue l’un des aspects des paysages que Nicolas Floc’h compose en plongée lors de la mission Tara Pacifique, comme la marque que le réchauffement climatique en cours imprime aux zones tempérées et tropicales le long du Kuroshio, le « courant noir » (et chaud) qui longe les côtes japonaises des îles du Ryūkyū jusqu’à la latitude de Tokyo. Ces images disent autant du paysage sous- marin en crise que les photographies de John Davies révélaient d’une Angleterre à l’industrie vacillante, toutes deux relevant de dynamiques transformationnelles où l’on passe d’un état à l’autre sans jamais revenir à l’état initial : croissance, accumulation, libération, réorganisation30 . Mais il est une autre caractéristique des paysages produits par Floc’h et qui tient à leur qualité sous-marine, c’est la quasi-abolition de cette distance que, dans la tradition classique (et jusqu’aux Becher), il convenait d’établir entre l’œil et l’objet. Cette distance, en effet, se voit anéantie par l’immersion, par cette matière ambiante, fluide mais épaisse, la colonne d’eau qui happe le corps pour l’intégrer à sa propre masse, en état d’apesanteur. Et c’est pourtant, contre toute attente, dans la résistance à cette fusion (Ulysse défiant les sirènes) que s’élaborent les images si particulières que Nicolas Floc’h extrait des fonds marins, qu’elles concernent les récifs artificiels ou les habitats naturels. C’est vraisemblablement aussi la raison pour laquelle l’artiste utilise en priorité la photographie et non la vidéo, comme s’il s’était méfié d’un médium par trop mimétique, par trop corporel. À propos des plantes, Emanuele Coccia affirme que « l’absence de mains n’est pas un signe de manque, mais plutôt la conséquence d’une immersion sans reste dans la matière même qu’elles façonnent sans cesse31 . » Et n’est-ce pas précisément cet art « sans mains » que permet la photographie, et plus encore quand elle se pratique au cœur d’un environnement à ce point englobant ?

Sculpture
Le constant dialogue entre les formes de l’industrie et la tendance dominante de la sculpture moderne fut l’une des caractéristiques marquantes de l’esthétique visuelle du 20ème siècle. À leur manière, les concepteurs japonais de récifs artificiels œuvraient en sculpteurs, et c’est ce processus que Nicolas Floc’h a poussé jusqu’au bout en réalisant, à l’échelle 1/10ème, des répliques de ces récifs à l’usage du musée. Après quelques tâtonnements quant à leur soclage (autre question qui tarauda la sculpture moderne), l’artiste les présente désormais le plus souvent à même le sol. Outre qu’il s’avère être la meilleure solution plastique, le parti retenu correspond au mode d’installation des récifs dans les fonds marins. Chaque pièce, on l’a dit, est entièrement réalisée par l’artiste qui prend ainsi à contrepied cette tendance actuelle à la délégation des tâches d’usinage, à la « démanuélisation » de la technique, selon le mot d’André Leroi-Gourhan ; et ce faisant, il inscrit son geste de sculpteur dans la logique processuelle de la plongée, qui, toujours, requiert la présence effective du corps et de l’observation humaine, même si cette dernière peut aujourd’hui être prolongée par la robotique sous-marine. Il est trop tôt pour augurer des modalités précises de la production de sculptures inédites qui seront immergées comme récifs artificiels mais il est d’ores et déjà possible de conclure que c’est dans ce va-et-vient entre forme et fonction que réside le nœud du projet de Nicolas Floc’h, dans cette circulation entre formes représentées et formes à l’ouvrage. En cela, il s’inscrit dans une logique de l’échange telle que nous l’avons évoquée plus haut, d’un flux qui prend diverses apparences et dont les objets même varient à l’infini. C’est encore Tim Ingold qui, dans l’ouvrage maintes fois cité, évoque cette pièce de Simon Starling, Infestation Piece (Musselled Moore) qui, à certains égards, entre en résonance avec la part sous-marine du travail de Nicolas Floc’h. En 1953, Henry Moore réalise Warrior with Shield, une sculpture en bronze prolongeant la forme d’un galet trouvé qui évoquait à ses yeux l’idée du moignon d’une jambe amputée. De cette œuvre étrange, fermée sur elle- même comme l’écrit Ingold, et conservée à la Toronto Art Gallery, Starling commande, en 2007, une réplique qu’il immerge dans les eaux voisines du lac Sainte- Claire, riches en plancton mais envahies par des moules zébrées importunément déversées d’une cale de navire russe. Ce « récif artificiel » fut, comme on s’en doute, à son tour colonisé par les moules et c’est, augmenté de cette nouvelle vie, qu’il fut remonté et exposé. C’est bien ce processus de transformation, qui constitue l’une des formes récurrentes de l’échange, et que l’on retrouve dans nombre de leurs œuvres, qui rapproche ces deux artistes de même génération.
