David
Zérah

15.09.2022
Revue 02, n°5
Arzel Marcinkowski

Entrepreneurs, commissaires d’exposition, éditeurs… les artistes développent des stratégies artistiques (professionnelles) qui prennent en charge la production, l’exposition et la diffusion de l’art. Loin de s’opposer aux institutions, cette attitude qui se généralise participe d’une réappropriation de l’activité artistique et d’une réemergence des pratiques mettant en scène un caractère collectif. L’exposition ” Bed en Workshop ” (Rennes, 14-21 mars 1998) relève de cette volonté de décloisonnement et d’échange.
Inspiré par l’idée de collaboration de la Transmission Gallery qui a redynamisé le tissu artistique de Glasgow , David Zérah a invité quatre artistes, membres de la Transmission, à investir son atelier afin qu’il devienne à la fois un lieu de production, d’échange et d’exposition. Will Bradley, Tanya Leigthon, Eva Rothschild et Toby Webster ont donc choisi de travailler sur l’idée de passage et de déplacement (” any space whatsoever “, peu importe le lieu) et de montrer à leur tour les œuvres de sept artistes ainsi qu’une sélection d’œuvres cinématographiques liées à ce thème (After Hours, La planète des singes, Paris, Texas et Pickpoket, Play Time et La Jetée de Chris Marker). Au milieu d’une installation de Will Bradley, dotant l’atelier de quatre portes supplémentaires, et d’une peinture murale d’Eva Rothschild, la programmation vidéo retenue interroge l’idée d’ancrage géographique, social ou culturel.
Une série d’œuvres traite directement du déplacement physique. Avec Running Man, Glasgow, 1996, Richard Weeks explore les implications psychologiques du fait de courir, alors que Saturo Saki avec M.Station Backwards et M.Station Run, Tokyo, 1996, et Chris Evans avec Exit, Glasgow, 1996, soulignent les effets normatifs du déplacement quotidien respectivement dans le métro et au supermarché. Avec On the Hill, Glasgow, 1996, Ann-Marie Copestake ironise sur le mythe de Sisyphe par le montage avant-arrière de l’ascension d’une colline. Tanya Leighton avec Any Space Whatever by Any Means Necessary, Glasgow, 1998, fait pivoter la caméra sur un point fixe et retraite le film ainsi obtenu afin de bousculer notre conception physique et visuelle du déplacement. Ces approches concernant directement notre perception sont relayées par celles qui jouent sur les effets de glissement d’un contexte à l’autre.
Toby Webster fait suivre la réalisation d’une série d’entretiens avec des DJ rennais intitulée Interviews with DIGICAY, NEMO and AZAXX, Rennes, 1998, d’un reportage sur l’histoire des DJ américains, Battlesounds, USA, 1987-1997, de Carluccio/Valledor, soulignant à la fois la convergence de leurs désirs professionnels et une divergence culturelle liée à leurs géographies. Dans No title, 1997, Eva Rothschild, en bombant une phrase sur un mur, recoure à un geste militant pour livrer un message non pas politique mais personnel, voire universel. En filmant l’activité routière d’un carrefour urbain, Holgar Mohaupt avec The Street, Glasgow, 1998, montre que l’expression peut se passer d’un territoire spécifique et se réduire à un lieu de circulation des hommes et des idées. Avec Untitled (Road movie/postcard from reality), Londres, 1996, Phillip Lai propose un road movie londonien en écoutant la lecture de Sur la route de Jack Kerouac.
L’ensemble des artistes à l’initiative de cette production qui repose autant sur le travail en amont que sur son exposition ou non (les projets vidéos de Will Bradley et Eva Rothschild, engagés pour l’occasion, n’ont pas abouti), montre les enjeux des schémas alternatifs de la production artistique.

1)Rebecca Gordon-Nesbitt, ” Etonnez-moi ” in cata. Life/Live, La scène artistique au Royaume-Uni en 1996, de nouvelles aventures, Paris : Editions des musées de la Ville de Paris, 1996, vol.2, p.134-142 et plus précisément sur la Transmission, p. 123. Ainsi que Pascal Caussat, ” Des artistes autonomes ” in Art Press, n°233, avril 1998, p.68-69.