Eva
Taulois

01.07.2022
Marie Cozette, 2014

Tout en puisant dans un vocabulaire formel minimal, sériel, issu de l’abstraction géométrique, le travail d’Eva Taulois s’inscrit dans un réseau plus large de références qui mêle tout aussi bien l’architecture, les vêtements traditionnels bretons, l’art du patchwork, le design industriel…

Ainsi, dans le cadre d’une résidence à Pont-Aven en 2010, Eva Taulois réactive un savoir-faire lié au repassage et à l’amidonnage de coiffes bretonnes et le transpose dans des formes sculptées, thermoformées ou modelées selon les gestes centenaires des repasseuses. En remettant en circulation une technique éprouvée par le temps, mais au bord de l’oubli, l’artiste s’inscrit subrepticement dans une longue chaîne de répétition des gestes du travail, et réconcilie l’art, l’artisanat et l’industrie.

Une de ses oeuvres les plus récentes (Trust Fabrics, 2013) consiste en de somptueux patchworks de tissus monochromes cousus les uns aux autres, dont les motifs sont directement inspirés du wax africain. Si elle copie ces motifs, c’est parce qu’ils s’inscrivent là encore dans une histoire de transmissions et d’appropriations techniques et culturelles. En effet le wax vendu en Afrique est produit par la Hollande, qui a ramené de ses conquêtes coloniales en Indonésie cet art de la teinture. Eva Taulois complexifie un peu plus ces déplacements en utilisant la technique artisanale du patchwork, au détriment de la production industrielle dont ces tissus font aujourd’hui l’objet en Afrique et en Hollande.

Il est encore question de re-production et d’écart dans l’oeuvre Erreur maximale tolérée (2011), série d’outils de mesure appliqués à l’industrie, dont l’apparence rigide est perturbée par l’introduction d’infimes variations. Dans le travail d’Eva Taulois, on retrouve cette tension entre d’une part la règle établie, la norme appliquée à des objets, des gestes et des corps, et d’autre part la possibilité de s’en affranchir. C’est un des enjeux qui préside à la recherche qu’elle développe à Lindre-Basse, en se penchant sur l’usage des tuteurs, utilisés en arboriculture. Elle en étudie les applications, les formes et les matières, qui obéissent à une science savamment orchestrée : liens, grilles, béquilles, tendent à faire de la nature un outil de production rentable, parfaitement planifié. Mais le tuteur dresse tout autant qu’il accompagne les jeunes pousses, et s’adapte à leur croissance.

De là, Eva Taulois déploie ses sculptures comme autant de corps à corps de formes molles ou rigides, organiques ou métalliques, hiératiques ou serpentines, protégées ou enfermées… Si elles renvoient à cette logique de contrôle du vivant, elles y échappent par leur équilibre précaire et leur instabilité fondamentale. Le potentiel de chute devient alors le vecteur d’une émancipation possible. Mais in fine, dans le jeu des contraintes, l’artiste se demande quelles forces invisibles font tenir et grandir ces choses ensemble.