Toutefois la sculpture ne se cantonne pas chez Nicolas Floc’h à la formalisation des récifs artificiels. Elle n’a cessé de l’occuper depuis ses premières structures habitables, dans Pélagique et La Tour pélagique, dans Le Grand Troc, mais aussi dans quelques pièces plus récentes, en béton, de forme moins géométrique et qu’il place soit en extérieur soit dans les lieux d’art. Il s’agit là d’études de récifs artificiels dont la forme plus organique, est en partie définie par son potentiel fonctionnement de support biologique. À ce propos, l’artiste accorde une importance toute particulière à ce qu’il appelle « la sculpture comme scénario ». En effet, à l’opposé de ce que Tim Ingold appelle des « œuvres fermées », les pièces de Nicolas Floc’h s’inscrivent dans un processus qui prend sa source dans le choix des matériaux et qui survit largement à la seule élaboration mécanique de l’objet. Chaque œuvre, la Structure multifonction en est l’archétype, se prolonge en effet dans les usages auxquels elle se prête. Ainsi, à chaque nouvelle présentation, la pièce se rejoue (comme une partition musicale), se recycle, prenant ainsi le contrepied critique d’une économie fondée sur l’objet clos et jetable, comme on l’a largement évoqué dans le chapitre « Échanger ».
On l’aura compris, la pratique de la sculpture, dans son domaine élargi, est indissociable chez Nicolas Floc’h des catégories anthropologiques que nous avons évoquées en première partie de cet essai, en premier lieu « se nourrir » et « habiter ». Dans le lien à « se nourrir », il faut mentionner ici un ensemble de pièces dont les plus importantes et les plus spectaculaires dans leur dimension à la fois sculpturale et performative sont les deux versions de Beer Kilometer32 . Tout est parti d’une pièce non réalisée, un projet d’un kilomètre étalon, sur le modèle du mètre étalon de Duchamp qui, comme on sait, consista à lâcher une ficelle tendue qui tombe en zigzag. L’idée de Floc’h était de faire marcher un homme ivre pendant un kilomètre. Au final Beer Kilometer part du Broken Kilometer de Walter de Maria qui est composé de 500 barres en laiton poli de 2 m de longueur placées au sol selon une disposition très rigoureuse. Et puis il y eut cette performance de Jonathan Monk buvant cul sec le contenu d’un verre de bière long d’un mètre. Bref, du mètre au kilomètre, Nicolas Floc’h place au sol et selon un agencement dont l’apparente rigueur évoque Walter de Maria, des lignes de canettes de Heineken (6015 en tout) que le public invité consomma allègrement33 , détruisant ainsi la fière ordonnance minimaliste. Grandeur et misère de la sculpture ! Et preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de ce fond d’humour qui parcourt l’œuvre de l’artiste et que l’on retrouve dans Untitled Barbecue, des barbecues, comme le titre l’indique, conçus à l’image des Specific Objects de Donald Judd et dont la version en cuivre fut réalisée au Chili dans la suite du Grand Troc. Il arrive parfois que la sculpture nourrisse son homme…

Peinture
