Signs Of The Time
Télécharger : feuille-de-salle-signofthetimes.pdf
SIGN OF THE TIMES
Sur la base d’un vocabulaire formel minimal, sériel, issu de l’abstraction géométrique, l’oeuvre d’Eva Taulois s’inscrit dans un réseau plus large de références, qui mêle tout aussi bien l’architecture, les vêtements traditionnels, l’art du patchwork ou le design industriel. Quel que soit le support engagé, la couleur joue un rôle central.
Ses dernières recherches sont à la fois picturales et textiles, travaillant le motif et ses variations à l’intérieur de formes vestimentaires réduites à l’essentiel. Cette collection de vêtements-prototypes frappe par son caractère atemporel et générique : l’artiste s’inspire de modèles de toutes époques, et en redessine les patrons tels des épures. Puis vient la peinture, le trait spontané et primitif, l’efficacité de la ligne qui avance sûre d’elle-même, et la couleur saturée de l’acrylique mat, appliquée en aplat. Rouge feu, bleu Klein ou vert mélèze, la palette claque souvent, ou s’adoucit parfois en nuances pastel fraîches.
Spatialisés en apesanteur selon un principe simple qui rappelle les suspensions japonaises utilisées our présenter les Kimonos, ces vêtements peints évoquent de multiples références, au premier rang desquelles deux grandes figures de la modernité : Sonia Delaunay, qui réinventa l’abstraction dans ses projets textiles, et Sophie Taeuber-Arp, créatrice de singuliers costumes Dada inspirés par les indiens Hopis, ou encore du premier tableau-tapis conçu en collaboration avec Jean Arp. Plus discrètement, Eva Taulois rejoint aussi une longue histoire utopique, initiée par les constructivistes russes ou les futuristes italiens (Giacomo Balla, Vladimir Tatline, Alexandre Rodtchenko…), qui se sont beaucoup intéressés à la manière dont un artiste pouvait constituer sa propre garde-robe — une approche artisanale de l’objet qu’accompagne toujours une vision politique, plastique et philosophique : dessiner le vêtement comme on brandirait un étendard, pour transformer l’être qui le porte, le monde dans lequel il évolue, et accessoirement l’histoire de l’art.
En parallèle, plusieurs Displays Units conçus sous la forme d’étagères flottantes réunissent des objets ambigus : à la fois matériaux préparatoires et traduction expérimentale de l’oeuvre, ils donnent naissance à des assemblages dynamiques, inventent un rythme de cohabitation, entre formes, textures et couleurs. Comme on le ferait de pièces à conviction, ces Displays Units font aussi appel à notre capacité à interpréter, ce que le commissaire d’exposition François Aubart nomme « l’esprit de l’étagère ». De par leur structure traversante et leur implantation, ces dispositifs sculpturaux entrent en constant dialogue avec les peintures textiles.
Une chanson du groupe anglais The Belle Stars donne son titre à l’exposition nantaise : Sign Of The Times, tube joyeux sorti en 1983, décrit pourtant la décision d’une rupture amoureuse, entre résilience et émancipation. Musique qui accompagna la préparation de cette exposition, Sign Of The Times renseigne aussi le déroulement particulier de ce projet, en deux temps, à double détente. Après sa proposition à Montréal, Eva Taulois rejoue la mise en espace d’un corpus d’oeuvres augmenté, incluant deux nouvelles pièces textiles qui arborent des reliefs matelassés et des superpositions plus complexes de matières et de motifs. Pour le fond, les enjeux demeurent inchangés : un accrochage léger, presque chorégraphique, qui partitionne l’espace d’exposition en parois textiles, une manière simple de suggérer le cloisonnement souple et l’approche rectoverso, les déplacements verticaux du regard, le rapport au corps du visiteur. Bien davantage que dans le white cube industriel de Diagonale, le centre d’art montréalais où s’est déroulé le premier volet de cette aventure, l’artiste a dû composer avec l’espace nantais de L’Atelier : face au contexte saturé de pierres apparentes, boiseries teintées et huisseries multiples, Eva Taulois choisit d’alléger la circulation, de concentrer les axes, de neutraliser l’éclairage. Un impératif : s’abstraire. Par contraste, l’environnement architectural fait ainsi ressortir les lignes de force de l’oeuvre : à la fois lévitante et pondérable, porteuse d’une énergie chromatique remarquable, elle opère un bel équilibre entre relecture moderniste, arts décoratifs, et appropriation de références plus récentes, de BMPT en France à Pattern and Decoration aux Etats-Unis.
Eva Prouteau, 2016
© Adagp, Paris