Marcel
Dinahet

19.09.2024

L’expérience de la frontière

Avant-propos de Catherine Elkar pour le catalogue produit par le frac Bretagne en 2019 lors de l’exposition ‘’Sous le vent’’
Catherine Elkar

Commençons par un « commencement », un double geste d’une radicalité inouïe : couler ses sculptures, puis les filmer. Quand en 1990 Marcel Dinahet décide de plonger ses sculptures dans la mer, c’est comme une destruction, un « enfouissement » dans l’immensité, c’est faire d’elles des épaves. Décider ensuite d’aller les observer comme le ferait un scientifique à l’aide de la vidéo –non pas l’outil léger et sophistiqué d’aujourd’hui mais celui de l’époque, encombrant et rudimentaire, équivaut à leur donner une deuxième chance, une nouvelle vie, une forme de renaissance.

Il est alors l’unique spectateur de ses œuvres qu’il va bientôt abandonner à l’entropie des fonds marins. Son attention est captée désormais par le milieu qui les a englouties, un milieu changeant, mouvant, dont on ne peut jamais réellement cerner les contours. Est-ce pour cela que l’une des premières œuvres emblématiques de Marcel Dinahet, Les Finistères (1996-1999), consiste à éprouver les huit pointes les plus avancées de la façade atlantique ? Est-ce dans la quête d’une frontière qu’il imagine Flottaisons (2000) dont le dispositif séminal, placer la caméra à la ligne de flottaison, définit un champ de vision inédit (celui de certains animaux marins ?) et permet de considérer dans un même espace-temps le dessous et le dessus, le visible et l’invisible ? De l’ensemble d’œuvres qui s’ensuit, le livre Marcel Dinahet 1990-2010 (Lienart éditions, 2010), rendait compte avec précision tout en dessinant une géographie, celle des nombreux déplacements de l’artiste mais aussi de ses avancées dans un champ de plus en plus performatif, dont la collaboration avec les danseurs des Danseurs immobiles (2006) donne la mesure.

Le présent ouvrage accompagne Marcel Dinahet Sous le vent au Frac Bretagne (14 juin-3 novembre 2019), une exposition qui fait le point sur le travail récent de l’artiste. Il s’y fait jour une présence affirmée du corps dans les œuvres vidéo mais aussi, de manière plus imprévue, dans un grand nombre de dessins de différents formats exécutés à la gouache noire tant par la main que par …les pieds dans un élan, un engagement physique total. Il semble que le même mouvement y soit à l’œuvre : les films tendent à réduire la distance entre le corps de l’artiste et le paysage au sens large, l’eau, les sols, et même l’air et la lumière, pour s’approcher de l’élémentaire, l’essentiel : les dessins transcrivent, sans caméra, une même énergie.

Les expéditions partagées avec le collectif Suspended spaces, dont l’exposition porte témoignage, tout comme l’investissement de Marcel Dinahet en faveur des résidences d’artistes au Sémaphore de l’Île d’Ouessant, soulignent l’importance pour lui de la relation à l’autre dont se souviennent nombre de ses étudiants de l’école d’art de Rennes. Tous ces traits, et d’autres encore, transparaissent au fil du livre. Dans un texte de fond, Maraudeur, Jean-Marc Huitorel met en perspective les développements de la dernière décennie, Tanguy Viel brosse un beau portrait de l’artiste auquel le relie un fort lien maritime. Sophie Kaplan rend hommage au raconteur d’histoires qu’elle voit en Marcel Dinahet. Françoise Parfait, complice de Suspended spaces, prolonge son analyse de l’œuvre vidéo tandis que Dominique Abensour, en fine connaisseuse des films, en retrace la généalogie. Qu’ils soient remerciés ici pour leurs contributions talentueuses, de même que, pour l’œuvre modeste et immense qui les a suscitées, Marcel Dinahet.

Catherine Elkar