Quoi qu’on dise de son état et de son développement actuels, des formes sous lesquelles elle apparaît ou se dissimule, la peinture reste l’horizon, peut-être indépassable, de l’art, certes du 20ème siècle, mais de ce début du 21ème tout autant. Poursuivant avec constance son histoire spécifique quoique de plus en plus chahutée par le développement parallèle des innombrables manières de faire de l’art, la peinture, comme d’ailleurs la sculpture, a élargi son domaine, pratique autant qu’épistémologique. C’est sans doute à cette catégorie d’une « peinture sans tubes et sans pinceaux », tel que le nouveau réaliste Gérard Deschamps qualifie la sienne, qu’appartient cette part essentielle de l’œuvre de Nicolas Floc’h. « Sans tubes » ? Voire ! Entre 2000 et 2004 puis en 201434 en effet, l’artiste demande à quelques-un(e)s de ses collègues de lui confier une peinture qu’ils (elles) ne montrent plus. La toile est grattée, la couche récupérée puis dissoute en une pâte injectée dans un tube étiqueté au nom de l’artiste. Ainsi sont exposés, des tubes de Peintures recyclées de Julie Robert, Neal Beggs, Bertrand Lavier, François Morellet, Noël Dolla, Yan Pei-Ming, Saâdane Afif, François Curlet, parmi d’autres. Échange et transformation, une fois encore. L’idée de la peinture, sa présence comme fond d’écran, une sorte d’obsession.
Il y eut aussi les différents Camouflages, les Fashion Paintings, différentes performances enregistrées en vidéos35 , toutes tentatives en vue d’aborder la peinture par différents biais dont celui de sa visibilité et de sa dissémination. Il y eut encore Performance Painting #4 (2006)36 comprenant quatre tapis de sol sur lesquels ont travaillé les danseurs du Centre national de la danse contemporaine d’Angers, dirigé alors par Emmanuelle Huynh. Les tapis, accrochés verticalement au mur, se présentent sous la forme de monochromes noirs, sur lesquels on ne trouvera pas les subtils tracés d’Ad Reinhardt, mais les marques organiques, quasi lyriques, de corps en mouvement, de corps au travail.
A priori, c’est moins en tant que strict médium que Nicolas Floc’h se pose la question de la peinture que comme un concept susceptible de rendre compte d’une vision du monde. Ce qu’on appelait au 17ème siècle la « peinture d’histoire », et dont de nombreux artistes contemporains ont produit des modalités actualisées et très convaincantes, ne suffit pas ici à caractériser l’entreprise de Nicolas Floc’h. Nous lui emprunterons cependant sa capacité, précisément, à raconter des histoires, à révéler la teneur de l’époque. Ce que par le truchement du concept de peinture l’artiste cherche à établir c’est ni plus ni moins ce qu’on pourrait appeler, en plagiant Pierre Henry et Michel Colombier37 , une « peinture pour le temps présent ». Une peinture qui, par ses moyens propres, prenne en compte l’état du monde, les menaces qui planent sur lui, la sorte de guerre qui le détruit peu à peu, les engagements qu’il convient d’opposer aux périls, ce que Hans Jonas appelle « une éthique du futur ».
Et par-dessus tout, la peinture, chez Nicolas Floc’h, est indéfectiblement liée à la mer. Nous avons mentionné, au début de cet essai, l’une des premières œuvres de l’artiste, Peinture (1993) qui, nonobstant la présence ironique des deux poissons rouges, disait à la fois sa fascination pour la mer comme monochrome et son admiration pour Yves Klein. « Depuis cette pièce et jusqu’à mes recherches actuelles sur le plancton, je suis obsédé par le monochrome. »38 Nous touchons ici un point essentiel du travail de Nicolas Floc’h autant que de son extrême cohérence. Nous aimerions à présent tenter de décrire ce qu’on pourrait appeler une « peinture monde » et qui constitue peut-être le point de synthèse de l’ensemble de l’œuvre.
