Jean-Philippe Lemée, tout l'œuvre peint, presque
Vouloir embrasser en un seul volume, aussi conséquent fût-il, l’œuvre de Jean-Philippe Lemée dans toute sa profondeur et sa profusion relève naturellement du rêve inaccessible. L’artiste, qui n’a fixé aucune limite à sa réflexion sur l’art, faisant resurgir avec autant de naturel la faune des grottes ornées que les placides effigies de Louis XVI ou de la Marilyn warholienne, se prête difficilement à l’exercice du catalogue « raisonné ».
… Les séries récentes permettent de mesurer l’approfondissement d’une recherche qui, contrairement à ce que, dans sa pudeur, elle pourrait laisser croire, n’est pas simplement une spéculation formaliste sur l’histoire de l’art. C’est bien plutôt une interrogation existentielle où l’artiste se confond avec le quidam à la recherche de sa place dans un univers dominé par des modèles écrasants. Génies de la peinture (Picasso et Lichtenstein superposés dans Roy, Pablo et les Autres), chefs d’États et top models sont les derniers objets passés à la moulinette leméienne. À leur inébranlable assurance répond le trait maladroit des apprentis dessinateurs, traditionnellement associés au processus collectif mis au point par l’artiste il y a maintenant quinze ans. Certitude contre naïveté, estampille contre anonymat. Tout tremble comme sous l’effet de la rencontre entre des corps incompatibles. Les tableaux sont inquiétants mais portent, dans leurs sourires hésitants, dans leurs jolis motifs remis à la portée de tous, cet idéal d’union fraternelle qui est l’une des clefs de l’œuvre et qui s’exprime parfois ouvertement, ainsi dans l’improbable Hymne à l’art contemporain, où le chanteur Lemée est filmé par Yves Trémorin. Est-ce donc de l’espoir qu’il faut voir dans le regard porté sur les présidents du « G2 », qu’il a effectivement rencontrés furtivement à Sainte-Mère-l’Église ?… Les Copies sur Modèles, qui marquent un renouvellement de procédé puisque les croquis anonymes retravaillés sont superposés aux photographies de leurs modèles (de mode), sont à la fois les images les plus brutales et les plus affectueuses. Quelque part entre Picabia et le cadeau de fête des mères, elles dérangent tout particulièrement.
Laurent Salomé, Extraits du texte Jean-Philippe Lemée, tout l’œuvre peint, presque, in « Semaine » n°8, 2004