La rhétorique des marées

Ce projet, qui envisage l’art dans un devenir mouvant et vivant, est une aventure organique et partagée qui existe sous plusieurs formes se succédant dans divers lieux et moments.

Le premier volet fut une exposition collective à ciel et flots ouverts sur la côte du Cap Sizun (Finistère): Lors de l’été 2015, Ariane Michel a convié vingt artistes à concevoir et à réaliser des œuvres sur le rivage. Cette exposition fut aussi, dès le moment où le premier artiste a foulé l’endroit, un plateau de tournage.

Les volets suivants s’articulent autour ce qui fut tourné sur la côte et un long-métrage en triptyque en est la colonne vertébrale. Son achèvement, se nourrissant de l’histoire qui a continué de se dérouler dans le paysage et dans les échanges avec les artistes, se fait « in progress ». Montré sous une première forme à La Criée (Rennes) en 2016, il a continué d’évoluer depuis.
Outre ce triptyque en mouvement, de petits opus se dégagent aussi de l’aventure, comme des fragments repris à la loupe qui reprendraient certains des motifs du triptyque pour les déployer autrement. Ainsi en est-il de la vidéo « Hugues et les vagues », qui s’attarde sur l’histoire de la pièce proposée par H. Reip pour détailler les effets de la mer dans le point de vue de l’eau.

Avec La Rhétorique des Marées, Ariane Michel choisit de s’intégrer dans le mouvement des choses: disparaître un peu pour mieux voir; ne pas s’attarder sur une forme ou une vision mais se laisser porter par le ressac de la mer, le cycle des saisons, les rotations de la lune et la fragilité des choses. Laissant le mouvement prendre le pouvoir, elle s’installe aux confins des gestes d’artistes et de l’ouvrage de la vie pour travailler sur la courbure de ce qui construit notre perception. Et si la composition d’ensemble prend la forme d’une sorte d’objet fractal aux contours mouvants, c’est qu’il s’agit ici de loger et de donner à voir la multiplicité des espaces-temps et des centralités qui peuvent se côtoyer dans une portion de monde.

Avec : Virginie Barré, Julien Bismuth, Michel Blazy, Florence Doléac, Ellie Ga, Dominique Ghesquière, Georges-Henri Guedj, Jacques Julien, Martin Le Chevallier, Natalia Lopez, Dominique Mahut, Louise Hervé & Chloé Maillet, Bruno Peinado, Steven Pennaneac’h, Abraham Poincheval, Hugues Reip, Pascal Rivet, Benjamin Rivière, Éric Thomas, Gurvan Tymen, Jean-luc Verna.

La rhétorique des marées - vol 1

La Rhétorique des marées s’est d’abord déroulée sur la côte d’Esquibien (Finistère Sud), entre la pointe de Lervily et la plage de Trez Goarem. Les vingt-deux artistes invités travaillant dans des registres de formes, techniques et références artistiques volontairement très différentes, il fut possible de rassembler là une variété de gestes et d’expressions permettant de tirer des fils en plusieurs endroits de l’histoire de l’Art et de l’histoire Humaine : celui des percussions préhistoriques, de l’art des fakirs ou des stylites, l’Art des semeurs et des jardiniers, l’Art de l’Ecriture ou l’Art du Geste, arts de Constructeur, l’Art Brut, Pop art, Art Conceptuel, Hyper-réalisme, Art Rhétorique, Art Romantique, Rock’n roll ou Ready-made…
Pour la plupart inédites, qu’elles soient véritablement sculpturales ou plus performatives, les œuvres, produites sur l’estran et le long du sentier côtier se sont trouvées différemment soumises à l’influence physique et symbolique du lieu. Sises parmi les vagues, les rochers, les bêtes et les plantes sauvages, elles ont été littéralement exposées aux forces de la nature : œuvres disparues, englouties ou restituées par la mer; œuvres vaillantes, persistantes et conservées sur la terre; matières rouillées, patinées ou non; gestes fragiles, galets roulés, légendes dispersées ou paroles perdues dans le vent… Autant d’aventures qui se sont ajoutées au devenir millénaire de l’endroit.

La rhétorique des marées - vol 2

La rhétorique des marées, 2016
Film en triptyque, 75 minutes, 3 projections HD Mono synchronisées

Vue de l’exposition La rhétorique des marées - vol.2 à la Criée centre d’art contemporain, Rennes
Photos : Benoît Mauras & Ariane Michel

Le film présenté condensait ainsi l’évènement littoral et ses multiples temporalités.

Celles des artistes, de leurs corps, leurs gestes et leurs respirations. Celles des œuvres, performances fugaces, œuvres fragiles vite emportées ou constructions plus résistantes. Il confrontait aussi surtout les gestes d’artistes à ce qui avait existé là bas, tout autour, sous d’autres repères spatio-temporels que les nôtres : le granite, les crabes, les lichens, la houle, etc., une multitude de veilleurs chargeant l’endroit de leurs échelles respectives. Comme elle aime à le faire, Ariane Michel avait filmé avec le souci d’adopter leur point de vue. À hauteur de patelle ou de bigorneau, dans la durée de vie d’une feuille de genêt, selon l’inquiétude des aigrettes ou l’indifférence du minéral, le film révélait, «dans le point de vue du paysage», les vertiges éprouvés par la mise en présence de tous ces êtres avec des gestes d’artistes.
Enrôlé dans ces mondes “non-humains”, le film offrait donc au visiteur, à la manière d’un prisme, l’expérience sensible continue d’une multitude de perspectives, de temporalités et de présences.

Les œuvres exposées sur la côte puis autour de l’installation vidéo contenaient l’histoire de leurs sorts divers; certaines ayant été rapidement emportées et partiellement restituées sous une autre forme par la mer (H. Reip, F. Doléac, B. Rivière), d’autres, restées parfois très longtemps en place (jusqu’à janvier 2016) se trouvant altérées, blanchies ou rouillées plus ou moins lentement et fortement par les éléments (P. Rivet, S. Pennaneac’h, J. Julien); d’autres encore ayant été aussi marquées par différents usages ou interventions humaines (E. Ga, D. Mahut, V. Barré, D. Ghesquière, B. Peinado) ; certaines aussi intégrant directement les qualités mobiles du végétal (M. Blazy, G. Tymen) ou les contraintes vivantes du corps d’un humain (A. Poincheval). Portant toutes en elles la marque de cette expérience, elles furent ainsi présentées dans une sorte d’“état second” qui intègrait un devenir. Le personnel de médiation de La Criée s’unissait à l’ensemble pour narrer ces micro-aventures au visiteur.

L’exposition de La Criée, réunissant ces œuvres et leur vécu avec ce film-prisme, proposa ainsi une expérience à la fois diffractée et continue, mentale et sensible de l’aventure qui, en même temps qu’elle interrogeait la place du geste artistique et humain, put offrir au visiteur un aperçu sur la discrètement palpable unité de la discontinuité des temps.

Le projet La Rhétorique des Marées est coproduit par Ariane Michel, À Perte de vue et La Criée centre d’art contemporain. Il bénéficie du soutien de la Région Bretagne, du FRAC Bretagne, de la DRAC Bretagne, du Centre National des Arts Plastiques, de la Mairie d’Esquibien et du Fonds de dotation agnès b.

Télecharger le programme de la rhétorique vol.1

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Lire le texte de Lilian Froger dans la revue web de 02

Lire le texte de Mylène Ferrand publié dans l'édition web d'Art Press