La première sensation du jeune artiste, qui sommeillait déjà dans le marin pêcheur39 fut en effet une sensation de peintre face à l’étendue et face à la couleur : la scène primitive, la constitution de l’archétype. Ce rapport à la mer va trouver un nouveau souffle en 2008 quand Floc’h débute son travail sur les récifs artificiels, indissociable d’une violente prise de conscience
des enjeux écologiques liés à la pêche et au biotope subaquatique.
« Ce qu’il y a d’intéressant dans l’usage que je ferai des cyanobactéries pour l’exposition du Frac Bretagne, c’est qu’il s’agit là des origines de la vie. Il y a 3,5 milliards d’années, la terre n’était pas habitable, c’était une soupe primitive, sans atmosphère, l’air était chargé de dioxyde de carbone. Une première bactérie s’y développe (anaérobique) qui peut vivre sans oxygène et qui, très vite, a muté en synthétisant la chlorophylle, avec l’aide de l’énergie solaire : sa nourriture devient le dioxyde de carbone et son rejet, l’oxygène. En 1,5 milliards d’années, ce phytoplancton a généré l’atmosphère en faisant passer le taux d’oxygène de 0,1 à 20%, son taux actuel : rendant vivable l’espace terrestre pour toutes sortes d’espèces végétales et animales. C’est la production primaire, et c’est le maillon à la base de la chaine alimentaire. Cette micro algue, c’est la première plante et c’est notre ancêtre. Tout le vivant découle de là. »
Glaz est le titre de l’exposition de l’artiste au Frac Bretagne40 et l’occasion de la publication de cette monographie. Glaz est un adjectif breton qui signifie tantôt vert, tantôt bleu, comme si la présence d’une luxuriante végétation bocagère, d’une mer capricieuse mêlée à un ciel changeant avait empêché toute décision tranchée quant à la couleur des étendues et des épaisseurs paysagères. Mais l’indécision du vocabulaire ne témoigne nullement d’une équivalente hésitation de la nature, plutôt d’une subtile complexité d’ordre phénoménologique où la chose regardée le dispute à l’œil, si ce n’est au vagabondage des humeurs et des dispositions intimes. Glaz sera donc la couleur du monochrome qui obsède tant Nicolas Floc’h, une « couleur productive » qui recouvre les murs de la salle d’exposition, obtenue, par un principe de bioréacteur, d’une cyanobactérie qu’on appelle « algue bleue »41 . Ainsi, au terme non pas d’un simple processus, mais d’une démarche globale enclenchée depuis des années, la boucle, sur ce plan au moins, est bouclée. Le phytoplancton, base de toute vie42 , produit sa propre représentation, comme si l’on était parvenu ici à appliquer l’idée du ready-made à cette matière qui est à la fois l’objet vivant et son appréhension visuelle sous la forme d’un objet symbolique qu’on appelle une peinture, au stade commun de l’histoire de l’art et de l’histoire du monde où nous sommes parvenus. Une peinture monde.

  1. International Klein Blue. L’œuvre du Chantier d’artistes.
  2. Espace Graslin, nouveau réaliste le marque très tôt. CRDP, Nantes.
  3. Magiciens de la terre. Commissaire : Jean-Hubert Martin. 18 mai-14 août 1989. Musée National d’Art Moderne- Centre Georges Pompidou et la grande Halle de la Villette. Paris.
  4. Tim Ingold. Faire. Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture. Éditions Dehors. 2017.
  5. Ingold. op. cit.
  6. Ingold. op. cit.
  7. Si la plongée est chez lui une pratique ancienne qui remonte à l’enfance, il s’initiera à la plongée bouteille dans le cadre de son projet lié aux récifs artificiels.
  8. Cette synthèse constitue une réponse jubilatoire à l’approche analytique de Joseph Kosuth qui, par exemple, décompose le concept de « chaise » en la définition du terme, sa représentation photographique et l’objet réel.
