Yuna
Amand

27.06.2023

Yuna Amand, le dessin fondamental

Maud Le Garzic Vieira Contim, 2012

Suite à la résidence qu’elle a effectuée à l’aparté, Yuna Amand présente ce que l’on peut appeler une étape dans sa démarche, au sens où l’installation en extérieur et l’exposition créent ensemble un cheminement qui permet de poser un nouveau regard sur son travail en y décelant une évolution qui fait sens d’un point de vue global.

L’installation _Ducks and Drakes1 , présentée dans la cour de l’Hôtel de Montfort Communauté, visible de la rue quand le soir tombe, est un nouvel accrochage d’une pièce produite en 2010. Dans la version présentée ici, 4 îlots de néons composés de 14 cercles imbriqués sont disposés sur un tapis herbeux, lequel crée comme une étendue d’eau. La circulation de la lumière dans les cercles représente la propagation d’une onde, en l’occurrence aquatique, mais évoquant le phénomène ondulatoire en général. À Lorient, il s’agissait de l’onde du ricochet (et par suggestion celle des bombes passées2 ), à Montfort-sur-Meu, sans eau ni son, nous voyons des gouttes tomber dans un bassin. Le titre très imagé de la pièce exprime différents niveaux de figuration, l’expression anglaise désignant le ricochet lui-même mais aussi la poursuite inexorable des choses qui s’ensuivent les unes des autres, comme des dominos qui se renversent à l’infini pour maintenir l’équilibre du tout. Et c’est cette idée générale, via l’exemple métonymique de l’onde, apparentée à la théorie du chaos, qui permet à cette oeuvre de relier d’un point de vue tant formel que du sens l’exposition de l’aparté aux travaux plus anciens de l’artiste.

La lumière dessine, la plasticité du néon apportant sa beauté liquide. Ducks and Drakes, immersion dans un contexte sensoriel, suscite une impression quasi hypnotique de calme, un plaisir tel que celui ressenti devant de l’eau réelle qui s’écoule ou qui ondoie. On croit presque entendre le son et voir une surface miroitante. La lumière crée l’illusion de l’eau, la vue l’illusion du son. L’impact synesthésique rappelle celui d’Ondulation (2002), « sculpture temporelle » de The User3 , mais va au-delà, dans la mesure où, même en l’absence de son réel, « on a l’impression de voir le son et d’entendre l’image »4 . Avec Ducks and Drakes, Yuna Amand sort toutefois l’immersion synesthésique d’une perspective strictement naturaliste ou hyperréaliste, convoquant le pouvoir représentationnel du dessin et l’épaisseur du signifiant pour évoquer des questions générales (la causalité, l’écoulement du temps, l’équilibre dans la nature…) à partir de la représentation d’un phénomène physique particulier.

Il s’agit-là d’une évolution de sa démarche. Yuna Amand a l’habitude de mettre en scène des phénomènes physiques courants, souvent sources d’émotions et supports d’imaginaire, mais qui ne nous sont pas accessibles à l’échelle 1 ou bien qui passent inaperçus dans ce qu’ils sont. Ce que l’artiste élabore, ce sont des dispositifs d’images, de volumes et de sons faisant entrer le visiteur dans un environnement, lui permettant d’assister d’une autre manière à ces événements : les nuées d’étourneaux allant au dortoir, le mouvement de la canopée des arbres, l’onde d’un tremblement de terre, l’onde d’une bombe ou d’un ricochet… Elle place des phénomènes physiques dans un contexte quotidien – de monstration artistique qui plus est – en créant les circonstances d’une expérience directe d’un nouveau genre, d’une vraie fausse accointance, et produit de ce fait une réalité augmentée accroissant le pouvoir de nos sens. Yuna Amand ramène les phénomènes à notre mesure et en établit des paysages. (…)

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Maud Le Garzic Vieira Contim
agrégée de philosophie et chargée de mission en art contemporain

  1. Collection du Fonds départemental d’art contemporain d’Ille-et-Vilaine.
  2. Installation dans la chambre d’éclatement de la base sous-marine bloc K3 destinée à amortir l’impact des bombes.
  3. Dans le cas d’Ondulation (2002), présentée à la biennale Estuaires en 2007, il ne s’agit pas d’un dessin de lumière qui, en représentant une onde aquatique, nous fait croire à un son d’eau, mais de la production de l’onde aquatique par une onde sonore réelle, l’eau étant un contexte physique qui réagit à l’onde acoustique.
  4. Jacques Perron, Fondation Daniel Langlois, 2005, à propos d’Ondulation.