Thomas
Tudoux

MÀJ . 20.03.2024

TEMPS PLEIN

Charlotte Baeta & Thomas Tudoux, 2016

À travers une démarche artistique multiforme, Thomas Tudoux nous invite à poser un regard distancié sur notre époque hyperactive. Pour sa première exposition personnelle à la galerie melanie Rio l’artiste s’appuie sur l’hypothèse développée par certains sociologues de l’efficacité comme valeur première de notre époque. Cette idée suppose que l’efficacité remplace la promesse religieuse de la vie éternelle, en nous offrant de consommer l’éternité à l’intérieure d’une seule existence. Une vie réussie serait alors une vie à TEMPS PLEIN où la multiplication des expériences et l’accélération de nos rythmes de vie nous permettraient d’épuiser les possibles.
L’exposition qui se déploie sur l’ensemble de la galerie se découpe en trois chapitres PASSE-TEMPS, TEMPS ACCÉLÉRÉ et enfin TEMPS MORT.

Chapitre 1 : PASSE-TEMPS
Sous couvert d’une présentation administrative de résultats, Rythme nous dévoile le récit de rythmes de vies au sein d’un service de psychiatrie. Toutes ces données ne sont pas là pour être analysées mais pour raconter et proposer à travers la description de cette halte imposée une réflexion en creux sur ce qu’on veut faire de notre temps, ce qu’on peut en faire et finalement ce qu’on en fait.
En effet, il semble exister une hiérarchisation tacitement partagée du bon usage de son temps, des temps “utiles” et des temps “perdus”. À ce sujet, dans la vidéo Fait néant le travail prend du temps, visualise le temps et remplit le temps. La distinction entre travail aliéné et travail libérateur se perd dans ce geste infini qui nous renvoie à la fois au labeur rationalisé et aux activités ascétiques en transformant ce compteur en chapelet du culte fictionnel d’un Chronos contemporain.

Chapitre 2: TEMPS ACCÉLÉRÉ
C’est justement de ce culte de la performance dont il est question dans le second chapitre où Thomas Tudoux nous convie à porter un regard rétrospectif pour interroger - justement - notre fuite en avant. À travers des travaux se référant à la fois à l’histoire de l’art (objet archéologique, gravure morale, architecture) et à la culture populaire (boisson énergisante, Formule 1, science-fiction), l’artiste nous présente une série d’œuvres qui constituent les vestiges archéologiques de nos temps présents. Dans un pied de nez aux Futuristes - qui souhaitaient brûler bibliothèques et musées pour accélérer toujours plus la course vers le progrès - le recul historique est envisagé ici comme la possibilité d’un recul critique vis-à-vis de ces prétendues valeurs.

Chapitre 3 : TEMPS MORT
Dans un monde sans temps mort, où l’idéal est une vie sans pause, la place laissée au repos est plus que jamais primordiale : c’est donc l’objet du dernier chapitre de l’exposition. Les Complexes de décubitus, nous proposent tout d’abord une étude de la chambre du lit et du dormeur qui l’habite, ce dernier après un repos effroyable puisque interdit retrouve la sérénité quand le réveil retentit.
D’ailleurs, nos rêves et notre imaginaire que l’on pourrait croire être les seuls espaces indemnes de la frénésie ambiante, nous sont présentés eux aussi malmenés par cet impératif d’efficacité. En effet, créé à partir d’un corpus d’affiches publicitaires qui ont la particularité de présenter une certaine image de l’hyperactivité tout en évoquant les montages des Surréalistes, les dessins de la série Insomnie qui émaillent l’exposition semblent nous dévoiler notre inconscient collectif hypermoderne.

24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, dans nos activités, à la maison, dans nos têtes et dans nos cœurs le TEMPS présenté dans cette exposition par Thomas Tudoux est donc bien PLEIN. Mais chacune de ses propositions plastiques est comme une entaille au verni de rationalité dont notre société du TEMPS PLEIN se pare et chaque rayure, chaque accroc nous permet d’imaginer que l’accélération n’est sans doute pas la seule stratégie viable pour réconcilier le temps du monde et le temps de la vie.
Charlotte Baeta & Thomas Tudoux, 2016 Texte écrit à l’occasion de l’exposition Temps plein à la Galerie melanie Rio, Nantes