  9. Les filets pélagiques, destinés à pêcher les poissons du même nom, c’est-à-dire vivant entre deux eaux, sont de dimensions variables. Les plus grands nécessitent d’être trainés par deux bateaux.
  10. Valeurs croisées. Commissaire Raphaële Jeune. Les Ateliers de Rennes. Biennale d’art contemporain. Pour la description de La Tour pélagique, voir le catalogue Valeurs croisées. Les Presses du réel. 2008.
  11. L’ensemble de ces dispositifs est précisément décrit par l’artiste lui-même dans In Other Words, le premier ouvrage sur l’œuvre de Nicolas Floc’h, également publié chez Roma Publications et auquel nous renvoyons le lecteur. Cette question de la multifonction, c’est aussi celle de la performance et, plus largement, de la dimension performative du travail de Nicolas Floc’h sur laquelle nous revenons dans le chapitre intitulé « Échanger ».
  12. « L’architecture, c’est ce qui reste une fois qu’on a enlevé les murs.» Plotin.
  13. Le directeur d’EPI (Entreprise Pour la Réinsertion), des encadrants sociaux et un groupe de jardiniers se sont constitués « nouveaux commanditaires » et, par l’intermédiaire d’Anastasia Makridou-Bretonneau (médiatrice à la Fondation de France), se sont adressé à Nicolas Floc’h pour la création d’un local professionnel au Jardin du Breil, à la périphérie rennaise.
  14. Dans les périodes d’intense production, il se fait toutefois aider par des assistants.
  15. Il convient toutefois de mentionner, quand bien même il n’est pas à ranger dans la stricte catégorie des artistes plasticiens, l’architecte océanographe Jacques Rougerie (1945), concepteur de nombreux habitats subaquatiques ou plus généralement liés à la mer, à sa connaissance et à sa défense.
  16. 16 Au printemps 2017, Nicolas Floc’h a participé à une mission scientifique sur le Tara.
  17. Comment ne pas songer à ces mots de Peter Hutchinson : « Quand je vole et je plonge, je pense beaucoup aux pressions différentes, aux changements de température, aux systèmes météo et même aux galaxies. Il faut savoir que des petites variations de température et un début de pression peuvent provoquer des événements qui débouchent sur des changements énormes. L’image de l’artiste comme catalyseur, centre ou tourbillon me vient alors à l’esprit. L’artiste, l’environnement, le collectionneur, le musée, le public – tous chargés de manière partielle – sont entraînés dans un système et stimulés par une action assez petite de la part de l’artiste. On sait que d’infimes vagues, causées en fait par des différences entre les éléments ou leur concentration, peuvent déboucher sur la formation d’étoiles, de systèmes planétaires et même de galaxies. C’est la raison pour laquelle il est préférable d’appréhender le travail, du moins celui de certains artistes, en fonction du temps et de la position, concentration des choses et des événements qui entourent leur vie plutôt que de le classer par sujet, technique ou mouvement. Les artistes intègrent tout ce qui les entoure dans leur tour- billon ou leur orbite qu’ils modifient à travers l’énergie qu’ils produisent ». « La Grande Expédition de 1975 aux Caraïbes », in Dissoudre les nuages, Genève, MAMCO, 2014.
  18. Ingold. op. cit.
  19. Yves Henocque. Conversation avec l’auteur. Juillet 2017.
  20. « La goélette scientifique Tara a quitté son port d’attache de Lorient le 28 mai 2016 pour sillonner l’océan Pacifique sur plus de 100 000 km pendant plus de deux ans. Avec à son bord une équipe scientifique interdis- ciplinaire coordonnée par le CNRS et le Centre Scientifique de Monaco (CSM), l’objectif est d’ausculter de manière inédite la biodiversité des récifs coralliens et leur évolution face au changement climatique et aux pressions anthropiques. » Extrait du site annonce de Tara Pacific.
