Nikolas
Fouré

04.08.2022

Nikolas Fouré

Jean-Michel Frodon, 2010

Chaque matin en se levant, il couvre une feuille de papier de traits au stylo bille bleu. « Depuis le temps », comme on dit, il a ainsi des centaines de rectangles d’azur, tous de même taille, tous différents. Lorsque l’occasion s’en présente, il en assemble un certain nombre, selon un certain ordre – ou un certain désordre. Chaque petit papier est morceau de ciel, fragment d’œuvre, gribouillage, trace unique d’un rituel immuable, feuille de bleu. Lorsqu’il dit « je m’intéresse aux valeurs de la répétition », il faut y entendre le pari sur les effets du même qui jamais ne sera vraiment le même, mais aussi « valeurs » au sens de « valeurs chromatiques ». Quelque chose de la nuance à l’unisson de la mise en place de dispositifs, qui furent installations, accrochages, performance, assemblages d’objets de récupération. Toujours le produit d’une fabrication, et qui se revendique telle.
Nikolas Fouré est un fabricant. Sans doute son principal outil est dans sa tête, mais son activité n’en est pas moins concrète, matérielle. L’idée de vanité, au sens de la peinture classique, devient cache solaire, le génome est en inox, le voyage est une acrobatie photographique, cul par dessus tête.
Dans le travail de Nikolas Fouré, inventeur du lumineux Yaourt Light, dresseur de cubes en bois, tous les matériaux sont nobles, tous les incidents sont porteurs de sens. Les objets du quotidien, meuble de rangement, table ou siège, sont de plain-pied avec la haute technique, le virtuel est une occurrence du matériel, les planches de contreplaqué, de stratifié, d’aggloméré, de formica et de plexiglas sont les déclinaisons d’un langage codé, connecté à l’arrivée espérée ou redoutée mais toujours possible de l’événement.
Au Louvre, chez Apple Expo ou chez Leroy Merlin, Nikolas Fouré s’approvisionne non seulement en objets mais en formes – qui peuvent aussi surgir d’un plafond de rencontre, orné d’une moulure mémorable, ou devenir purs fantômes, dans le théâtre en deux dimensions des impressions en blanc sur papier blanc. Ses œuvres attirent d’abord l’œil pour quelque raison incongrue, quelque idée surprenante, attrayante, déroutante. Mais si cette approche est bien partie prenante de son travail, elle est aussi la main tendue pour inviter à aller à la rencontre d’une étrangeté plus secrète, plus instable, plus intime. Souvent, ce sont des rythmes qui en portent la sensation, le rapport au temps infuse le jeu infinitésimal entre matérialité et imaginaire, réel et fiction. Il est le carburant pour voyager sur cette frontière ténue et pourtant là, qui sépare ou traverse les objets industriels, de consommation, réapproprié par la mise en scène du geste d’art qui est, en définitive, ce que « fabrique » véritablement Nikolas Fouré.

Jean-Michel Frodon, 2010
Texte paru dans la plaquette éditée à l’occasion du 55ème Salon de Montrouge