  21. L’ensemble des Écritures productives s’inscrit bien évidemment dans cette dimension d’échange, comme plus tard et selon d’autres modalités, les Peintures recyclées.
  22. Sont, à divers degrés, soumis aux processus de l’échange, l’ensemble des structures dites « portables », la Structure multifonction comme les Récifs artificiels, entre autres.
  23. La Structure multifonction, comme nous l’avons déjà signalé, est décrite avec précision dans In Other Words. op. cit.
  24. Avec le shaper d’alaia Xavier Moulin alias Xalaia et Laurie Peschier-Pimont, Gabriel Haberland, Benoît- Marie Moriceau, Edgar Flauw, Anaïs Touchot, Laurence Perrillat, Antoine Dorotte, Eva Taulois, Margaux Germain, Martin Bachelier, Corentin Vitre, Leila Rose Willis, Esteban Richard, Nils Guadagnin, Édouard Prulhière, Thomas Petitjean, Paul Bienvault, Jérôme Robbe, Passerelle Centre d’art contemporain, Paul Bienvault, Mathis Berchery.
  25. Enseignant à l’EESAB (École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne), c’est principalement sur le site de Rennes, auquel il est rattaché, qu’il développe son projet, celui-ci étant potentiellement ouvert à l’ensemble des autres sites.
  26. Allan Kaprow. L’Art et la vie confondus, éditions du Centre Georges Pompidou, Paris, 1996. Textes réunis par Jeff Kelley et traduits par Jacques Donguy.
  27. Trois commandes. Nicolas Floc’h. Société des Nouveaux comman- ditaires/Les Presses du réel. Dijon. 2015 Le Grand Troc. Nicolas Floc’h. Édition 2015. MAC/VAL. 2015.
  28. Emanuele Coccia. La vie des plantes. Une métaphysique du mélange. Bibliothèque Rivages. 2016.
  29. Difficile de ne pas songer au programme des Becher et, toutes différences stylistiques affirmées, quand on regarde l’architecture des récifs artificiels photographiés par Nicolas Floc’h.
  30. Voir, dans le présent ouvrage, article d’Yves Henocque évoquant le « chan- gement adaptatif » de l’écologue C.S Holling.
  31. Coccia, op. cit.
  32. Beer Kilometer. 6 août 2004. W139, Loods 6, Amsterdam. Puis la même année à Santiago du Chili, jour de la fête nationale.
  33. On ne parvient pas toutefois à les écluser toutes !
  34. À Nice, avec des peintures d’artistes niçois : Noël Dolla, Pascal Pinaud, Pascal Broccolichi, Aïcha Hamu, Sandra D. Lecoq.
  35. La plupart de ces ensembles sont documentées dans l’ouvrage In Other Words. Roma Publications. 2005.
  36. Performance Painting #4. 2006. Quatre tapis de danse tendus sur châssis. 125 x 800 cm chacun. Collection du MAC/VAL, Vitry-sur-Seine.
  37. Messe pour le temps présent. Commande de Maurice Béjart à Pierre Henry et Michel Colombier pour la création chorégraphique du même titre au festival d’Avignon en 1967.
  38. Toutes les citations de l’artiste sont extraites d’entretiens avec l’auteur réalisés entre 2012 et 2017.
  39. Cette expérience de pêcheur ne peut cependant pas être dissociée d’une pratique très précoce, dès 9-10 ans, de la plongée en apnée. Sa fascination pour la masse d’eau en tant que couleur date de cette époque.
  40. Glaz. Frac Bretagne, Rennes. Du 15 septembre au 26 novembre 2017.
  41. Cette cyanobactérie contient en effet un pigment bleu, mais qui, à l’état vivant, apparaît vert.
  42. 42 Nous ne citons volontairement pas les bactéries des sources hydrothermales capables de tirer leur énergie de la ‘chimiosynthèse’ car cela nous entraînerait dans des profondeurs totalement obscures que Nicolas Floc’h ne pratique pas.